Des liens établis entre le réseau néo-nazi dans l’armée allemande et « le Mouvement identitaire »

Il devient de plus en plus évident que la cellule terroriste d’extrême droite autour du premier lieutenant Franco A. fait partie d’un large réseau néo-nazi dans l’armée allemande. Ce réseau est manifestement lié au « Mouvement identitaire ».

Jeudi dernier, la chaîne de télévision NDR (Redaktionsnetzwerk Deutschland) a fait un reportage sur un officier aspirant de l’armée qui a admis avoir eu des communications téléphoniques avec Franco A. Cet aspirant est suspecté d’avoir volé deux mitrailleuses et un pistolet dans un char sur un terrain d’entraînement de l’armée à Munster [en Basse-Saxe, ndt] en février de cette année. Il a été établi qu’il était sur le lieu où l’incident s’est produit.

NDR a fondé son reportage sur les informations de la Commission parlementaire de la défense, qui s’est réunie à huis clos mercredi dernier. Le suspect serait un étudiant de l’Université de la Bundeswehr (armée allemande) à Munich qui aurait eu un contact avec le « Mouvement identitaire » de l’extrême droite. Les armes volées sont compatibles avec les armes trouvées en la possession du complice soupçonné de Franco A., l’étudiant Matthias F.

NDR a rapporté que l’officier aspirant a échangé des messages sur Facebook avec un second complice, Maximilian T, peu avant le vol à Munster. Les armes volées n’ont pas été retrouvées.

Les officiers de l’armée, Franco A. et Maximilian T., ainsi que l’étudiant Matthias F., ont été arrêtés. Ils sont accusés de préparer un grave acte criminel mettant en danger l’État. Ils auraient acquis des armes et identifié des cibles potentielles pour un attentat terroriste, dont l’ancien président Joachim Gauck et le ministre de la Justice, Heiko Maas. Franco A. s’est créé une deuxième identité, celle d’un réfugié syrien, afin de faire porter la responsabilité d’une telle attaque aux demandeurs d’asile.

Les dernières informations confirment que la cellule terroriste présumée fait partie d’un réseau d’extrémistes de droite beaucoup plus répandu dans l’armée. En plus de l’officier aspirant, des enquêtes sont en cours sur trois autres étudiants de l’université de la Bundeswehr à Munich. Des soldats à Bremerhaven, Torgelow (Mecklembourg-Poméranie), Bischofswiesen (Bavière) et Munster sont également concernés. Certains des suspects sont liés au Mouvement identitaire.

Il s’agit d’un groupe d’extrême droite qui défend le racisme culturel et compte quelque 400 membres en Allemagne. « Leurs membres principaux viennent des jeunes du NPD (Parti national démocrate), des groupes d’étudiants extrémistes, et même de l’organisation nazie interdite la Jeunesse loyale pour la Patrie allemande (HDJ) », a écrit Die Zeit.

Aucune preuve concrète des liens entre le groupe et le réseau néo-nazi n’a encore été publiée. Mais le groupe serait extrêmement actif à l’université de la Bundeswehr à Munich où Maximilian T’a étudié. Déjà en 2011, plusieurs médias ont rapporté que trois auteurs écrivant pour le nouveau journal de droite Sezession avaient lancé conjointement la prise de contrôle du journal étudiant Campus par le Mouvement identitaire. Selon le Süddeutsche Zeitung, le personnel de l’université craignait « que des tentatives soient en cours pour saturer le journal des étudiants avec le programme politique de la nouvelle droite. »

Mais on a laissé les trois étudiants assez tranquilles et ces derniers ont élargi leur réseau au cours de leurs carrières d’officiers. En 2013, ils ont publié conjointement le livre Soldatla Recherche de l’identité de la Bundeswehr et la vocation aujourd’hui, qui a été célébré par les journaux d’extrême droite et présenté par les auteurs à la Bibliothèque du Conservatisme à Berlin.

L’un des trois auteurs, le lieutenant Félix S., est aujourd’hui l’un des personnages de premier plan du Mouvement identitaire. Il figure dans les vidéos de campagne, défile dans les manifestations xénophobes et écrit sur les sites web de la nouvelle droite. Il ne s’en cache pas.

