Les pourparlers à Moscou ne dissipent pas les tensions américano-russes

Cinq heures de discussions mercredi entre le secrétaire d’État américain Rex Tillerson et le président russe Vladimir Poutine et son ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov se sont soldées par ce que les deux grandes puissances nucléaires ont décrit comme des relations en berne.

Tillerson a été envoyé à Moscou à la suite de l’attaque aérienne américaine de la semaine dernière contre une base aérienne syrienne pour remettre au gouvernement de Poutine ce qui était effectivement un ultimatum américain pour qu’il cesse son soutien au gouvernement du président Bachar al-Assad et accepte l’exigence de Washington de changement de régime syrien.

Lors d’une conférence de presse conjointe avec son homologue russe après les pourparlers, Tillerson a répété l’affirmation de Washington, qui n’est pas étayée par des éléments de preuve objectivement vérifiables, selon laquelle le gouvernement syrien était responsable d’une attaque d’armes chimiques alléguée ce mois-ci qui a servi de prétexte pour le lancement de 59 missiles de croisière par l’armée américaine seulement trois jours plus tard, qui ont tué 15 Syriens, la plupart des civils.

« L’attaque récente aux armes chimiques a été planifiée et exécutée par les forces gouvernementales syriennes », a déclaré Tillerson. « Nous sommes très confiants à ce sujet. »

Cependant, le ministre russe des Affaires étrangères a insisté sur le fait que la Russie n’avait reçu aucune preuve de l’allégation des États-Unis et a mis en garde contre toute répétition de l’attaque aérienne américaine, qu’il a qualifiée de violation du droit international. Il a déclaré que Moscou rejette tout « faux choix, tel que “vous êtes avec nous ou contre nous.” »

Lavrov a également exprimé la conviction de Moscou que Washington appuie l’affilié syrien d’Al Qaeda, qui est la force dominante dans la zone où l’incident aux armes chimiques attribué à Assad s’est produit dans la province d’Idlib. « Nous avons une suspicion persistante, que personne n’a encore pu dissiper, que Nosra est toujours protégé pour être utilisé ultérieurement dans un Plan B et essayer de renverser le régime de Bachar al-Assad par la force », a-t-il déclaré.

La force d’Al Nosra et des milices islamistes similaires employées comme forces mandatées dans la guerre orchestrée par l’Occident pour le changement de régime en Syrie a été tellement diminuée par une offensive gouvernementale soutenue par le gouvernement russe et iranien, qu’un tel « Plan B » nécessiterait une intervention militaire majeure des États-Unis, posant la menace directe d’une confrontation militaire avec la Russie et l’Iran.

Lavrov a reconnu que les discussions se sont concentrées mercredi sur la demande américaine de changement de régime en Syrie. « Nous avons discuté d’Assad aujourd’hui », a-t-il déclaré. « Je ne me souviens d’aucun exemple positif où un dictateur a été renversé et tout s’est bien passé après. » Il a ensuite examiné les conséquences catastrophiques des interventions américaines en Yougoslavie, en Irak et en Libye.

Plus tôt mercredi, les présidents américains et russes ont fait des déclarations qui reflétaient les tensions croissantes. Dans un entretien accordé à Fox News, le président Donald Trump a décrit Assad comme un « homme maléfique » et « un animal », avertissant que le soutien du gouvernement de Poutine au gouvernement syrien était « très mauvais pour la Russie ».

Et, dans un entretien diffusé à la télévision russe, Poutine a déclaré que les relations entre les États-Unis et la Russie étaient pires même à présent que sous le gouvernement d’Obama. « Le niveau de confiance sur le plan de collaboration, en particulier au niveau militaire, ne s’est pas amélioré, mais il a probablement été dégradé », a-t-il déclaré.

Poutine a rejeté les accusations américaines contre le gouvernement syrien à propos des armes chimiques, en insistant sur le fait que le gouvernement Assad avait détruit ses stocks de produits chimiques après un accord de 2013 négocié par Moscou avec le gouvernement d’Obama. Il a déclaré que l’explication la plus probable pour l’incident du 4 avril était soit qu’une attaque aérienne syrienne a frappé un dépôt d’armes chimiques des « rebelles » islamistes soutenus par l’Occident, soit que l’incident a été mis en scène pour créer un prétexte à l’attaque. Auparavant, Poutine a déclaré que la Russie avait des renseignements indiquant que d’autres provocations semblables étaient en cours de préparation dans le but de justifier plus de frappes aériennes.

