Avant le second tour des présidentielles le 7 mai entre l'ex-banquier Emmanuel Macron et la dirigeante du Front national (FN), Marine Le Pen, Les Républicains (LR) de droite font face à une scission profonde qui menace de faire disparaître le mouvement gaulliste. Le système des deux grands partis en France depuis 1968, dans lequel le pouvoir alternait entre différentes ailes du mouvement gaulliste et le Parti socialiste (PS), s'effondre rapidement.
La campagne présidentielle de LR a été gravement endommagée lorsque son candidat, François Fillon, a été pris dans un scandale de corruption après avoir proposé une alliance avec Berlin et Moscou contre Washington. Après l'élimination du candidat de Fillon et du candidat du PS, Benoît Hamon, au premier tour, LR est amèrement divisé entre les défenseurs d'un vote pour Macron et des sections de LR plus proches du FN néo-fasciste.
Mercredi, le responsable de la campagne pour les élections législatives de LR, François Baroin, a déclaré que les sénateurs qui ont appelé à un vote Le Pen au deuxième tour ou qui ont ouvertement rejoint le mouvement « En Marche » (EM) de Emmanuel Macron pour se présenter aux élections législatives de juin seraient expulsés. Après le premier tour, Baroin a déclaré qu'il voterait « personnellement » pour Macron. Cependant, il a ensuite déclaré à la radio RTL : « Tous ceux qui se rapprochent du Front national seront exclus […] tous ceux qui se rapprochent de Macron avant les législatives: même tarif. »
Les responsables de la LR ont également réagi brusquement à promotion de Le Pen par Nicolas Dupont-Aignan, plus de droite que LR, cette semaine. Sur Twitter, le politicien vétéran Dominique Bussereau, ministre du gouvernement de Fillon, a dénoncé Dupont-Aignan comme un fasciste, déclarant : « Le soi-disant gaulliste, mais en réalité un pétainiste [un partisan du maréchal dictateur Philippe Pétain qui collaborait avec des nazis], Dupont-Aignan, qui doit être battu dans les législatives et ainsi que dans sa municipalité. Un véritable collaborateur ! »
Ces commentaires se font au moment où des conflits dans LR et sa périphérie éclatent. Après son élimination au premier tour, Fillon a appelé à un vote en faveur de Macron contre Le Pen, bien qu'il ait fait campagne en faveur du sentiment d'extrême droite, y compris le mouvement anti-homosexuel « La Manif pour tous » (LMPT).
D'autres responsables de LR qui appuient Macron comprennent l'ancien président Nicolas Sarkozy, les anciens premiers ministres Alain Juppé et Jean-Pierre Raffarin, et Xavier Bertrand. Après le premier tour, Juppé a déclaré : « Sans hésiter, je choisis ce dimanche soir d'apporter mon soutien à Emmanuel Macron dans son duel avec l'extrême droite, une extrême droite qui conduirait la France au désastre. »
Bertrand a déclaré à Le Point qu'il avertissait « mes amis politiques qui refusent d'appeler à voter contre Le Pen : une présidentielle, c'est un choix de société que nous souhaitons », ajoutant que LR était confrontée au « danger d'implosion ».
Bien que beaucoup de responsables de LR se rallient à Macron, plusieurs membres de LR proches de Sarkozy refusent de choisir entre Macron et Le Pen. Ils comprennent Henri Guaino, l'auteur des discours de Sarkozy pendant sa présidence et un partisan des appels nationalistes d'extrême droite aux électeurs du FN ; le vice-président de LR, Laurent Wauquiez ; et les membres de LR en vue : Christine Boutin, Eric Ciotti et Thierry Mariani. Guaino a déclaré : « Voter pour Macron c'est voter pour le système auquel je m'oppose. »
Wauquiez a refusé d’appuyer Macron et a appelé LR à se concentrer sur les élections législatives de juin : « Je refuse que la seule réponse de ma famille politique soit de se rassembler derrière Emmanuel Macron. Je vais être clair : je ne participerai pas à une coalition autour de Macron, car nous ne partageons pas les mêmes convictions. »
Une couche de responsables de LR, dont Éric Woerth et le président du Sénat français, Gérard Larcher, avertissent que le parti risque de faire scission si ces conflits continuent. Larcher a déclaré que les obligations de LR comprenaient « celle de ne pas faire exploser notre famille politique [...] et ne pas ajouter au goût amer de la défaite les délices de la division qui nous conduiraient à l'implosion. »
Ces remarques soulignent la crise historique qui déchire l'établissement politique français, au moment où il se déplace loin vers la droite.
