Les conservateurs baissent dans les sondages, les médias britanniques lancent l’offensive contre Corbyn

L’émission électorale télévisée de lundi soir appelée Battle for Number 10 [Bataille pour occuper la résidence de 10 Downing Street du premier ministre britannique] où les candidats, l’actuelle Première ministre des conservateurs Theresa May et le chef du Parti travailliste Jeremy Corbyn ont été interrogés, était l’occasion de façonner l’opinion publique dans le sens voulu par la classe dirigeante britannique.

L’émission proposée par Sky News et Channel 4 a été soigneusement orchestrée. May et Corbyn ont été interrogés séparément pendant seulement 20 minutes par un public trié sur le volet. Les deux ont ensuite été interrogés, également séparément, pendant seulement 18 minutes par le journaliste de la BBC Jeremy Paxman.

Ce jeu complexe a été rendue nécessaire car May, comme son prédécesseur conservateur, David Cameron, refuse de participer à un débat politique avec ses adversaires.

Sky News a déclaré que « les spectateurs sur le plateau ont été choisis selon les critères de l’équité », composés d’un tiers de conservateurs, un tiers de travaillistes et un tiers d’indécis. Mais les questions posées aux deux candidats ne relevaient guère de « l’équité », et Paxman s’assurait que Corbyn avait droit à une interrogation beaucoup plus hostile que celle réservée à May.

Corbyn a pris une question de quelqu’un qui s’est présenté comme issu d’une famille votant traditionnellement travailliste dont les « parents avaient des manières simples ». Mais il s’est avéré qu’il était un petit homme d’affaires ne voulant pas voter pour Corbyn, car il s’opposait à « la politique impitoyable à court terme » de Corbyn qui prévoit une hausse des impôts sue les sociétés à 26 pour cent, la fin des contrats zéro heure et l’introduction d’un salaire minimum de 10 livres sterling de l’heure (autour de 9 euros).

Corbyn a été cuisiné la plus part du temps au motif qu’il était pour faire marche arrière sur la politique étrangère agressive poursuivie par la Grande-Bretagne, et trop mou contre le terrorisme et qu’il représenterait un danger pour la sécurité nationale.

La première question présélectionnée du public adressée à Corbyn était pourquoi, à la lumière de l’attentat de Manchester lundi dernier, était-il prêt à « adoucir notre politique étrangère » au Moyen-Orient. Le même interlocuteur a poursuivi en demandant : « Seriez-vous disposé à vous détourner d’une intervention militaire qui s’avère être nécessaire dans cette région en soutien à la coalition qui lutte contre l’État islamique ? »

Paxman a continué sur ce thème avec une série de questions qui le dépeignaient comme un communiste caché qui se présente à l’élection sur un programme auquel il ne croit pas. Une des questions posées à Corbyn par Paxman, mettait en cause sa fiabilité pour défendre la sécurité nationale et le financement des services de renseignement compte tenu du fait que son ministre fantôme des finances, John McDonnell avait déjà prôné la dissolution du service secret MI5.

Paxman a lancé une attaque bizarre pour savoir si Corbyn en tant que premier ministre autoriserait une frappe par drone contre un individu, avec un préavis de 20 minutes. Corbyn a été réprimandé pour avoir répondu, « Je voudrais connaître les circonstances ».

L’accueil que Paxman a réservé à Theresa May était tout à fait courtois en comparaison. Le plus frappant était le fait que, alors que Corbyn était accusé d’être un « ami » de groupes terroristes tels que l’armée républicaine irlandaise dans les années 1980 et le Hamas, Paxman n’a pas posé une seule question concernant la responsabilité de May pour l’attentat-suicide de la semaine dernière à Manchester.

May a été ministre de l’Intérieur pendant six ans, période au cours de laquelle la famille de Salman Abedi a travaillé avec les services de sécurité de la Grande-Bretagne dans son opération de changement de régime de 2011 pour déposer le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi. Quelques heures après le massacre de 22 personnes à la Manchester Arena par Abedi, il a été révélé qu’il était bien connu du renseignement britannique et avait été autorisé à voyager librement en Libye et en Syrie pour recevoir une formation sur le maniement des armes.

La seule mention de l’attentat de Manchester à l’intention de May provenait d’un agent de police, qui, en affirmant que l’incident a démontré le besoin de déployer plus de policiers dans les rues, voulait savoir combien de policiers May avait-elle l’intention de recruter et comment cela serait financé.

