Corbyn plaide pour devenir le prochain premier ministre de la Grande-Bretagne

Le chef du Parti travailliste, Jeremy Corbyn, a réagi vendredi à l’attentat-suicide de Manchester, alors que le mensonge de la première ministre Theresa May selon lequel Salman Abedi était un «loup solitaire» connu «partiellement» des services de sécurité devenait de moins en moins crédible.

Pendant que Corbyn prenait la parole, la police a effectué d'autres raids, ce qui porte le total des personnes arrêtées au Royaume-Uni à onze, dont le frère cadet d'Abedi qui vit à Manchester et son père et son autre frère en Libye. Les indices révèlent que toute sa famille était formée d'éléments extrémistes islamistes connus. La police et l'appareil de sécurité avaient été avertis sur Abedi lui-même concernant ses affinités terroristes, au moins cinq fois en cinq ans.

En somme, ce qui émerge, c'est que les morts et les mutilés à Manchester – la plupart des jeunes – ont été victimes des politiques illégales de changement de régime menées par l'impérialisme britannique.

Cela a été particulièrement dommageable pour les conservateurs qui avaient autorisé le soulèvement libyen et le meurtre du colonel Mouammar Kadhafi en utilisant ces éléments extrémistes en 2011. Mais leurs efforts pour attiser une réaction violente contre Corbyn, le traitant de «menace pour la sécurité nationale» qui est «laxiste avec le terrorisme», ont singulièrement échoué à gagner du terrain parmi les travailleurs – dont les soupçons et l'animosité sont dirigés contre Theresa May et ses tentatives d’exploiter politiquement l'indignation terroriste.

L’avance des conservateurs basée sur un sondage YouGov, réalisé mercredi et jeudi derniers, est maintenant réduite à seulement 5 points. Leur désarroi est si évident que la relance prévue de la campagne électorale des conservateurs – supervisée par le secrétaire du Brexit David Davis – a été reportée juste au moment où Corbyn relançait celle du Parti travailliste.

L'affirmation de Corbyn selon laquelle l'implication de la Grande-Bretagne dans de nombreuses guerres au Moyen-Orient et en Afrique du Nord avait contribué à la menace terroriste à laquelle la Grande-Bretagne est confrontée a un soutien populaire. Un sondage effectué vendredi a montré que 65 pour cent des gens interrogés étaient d'accord pour dire que la politique étrangère du Royaume-Uni a joué un rôle direct dans de telles attaques.

Mais plutôt que de montrer comment la politique étrangère est motivée par les intérêts de classe de la bourgeoisie britannique – à la fois contre la classe ouvrière au pays et ses rivaux à l'étranger – Corbyn la présente uniquement comme un «mauvais» choix politique qui peut être corrigé avec une réflexion claire.

En particulier, Corbyn s'est présenté comme quelqu'un qui peut guérir les divisions sociales implacables qui menacent d'exploser si les conservateurs continuent à croire qu'ils peuvent imposer leur politique de guerre de classe sans opposition.

Son discours patriotique a invoqué les traditions du respect britannique de la démocratie, des droits de l'homme, de l'équité au pays comme à l'étranger – et présentait le Parti travailliste comme le gardien de l'unité nationale contre la division en temps d’une crise aiguë.

Sa courte incursion dans la question de la politique étrangère de la Grande-Bretagne n'a été faite qu'après que Corbyn a clairement indiqué son soutien à la police, aux services de sécurité et à l'armée, en les confondant avec les médecins, les infirmières et les pompiers, en tant que défenseurs de la sécurité publique.

Le discours de Corbyn, rempli de nombreuses références à «notre pays», a commencé par un plaidoyer pour l'unité nationale. L’attentat de Manchester «aurait pu arriver n'importe où et les gens de n'importe quelle ville, ou village en Grande-Bretagne auraient réagi de la même manière [pour porter secours aux mourants et aux blessés et accueillir les gens sans moyen de transport dans leur maison] ... C'est cela la solidarité qui définit notre Royaume-Uni.»

Sa déclaration selon laquelle il a passé sa «vie politique à travailler pour la paix et les droits de l'homme et mettre fin aux conflits et aux guerres dévastatrices» a été suivie de la déclaration retentissante: «Mais ne doutez pas de ma détermination à prendre toutes les mesures nécessaires pour maintenir la sécurité de notre pays et pour protéger notre peuple dans nos rues, dans nos grandes et petites villes, jusqu’à nos frontières.»

Afin de surmonter la menace du terrorisme, il fallait renverser «les coupes budgétaires de nos services d'urgence et de la police [… ] L'austérité doit s'arrêter aux urgences hospitalières et à la porte du commissariat de police.»

