Présidentielle française : le FN revient à ses fondamentaux

Depuis plusieurs années, les médias français débordaient de reportages sur la « dédiabolisation » du Front national (FN). On mettait également l'accent sur le remplacement du fondateur du parti Jean-Marie Le Pen, négationniste et ex-lieutenant d’une unité de parachutistes tortionnaires en Indochine et en Algérie, par sa fille Marine Le Pen.

À quelques jours des élections, alors qu’elle est en bonne position pour accéder au second tour, Marine Le Pen inverse cette tendance, pour se référer directement aux fondamenttaux de son parti : l'agitation contre les immigrés et la référence au régime fasciste de Pétain.

Elle a déclaré lors d’un meeting à Paris lundi soir qu’elle souhaite « un moratoire sur toute l’immigration légale » de plusieurs semaines, qualifiant l’immigration de « délire » et exprimant le souhait d’établir un solde de zéro entre les entrées et les sorties d’immigrants. Elle a également parlé de « conditions beaucoup plus drastiques » qu’elle souhaite appliquer à l’immigration.

Jusqu’en 2015, son programme mentionnait un objectif de seulement 10 000 entrées d’immigrants par an (au lieu de 200 000). Dans l’objectif des présidentielles, le parti s’était ensuite contenté de réclamer un « solde migratoire » de 10 000.

L’autre point d’ancrage politique du FN, c’est la référence au régime fasciste du maréchal Pétain. À la fondation du parti en 1972, le FN était déjà la vitrine électorale du groupe néofasciste Ordre nouveau. Le terme « ordre nouveau » était tiré du premier grand discours politique de Pétain après son arrivée au pouvoir en 1940.

Dans le cadre de la « dédiabolisation » Marine Le Pen avait qualifié en 2011 les chambres à gaz de « summum de la barbarie ». Puis, elle avait accepté l’exclusion de son père en 2015 afin de se positionner en parti de gouvernement bourgeois crédible, décision approuvée par 53 pour cent des adhérents du parti, notamment des adhérents récents.

Elle est revenue sur cette orientation plus présentable lors d’une déclaration sur la rafle du Vélodrome d’Hiver (Vél d’Hiv) en 1942, affirmant que « la France n’est pas responsable du Vél' d’Hiv ». Auparavant, elle s’était déjà plainte qu’une trop grande place était accordée à la collaboration dans les programmes d’enseignement de l’Histoire.

Avec ces provocations, Le Pen lance un appel aux éléments les plus réactionnaires de son camp, dans le contexte d'une crise sérieuse de sa stratégie électorale. Le

Le Pen avait espéré gagner en légitimité dans la foulée des deux grandes victoires électorales brandies par l’extrême-droite internationale en 2016 : le Brexit et l’élection de Trump. Sa stratégie internationale s’appuyait sur une alliance avec Trump ainsi qu'avec la Russie, avec laquelle Trump prétendait initialement vouloir travailler, afin de contrer l’Allemagne et d'affirmer la prépondérance de la France en Europe. Le principal conseiller de Trump, Stephen Bannon ex-responsable du site néofasciste Breitbart News, avait même déclaré qu’il serait heureux de travailler avec le FN.

Les frappes de Trump en Syrie et en Afghanistan, dans le contexte d'un revirement de sa politique étrangère vers l'Otan et l'Union européenne, a créé une crise pour le FN. Le positionnement géostratégique anti-russe et pro-allemand de Trump allait à l'encontre de la stratégie du FN, qui se retrouve avec une politique étrangère impraticable, à laquelle les banques sont opposées. Le Pen a dû reconnaître platement que les actions de Trump sont « une vive source d’étonnement » pour elle, puis modifier sa position sur la sortie de l’euro et de l’UE lors des débats télévisés.

La montée de l'opposition anti-guerre après ces frappes, qui a bénéficié à Jean-Luc Mélenchon, a terrifié l'élite politique française. C'est dans ce contexte-là, alors que la classe politique dans son ensemble prépare un tournant violent vers la droite, que Le Pen a esquissé un abandon de la stratégie de « dédiabolisation » pour revenir vers des positions néo-fascistes nettement assumées. Celles-ci sont fondées sur des mensonges historiques.

Le commentaire de Marine Le Pen sur la rafle de Vélodrome d'Hiver tente de laver le rôle de la France. Cette rafle était organisée par le préfet René Bousquet, condamné à l’indignité nationale à la Libération et qui fut par la suite un intime du président François Mitterrand. Les agents de police de l’État français, aidés par des militants fascistes français, avaient organisé, sans aucune participation des troupes d’occupation allemandes, la déportation de plus de 13. 000 juifs dont 4.000 enfants. Moins d’une centaine en sont revenu vivants.

L’État français était clairement responsable de ce crime, ce qui fut admis officiellement par le président de droite Jacques Chirac en 1995, rompant ainsi avec la tradition établie par De Gaulle et ses successeurs, jusqu’à Mitterrand. Ceux-ci affirmaient que la France était alors représentée par le mouvement de résistance. Une fois au pouvoir, De Gaulle et Mitterrand n’ont pas hésité à reprendre au service de la République un grand nombre de fonctionnaires de Vichy qui avaient collaboré aux déportations.

Le cas emblématique était celui de Maurice Papon, secrétaire de préfecture sous Pétain, finalement condamné en 1998 pour son rôle dans les déportations. Il fut préfet de police de Paris sous De Gaulle, organisant la répression sanglante des mouvements pour l’indépendance algérienne.

Cette analyse souligne que le remplacement du père par la fille Le Pen à la tête du FN n’a rien changé de fondamental à son programme, qui découle de l’histoire du fascisme français.

Ce n’était qu'un ravalement de façade, tentant de remplacer un personnage rébarbatif pour de nombreux électeurs par une personnalité féminine moins entachée par un soutien explicite aux crimes fascistes du 20 siècle. Jean-Marie Le Pen a été régulièrement condamné, dès 1971 et jusqu’à cette année, pour ses apologies du régime de Pétain et de la déportation, notamment pour avoir qualifié les chambres à gaz des nazis de « point de détail de l’histoire ».

Le côté superficiel de l'évolution de Le Pen père à Le Pen fille n’a jamais fait de doute. Absente lors de la séance du bureau du parti qui a exclu son père, Marine Le Pen ne s’était pas opposée d'ailleurs à ce qu’il reste président d’honneur du FN. Elle a obtenu un prêt de 6 millions d’euros pour sa campagne auprès d’une association liée à son père, la Cotelec. Après avoir longtemps appelé à ne pas voter pour elle, Jean-Marie Le Pen a annoncé le 17 avril qu’il voterait pour sa fille.

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