Le livre Soldats a été financé par la Fondation de l’Association de l’armée allemande. Ni l’Université de la Bundeswehr, ni le Service de surveillance militaire (MAD) n’ont répondu aux demandes du Süddeutsche Zeitung de commenter la question, ce qui indique une dissimulation officielle des forces néo-nazies.

Un coup d’œil sur la liste des auteurs dans le livre publié par le Mouvement identitaire à Munich montre à quel point ces réseaux de droite sont répandus. L’un des auteurs est Marcel Bohnert, un major de l’armée qui a participé au programme de formation de l’état-major à l’Académie militaire des forces armées allemandes de Hambourg. Il a publié deux ouvrages militaristes qui ont fait les gros titres des journaux en raison de leurs tendances antidémocratiques et de leur révisionnisme historique.

Dans le livre de 2014 L’Armée en agitation, 16 officiers ont écrit sur leur conception de l’armée. Ces officiers se représentent comme une élite qui contraste avec une société « hédoniste et individualiste » qui se concentre sur « la réalisation de soi, motivée par le consumérisme, le pacifisme et l’égoïsme. » Selon les auteurs, cette société n’a aucune compréhension de « la poursuite de l’honneur à travers une grande volonté de sacrifice » pour un « idéal patriotique du peuple et de la patrie » et pour « le courage, la loyauté et l’honneur. »

Des thèses similaires, ainsi que l’étouffement explicite des crimes nazis, ont été avancées dans le livre de 2016 Les anciens combattants invisibles. Le livre affirme que les Blitzkriegs nazis et les « triomphes militaires » qui leur étaient associés résultaient de la « détermination » des officiers impliqués, alors que dans la Bundeswehr d’aujourd’hui, « le dirigeant qui apprécie de prendre des décisions n’est plus désiré. » Au lieu de cela, « le fonctionnaire bureaucrate » serait l’idéal.

Le livre poursuit : « La clientèle [qui est] ciblée pour le recrutement est plus axé sur les bienfaits du service public que sur la notion de sacrifice pour servir », y compris au lieu d’une volonté de « sacrifier sa vie. » Il indique en outre : « "L’instinct guerrier » est rejeté. La seule chose qui reste est l’âme des bureaucrates. »

Le livre préconise en opposition à cela l’idéal d’un « esprit » de « volonté de sacrifice, de courage et de camaraderie », qui « existait dans l’armée jusqu’à la retraite de ces généraux forgés lors de la Seconde Guerre mondiale. »

Les cliques de droite pénètrent bien au-delà du corps des officiers. L’éditeur de ces deux volumes a été invité à écrire un commentaire dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung trois jours après l’arrestation de Franco A. Dans l’article, il a prévenu qu’il ne faudrait pas diaboliser la « rigueur militaire ». « Mettre l’accent là-dessus dans la formation des soldats est une condition préalable essentielle pour s’assurer qu’ils seront capables de faire face aux difficultés de la réalité opérationnelle. »

Un jour après que le Comité parlementaire de la défense a été informé des liens possibles entre la cellule terroriste et le Mouvement identitaire, la Frankfurter Allgemeine Zeitung a publié un article de Gerald Wagner qui défendait explicitement le point de vue du major Bohnert. Il a déclaré qu’il a compris la « capacité militaire de se battre », non dans le sens de la technologie et de l’armement, mais « plutôt comme la supériorité mentale d’une élite formée à cet effet. »

Il a également explicitement défendu les deux livres de Bohnert et le volume militariste publié par la clique de droite de Munich. Les officiers voulaient « construire des ponts, sans cacher l’essence d’un soldat spécial », selon Wagner. Les auteurs ont considéré « la capacité des experts de la force militaire à utiliser la force de manière responsable » comme « le meilleur moyen de se prémunir contre les excès en question. » Que le public refuse maintenant de « reconnaître leur capacité à diriger » représente pour lui une « déception particulièrement humiliante. »

Le seul problème qui se présentait à Wagner a été que certaines de ces déclarations étaient « accompagnées par l’odeur désagréable de la supériorité. » Il a ajouté, avec regret : « Le dommage est que cela incite la société à éviter le défi et au contraire à considérer des termes comme la nation, l’honneur, la loyauté, l’obéissance, la bravoure, l’élite et l’esprit de combat comme venant de l’ennemi intérieur. »

(Article paru en anglais le 23 mai 2017)

 

 

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