Contrairement aux réductions des effectifs de police survenues sous le mandat de May, Corbyn a souligné: «Il y aura plus de policiers dans les rues sous un gouvernement travailliste. Et si les services de sécurité ont besoin de plus de ressources pour suivre la trace de ceux qui souhaitent tuer et mutiler, alors ils devraient les obtenir.»

Selon Corbyn, il fallait que la politique étrangère britannique change de cap. Son argument ne faisait pas référence à l'opposition populaire aux guerres en Irak, en Libye et en Syrie ou leurs conséquences dévastatrices, mais parlait «De nombreux experts, y compris les professionnels de nos services de renseignement et de sécurité, qui ont souligné les liens entre les guerres que notre gouvernement a soutenues ou menées dans d'autres pays, comme la Libye, et le terrorisme ici chez nous.»

C'était là sa seule référence indirecte au fait que la famille d'Abedi provenait de la Libye et que son père était membre du Groupe islamique combattant en Libye.

Corbyn a déclaré: «Nous devons être assez courageux pour admettre que la guerre contre le terrorisme ne marche tout simplement pas.» Il n’était pas question de s'opposer à l’ingérence du Royaume-Uni dans d'autres pays, mais d’imaginer «une manière plus intelligente de réduire la menace des pays qui abritent des terroristes et génèrent le terrorisme».

L'approche du Parti travailliste en matière de politique étrangère serait «axée sur le renforcement de notre sécurité nationale dans un monde de plus en plus dangereux», a-t-il promis. C'est pourquoi il était impératif de soutenir «nos services armés, le ministère des Affaires étrangères et nos professionnels du développement international ...»

L'une des déclarations les plus révélatrices de Corbyn était son discours personnel aux soldats. La décision de la première ministre Theresa May d'envoyer initialement un millier de soldats dans les rues – sur un maximum de 5000 et plus en vertu des dispositions secrètes de «l’Opération Temperer », qu’elle avait aidé à mettre au point pendant son rôle de ministre de l’Intérieur – est sans précédent. Que cela puisse signifier qu’une élection ait lieu le 8 juin sous une loi martiale à peine déguisée est si potentiellement explosif que même les fidèles porte-parole de l’establishment tels le Guardian ont dit de faire attention.

En revanche, Corbyn a déclaré sur la tribune de Westminster: «Je voudrais prendre un instant pour parler à nos soldats dans les rues de la Grande-Bretagne. Vous faites votre devoir comme cela a été le cas de nombreuses fois dans le passé [...] Je tiens à vous assurer que, sous mon mandat, vous ne serez déployés à l'étranger que lorsqu'il y aura un besoin évident et que lorsqu'il y aura un plan et que vous disposerez des ressources pour faire votre travail.»

Il a conclu sa louange à l'armée: «C'est mon engagement envers nos services armés. C'est mon engagement envers notre pays.»

Ce n'est qu'à ce moment que Corbyn a prononcé son message de prudence rédigé avec soins à l’égard des dirigeants de l’État britannique: de ne pas risquer les conséquences explosives du virage continu vers des formes autoritaires de pouvoir et ne pas être si aveuglés par leur hostilité à toute chose de «gauche» au point où qu'ils mésestiment les objectifs entièrement inoffensifs d'un gouvernement de Corbyn.

«La démocratie va l'emporter. Nous devons défendre notre processus démocratique ... et rester unis contre ceux qui chercheraient à nous priver de nos droits ou qui nous diviseraient», a-t-il déclaré. La démocratie était «au cœur même» des «valeurs britanniques ... nos campagnes électorales générales sont les pièces maîtresses de notre démocratie ...»

Sa loyauté envers l'État capitaliste britannique ne devrait pas être mise en doute. La raison d’être du «Parti travailliste était de rassembler les gens de notre pays», a-t-il conclu. «Que nos débats aient lieu sans contester le patriotisme de quiconque et sans diluer l'unité qui nous rassemble contre la terreur.»

Il ne fait aucun doute que l'appel de Corbyn pour une unité englobant tout le monde, des travailleurs du secteur public aux soldats, et pour la démocratie et une politique étrangère plus raisonnable, sera attrayant pour de larges couches de travailleurs et de jeunes. Mais dans son costume élégant et sa barbe nouvellement taillée, Corbyn et ses partisans espèrent qu'il réussira aussi à convaincre un public cible plus important dans les salles de conseil, les banques, les bureaux de rédaction et les centres de commandement militaire de la Grande-Bretagne.

(Article paru en anglais le 27 mai 2017)

 

 

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