Poutine a rencontré Tillerson mercredi après-midi, après les spéculations sur le fait que le président russe pourrait bouder le secrétaire d’État américain pour démontrer la colère de Moscou sur l’attaque syrienne. Ce n’était pas la première rencontre entre les deux hommes. Poutine a décerné la médaille d’amitié à Tillerson en 2012, lorsque le PDG d’ExxonMobil d’alors a signé des contrats avec la société pétrolière russe Rosneft pour exploiter les ressources naturelles de la Russie au profit commun de la capitale américaine et de l’oligarchie dominante de la Russie. Le conflit déclenché par le coup d’État de droite soutenu par les États-Unis en Ukraine a mis les accords en attente.

Le seul résultat concret des discussions à Moscou a été l’annonce que Poutine avait soulevé la perspective de rétablir une ligne téléphonique directe « d’apaisement » entre les forces militaires américaines et russes opérant en Syrie. Moscou avait annoncé la suspension de l’arrangement, conçu pour empêcher les affrontements involontaires entre les avions de guerre américains et russes qui y effectuaient des raids aériens, à la suite de la frappe des missiles de croisière américaine.

Dans la conférence de presse conjointe qui a suivi les pourparlers d’un jour, Tillerson a donné une légère indication des conséquences néfastes des tensions croissantes entre Washington et Moscou. « Il y a un faible niveau de confiance entre nos deux pays », a-t-il déclaré. « Les deux principales puissances nucléaires du monde ne peuvent pas avoir ce genre de relation. » En d’autres termes, un conflit en Syrie qui ne serait plus maîtrisé pourrait entraîner une conflagration nucléaire.

À la suite des discussions à Moscou, la Russie a mis son veto à une résolution soumise au Conseil de sécurité des Nations Unies par les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France soutenant ostensiblement une enquête menée par l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) sur l’attaque alléguée aux armes chimiques, mais dans un langage qui accusait clairement le gouvernement syrien. La Russie a été rejointe par la Bolivie qui a voté contre cette mesure soutenue par 10 membres du conseil. Trois autres pays, dont la Chine, se sont abstenus.

Au cours du débat au Conseil de sécurité, l’ambassadrice américaine Nikki Haley a averti la Russie que « vous vous isolez de la communauté internationale » en soutenant le gouvernement d’Assad.

L’envoyé adjoint de la Russie aux Nations unies, Vladimir Safronkov, a condamné les États-Unis et ses alliés pour avoir inculpé le régime syrien sans présenter de preuves. « Je suis étonné que ce soit la conclusion », a-t-il déclaré. « Personne n’a visité le lieu du crime. Comment savez-vous tout ça. »

L’ambassadeur syrien à l’ONU, Bachar Ja'afari, a déclaré entre temps que son gouvernement avait présenté de nombreuses preuves au Conseil de sécurité qui révélaient l’utilisation d’armes chimiques par les soi-disant rebelles.

« Deux litres de sarin ont été transportés depuis la Libye à travers la Turquie vers des groupes terroristes en Syrie », a-t-il dit, ajoutant que le gouvernement de Damas n’a plus d’armes chimiques.

À Washington, mercredi, Trump a intensifié la pression des États-Unis sur Moscou, lors d’une conférence de presse conjointe avec le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, pendant laquelle il a salué la ratification de l’adhésion à l’OTAN de l’ancienne république yougoslave du Monténégro et a publiquement reconnu l’intérêt de cette alliance militaire dirigée par les États-Unis qu’il avait décrite comme « obsolète » pendant sa campagne présidentielle.

« J’ai dit qu’elle était obsolète ; elle n’est plus obsolète », a déclaré Trump aux médias, reflétant le brusque changement dans la politique du gouvernement en matière de confrontation avec la Russie.

Stoltenberg a félicité l’alliance pour le déploiement de quatre bataillons de soldats à la frontière de la Russie dans les pays baltes et en Pologne, dont les forces américaines.

En attendant, la Russie a annoncé l’envoi en Méditerranée orientale des éléments de sa flotte balte, y compris l’Admrial Grigorovich, une frégate armée de missile de croisière et deux corvettes de classe Steregushchiy, capables également de tirer des missiles de croisière à longue portée. Ils rejoindront six autres navires de guerre russes et des navires de ravitaillement déjà déployés dans les eaux au large de la Syrie.

(Article paru en anglais le 13 avril 2017)

 

 

 

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