LR descend des forces qui prétendaient représenter l'héritage du général Charles de Gaulle, le chef de la plupart des forces pro-capitalistes de la Résistance française pendant la Seconde Guerre mondiale, qui s'étaient alliées avec le Parti communiste français stalinien (PCR) contre les nazis sous l’Occupation. De Gaulle et le PCF ont supprimé les luttes révolutionnaires qui ont éclaté dans la classe ouvrière après l'effondrement du régime français collaborateur avec des nazis. Ils ont permis à bon nombre de ses principaux collaborateurs d'échapper aux poursuites et de fonder des partis de premier plan dans la France d'après-guerre, y compris le FN et le Parti socialiste.
La base objective pour les appels patriotiques de De Gaulle et la politique de collaboration de classe du PCF était l'aide financière massive accordée par Washington à l'Europe afin d'éviter la révolution sociale et de reconstruire le capitalisme européen après la Seconde Guerre mondiale. S'appuyant sur l'héritage politique de l'alliance pendant la guerre avec le stalinisme, les gaullistes pourraient fonder leur pouvoir sur des concessions limitées, mais tangibles, et des promesses à la classe ouvrière dans les décennies juste après la guerre.
Ils ont promis d'expulser les « aristocraties économiques et financières » du contrôle de l'économie capitaliste, de mettre en place un État-providence social basé sur les droits démocratiques et de veiller à ce que l'Europe ne revienne pas de nouveau au carnage des deux guerres mondiales.
Ces mécanismes ont été irrévocablement brisés après la dissolution de l'Union soviétique, l'effondrement des partis staliniens et la crise profonde du capitalisme européen post-soviétique. Les concessions sociales qui ont jeté les bases de la collaboration du PCF avec De Gaulle et les contraintes militaires sur les états impérialistes européens imposés par l'URSS ont disparu. Maintenant, l'Union européenne (UE) fonctionne comme une machine pour imposer l'austérité et la guerre, et les droits démocratiques ont été suspendus en France pendant deux ans sous l'état d'urgence du PS.
Au fil des décennies, les invocations de De Gaulle par LR sont devenues une rhétorique vide qui n'a nullement unifié ses factions. Ils ont tous tourné plus loin vers la droite, en appuyant notamment la stratégie de Sarkozy et Guaino pour faire appel aux électeurs du FN pendant le mandat de Sarkozy en 2007-12.
Macron ne représente pas un moindre mal que Le Pen, mais une autre étape de l'offensive contre-révolutionnaire du capitalisme européen contre les travailleurs. Ancien ministre du Parti socialiste, il s'est engagé non seulement à maintenir l'état d'urgence du PS et à imposer une austérité draconienne à l'aide de sa Loi travail réactionnaire, mais à ramener le service militaire afin de faire face à ce qu'il anticipe comme toute une époque de guerres.
L'effondrement du système bipartite et l'évolution vers la droite de l'ensemble de l'establishment politique ont confirmé l'analyse du Parti de l'égalité socialiste (PES). Il appelle à un boycott actif de l'élection présidentielle, à exposer les politiques réactionnaires de Macron et Le Pen, de promouvoir l’opposition à ces politiques auprès des travailleurs et des jeunes et de combattre pour mobiliser la classe ouvrière dans les grèves et les manifestations sur une perspective révolutionnaire et internationaliste contre le candidat de droite, quel qu'il soit, qui gagnera la présidence dimanche.
(Article paru d’abord en anglais le 5 mai 2017)