May, la candidate privilégiée de l’élite dirigeante et de l’armée, fait l’objet d’une campagne de mise en valeur après avoir subi des dégâts importants, surtout en raison de son engagement programmatique d’obliger les retraités à vendre leurs maisons pour payer les soins de santé. Les sondages préélectoraux avaient donné les conservateurs en tête de 25 points. Dès le jour de l’attentat, cette avance avait diminué à 15 ou à moins de 10 pour cent.

Cependant, dans la mesure où Paxman a pu marquer des points contre Corbyn, c’était en soulignant combien de fois il avait répudié les positions qu’il professait défendre autrefois comme des questions de principe. Paxman l’a fait pour gêner Corbyn, mais les réponses de Corbyn, évasives comme elles le sont souvent, ont souligné jusqu’où il est allé dans sa capitulation devant la droite de son parti depuis qu’il en est devenu le chef.

Paxman a pu souligner : « En 2013, vous avez déclaré que les banques devraient être des propriétés publiques. Ce n’est pas dans le manifeste actuel ? »

Corbyn a insisté sur le fait que ce que lui et McDonnell ont dit dans le passé est bel et bien et derrière eux.

Le présentateur Faisal Islam a demandé à Corbyn si en tant que Premier ministre, il rédigerait « les lettres de dernier recours » (les instructions pour l’utilisation d’armes nucléaires) aux commandants de sous-marins Trident détaillant ce qu’ils devraient faire dans le cas où la Grande-Bretagne serait soumise à une attaque nucléaire. Il a répondu : « J’écrirai la lettre appropriée à nos commandants, qui sont évidemment très responsables, de très loyaux officiers de la marine. »

En réponse à la question du membre du public qui l’accuse de « ramollir » la politique étrangère du Royaume-Uni, il s’est efforcé de souligner que son seul objectif était « d’avoir une politique étrangère qui ne laisse pas de vastes régions sans un véritable gouvernement – comme en Libye à l’heure actuelle – qui peuvent devenir un terrain fertile en dangers pour nous tous » ce après quoi il s’est engagé à « déployer 10 000 policiers supplémentaires dans nos rues ».

Il a déclaré que le Parti travailliste, après le Brexit, allait « gérer » l’immigration et que « probablement » celle-ci ne serait pas plus élevée qu’aujourd’hui et serait probablement en baisse, car le Parti travailliste embaucherait plus de travailleurs britanniques.

Dans un moment consternant, Corbyn a répondu à une question sur la raison pour laquelle le manifeste du Parti travailliste n’appelle pas à l’abolition de la monarchie. Corbyn a répondu franchement : « Regardez, il n’y a rien là-dedans, car nous ne le ferons pas […] Cela ne fait partie du programme de personne, ce n’est certainement pas dans mon agenda et, savez-vous, j’ai eu un très bon entretien avec la reine. »

Malgré toutes les capitulations qu’il a faites, l’élite dirigeante dans sa majorité s’oppose violemment à un gouvernement dirigé par Corbyn, de peur qu’il n’attise, dans un pays profondément polarisé socialement, un sentiment anti-guerre et anti-austérité. En effet des émissions telles que Battle for number 10 sont si clairement biaisés que des sections de l’establishment craignent que cela n’encourage le soutien pour Corbyn.

Le lendemain de l’émission, David Dimbleby de la BBC a parlé du traitement réservé à Corbyn. Dimbleby devra présenter son émission semblable à celle de Paxman ce vendredi, appelée Question Time. Dans un entretien accordé à Radio Times, Dimbleby a déclaré, « Je ne pense pas qu’on puisse dire que Corbyn a reçu un traitement équitable aux mains des médias, de la manière que le Parti travailliste en a connu quand il était plus au centre, mais vous savez, on a généralement une presse de droite. » Il a noté : « Ce qui est intéressant, c’est que beaucoup de partisans travaillistes aiment vraiment et croient dans les messages que Jeremy Corbyn apporte. » Il a ajouté qu’en ce qui concerne l’opposition de l’aile droite du Parti travailliste à Corbyn, « Ce ne sont pas des députés gagnés à sa cause à lui dans la Chambre des communes nécessairement, mais il y a beaucoup de soutien dans le pays. »

(Article paru en anglais le 31 mai 2017)

 

 

 

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