Les candidats offrent un simulacre d'opposition au débat présidentiel français

Mardi soir, les 11 candidats présidentiels en France ont participé pendant plus de trois heures au premier des deux débats à onze prévus avant le premier tour des présidentielles, le 23 avril. Le recours à ce format inhabituel, qui a produit un débat bruyant et parfois houleux marqué par de, reflètait les profondes inquiétudes qui travaillent la classe dirigeante française.

L'aristocratie financière, qui médite l'effondrement historique des candidatures de ses partis traditionnels, Benoît Hamon du PS et François Fillon de LR, est consciente de la profonde crise de l'Union européenne et de la montée de la colère sociale. Les banques françaises et internationales commencent à réfléchir aux conséquences de l'effondrement de l'euro, en cas de victoire de Marine Le Pen, la candidate du FN. Des manifestations éclatent contre les meurtres et les viols commis par la police ; malgré l'état d'urgence, le PS n'ose plus les interdire.

Les milieux dirigeants, dépassés par les événements et terrifiés par des sondages selon lesquels deux-tiers des Français voient en la lutte des classes une réalité quotidenne,veulent que la classe politique fasse un geste symbolique qui semble tenir compte des sentiments populaires.

Ainsi hier, dans son éditorial sur le débat pour Libération intitulé « Révolte », Laurent Joffrin s'est plaint du « sale temps pour le capitalisme financier ». La France, a-t-il écrit, est « un pays inquiet, à cran, à vif, qui se fatigue des solutions raisonnables ». Il s'est donc réjoui que les candidats moins en vue aient exprimé « quelque chose de profond : la révolte contre l'injustice, le rejet d'une classe dirigeante qui a laissé s'épanouir l'argent-roi ».

La révolte sentimentale que souhaite Joffrin est purement symbolique, car elle serait portée par les « petits candidats » qui ont tous travaillé étroitement, depuis des décennies, avec PS ou LR. Les « petits candidats », tels Philippe Poutou du Nouveau parti anticapitaliste (NPA) et Nathalie Arthaud de Lutte ouvrière (LO), ont obtenu tout comme les « grands » les 500 signatures d'élus requises pour se présenter aux présidentielles. Tous les cinq ans, ils marchandent avec des élus de grandes formations afin de se présenter aux présidentielles.

Les positions de ces partis et candidats bien intégrés dans un establishment politique français discrédité n'offrent rien aux travailleurs. Ainsi aucun candidat, « petit » ou « grand », n'a soulevé le danger d'une guerre majeure posé par les menaces de l'OTAN contre la Russie et la Syrie, et qu'attisent les propositions d'Emmanuel Macron (En Marche) et Jean-Luc Mélenchon (France insoumise) de rétablir le service militaire. Personne n'a proposé de mettre fin à l'état d'urgence.

Cependant, le commentaire de Joffrin indique pourquoi des discussions très limitées et hypocrites de la guerre et de l'inégalité sociale ont pu faire interruption dans ce débat étroitement encadré.

Macron, le candidat que soutiennent Hollande et du gouvernement PS, a attaqué Le Pen : « Ce que vous proposez, avec la sortie de l'euro, c'est la baisse du pouvoir d'achat, les destructions d'emploi, et la guerre économique ! Vous proposez le nationalisme, et le nationalisme, c'est la guerre ». Le Pen a répondu que ces commentaires n'étaient que « des vieilles badernes ».

Poutou, un bureaucrate syndical à l'usine Ford de Blanquefort dont le parti est l'exemple classique d'un mouvement petit-bourgeois, jouait le rôle de candidat « ouvrier » dont raffolent les médias. Arrivé en T-shirt, il a refusé d'apparaître en photo avec les autres candidats et a indiqué sa solidarité avec Arthaud : « On nous met dans la peau du petit candidat qui ne représente rien et n'a pas sa place ici, mais nous sommes les seuls à avoir un vrai métier ... ».

Arthaud s'est également présentée en tribun des travailleurs, appelant « à la conscience, au rapport de force, au combat et aux luttes sociales parce que rien ne nous sera jamais donné ». Elle a ajouté avec pessimisme, qu'à présent ce serait « plus compliqué, mais qu'on aurait rien sans cela ».

L'hypocrisie de ces déclarations est époustouflante. D'abord, tous ces candidats, ceux du NPA et de LO tout comme Macron ou Le Pen, ont défendu les guerres impérialistes en Libye, en Syrie, et en Europe de l'Est. Macron pointe le danger d'une guerre que représente le nationalisme de Le Pen, mais lui et Mélenchon proposent tous deux le retour au service militaire universel afin de préparer l'armée française pour une guerre. Macron l'a justifié en déclarant que nous vivons à « une époque des relations internationales où la guerre est à nouveau un horizon possible de la politique ».

Quant à LO et au NPA, ce sont des organisations dont les collaborateurs grecs, le gouvernement Syriza (« Coalition de la gauche radicale ») impose une austérité profonde sur les ordres de l'UE.

Interrogée sur les questions de l'UE et de l'euro, Arthaud a répondu avec légèreté que la question de l'Europe était simplement une « diversion », alors que le Brexit envenime tous les conflits au sein de l'Europe. « Quand on est mal payé, en franc ou en euro, on reste mal payé », a-t-elle dit.

Ce qui a finalement prédominé dans le débat était le nationalisme français et les différends sur la politique étrangère, alors que la question de l'euro nuit à Marine Le Pen dans la classe dirigeante, et les candidats tels que Le Pen ou Mélenchon prennent leurs distances de leurs critiques de l'UE.

Le Pen propose à présent un référendum sur la sortie de l'UE et de l'euro si elle est élue, non pas de les quitter dès son élection. Ceci a provoqué une attaque de Fillon : « Comme on sait tous qu'il y a une immense majorité de Français qui ne veut pas de la sortie de cette monnaie européenne, ça veut dire qu'en réalité, il n'y a pas de politique économique de Mme Le Pen, car cette politique économique s'effondrera à la minute où les Français se seront prononcés sur cette sortie de la monnaie européenne »

Des attaques xénophobes ont fusé de toutes parts. Quand le nationaliste de droite Nicolas Dupont Aignan a dénoncé les travailleurs détachés en France qui voleraient le travail des Français, il a reçu le soutien de Mélenchon, qui a lancé une tirade nationaliste contre les travailleurs étrangers. Il les avait déjà accusés l'année dernière de « voler le pain » des travailleurs français ; à présent il les a attaqués en déclarant qu'ils vont « détruire notre droit social », en ajoutant : « Je suis élu, plus de travailleurs détachés » !

Le résultat de ce débat souligne la faillite de l'establishment politique français. Conscients, même terrifiés d'une explosion sociale à venir dans la classe ouvrière, ils sont totalement acquis à la poussée vers la guerre et l'escalade des attaques contre les droits démocratiques.

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