La France et l’Allemagne utilisent la sortie des États-Unis de l’accord sur le climat pour leurs intérêts géopolitiques

La décision du président américain Donald Trump de sortir de l’accord de Paris sur le changement climatique a suscité des dénonciations de la part des principaux politiciens européens, dont la chancelière allemande Angela Merkel et le président français, Emmanuel Macron.

Merkel a exhorté « tous ceux pour qui l’avenir de notre planète est un enjeu important » à continuer ensemble dans la voie engagée afin de réussir pour notre mère la Terre. » Elle a ajouté : « Rien ne peut et ne pourra nous arrêter […] Nous sommes plus déterminés que jamais à conjuguer toutes les forces en Allemagne, en Europe et dans le monde. »

Une heure après l’annonce de Trump, Macron a lancé un appel vidéo en français et en anglais (une nouveauté historique pour le palais de l’Élysée) à la population mondiale. Il a reproché au président américain d’avoir commis une erreur majeure, paraphrasant son slogan électoral de « Rendre sa grandeur à notre planète ».

Derrière leurs déclarations mélodramatiques, Merkel et Macron profitent de la discorde avec le président américain et de la sortie de la Grande-Bretagne de l’Union européenne pour faire de l’UE une grande puissance capable de rivaliser avec les États-Unis à la recherche de marchés mondiaux, d’opportunités d’investissement et d’une influence stratégique.

Suite au retrait américain, l’Europe a serré les rangs. Dans une déclaration conjointe, l’Allemagne, la France et l’Italie ont rejeté l’appel de Trump à une renégociation des objectifs climatiques. La Première ministre britannique Theresa May a refusé de signer la déclaration, mais a également exprimé sa « déception » quant à la décision de Trump.

Alors que Trump annonçait à Washington la sortie des États-Unis de l’accord sur le changement climatique, Merkel accueillait à Berlin d’abord le Premier ministre indien Narendra Modi puis le Premier ministre chinois Li Keqiang. Pendant que des contrats commerciaux de plusieurs milliards étaient signés en coulisses, l’attention à chacune des rencontres était focalisée sur l’engagement à respecter l’accord sur le climat.

Après la visite de Modi, Merkel a félicité l’Inde d’avoir « pris une part active à la mise en œuvre de l’accord sur le climat. » Modi a répondu en allemand via Twitter : « Je suis sûr que cette visite aboutira à des résultats bénéfiques en approfondissant l’amitié germano-indienne. »

À Berlin, Li a proclamé : « La Chine assumera ses responsabilités internationales. » Elle assurera « inébranlablement » son engagement envers la lutte contre le réchauffement climatique, a-t-il déclaré, en visant à atteindre « pas à pas » ses objectifs de réduction des émissions. De Berlin, il s’est envolé pour Bruxelles, où était prévue une déclaration conjointe avec les dirigeants de l’UE réaffirmant leur attachement à l’accord de Paris. Mais, la déclaration ne vit pas le jour par suite de divergences sur des questions de politique commerciale.

La Chine tient à se profiler comme une puissance mondiale fiable en sonnant simultanément le début de la fin de l’époque américaine », a déclaré le Frankfurter Allgemeine Zeitung. Un autre commentaire dans le même journal remarque : « Donald Trump ne devrait pas se faire d’illusions. L’Allemagne s’emploie actuellement assidûment à forger de nouvelles alliances dans les domaines du climat et de la politique commerciale. Avec la Chine et l’Inde. »

L’accord de Paris, conclu en 2015, n’oblige pas les États à mettre en œuvre des mesures concrètes. Chaque pays peut fixer ses propres objectifs et la Chine qui, derrière les États-Unis, émet de loin le plus de CO2, ne doit réduire ses émissions qu’après 2030.

Mais la politique du changement climatique est devenue depuis longtemps un instrument important de la politique de puissance mondiale. Spiegel Online a constaté avec enthousiasme dans deux articles quelles sont les opportunités que le retrait américain procurerait aux entreprises allemandes et à la politique étrangère.

Dans un papier intitulé « Rien ne sert de se lamenter », Feit Medick a qualifié le retrait de Trump de l’accord de « déclaration de faillite politique et morale des États-Unis. » L’avantage en est que « nous pouvons décider de ce qui se passe ensuite, et pas Washington. »

La protection du climat n’est « aujourd’hui souvent plus considérée comme un obstacle mais comme une opportunité », a poursuivi Medick. Il y va « des emplois, de l’innovation, des relations et surtout du leadership politique […] si la chancelière prend au sérieux ses propos de prendre son sort entre ses propres mains, elle peut tout de suite se mettre au travail et trouver la meilleure manière de préserver l’alliance affaiblie pour le climat. »

L’Amérique subira « en partie automatiquement mais aussi en partie par nos actions » les conséquences du retrait, a averti Spiegel Online. Trump s’étant « lui-même mis dans une terrible position avec sa décision enfantine d’annuler l’accord. » « Sur le commerce, la finance et jusqu’aux questions de ventes d’armes […] la volonté d’accéder aux désirs de Washington, mis à part pour la guerre contre le terrorisme, s’affaibli[ra] considérablement. »

Un autre article publié par Spiegel Online sous le titre « Ce que la sortie des États-Unis signifie pour le monde », énumère, point par point, les inconvénients allant de pair avec le retrait.

« Les pourparlers sur le changement climatique à l’ONU », affirme l’article, « sont devenus une étape importante pour les échanges diplomatiques. » L’enjeu n’est pas la réduction des gaz à effet de serre, mais « l’aide au développement, les incitations économiques, la réorganisation de l’approvisionnement énergétique – c’est avant tout une question de gros sous, « des contrats [deals]", comme dirait Trump. Quiconque ne participe pas aux négociations perd de l’influence. »

Si un pays a besoin d’« arguments lui permettant de convaincre des États sur d’autres questions […] des négociations commerciales lors des négociations sur le climat [pourraient] être convaincantes. » La Chine est en train de construit « l’infrastructure africaine à une grande échelle, ce qui garantit là-bas à la République populaire de l’influence et des relations commerciales. »

Le retrait de l’accord mondial sur le climat « aura des conséquences désavantageuses pour l’influence politique mondiale des États-Unis. » Ils perdront également des « contrats valant plusieurs milliards », qui sont signés lors du processus d’élaboration de l’accord. Les ressources financières promises aux pays les plus pauvres dans le cadre de l’accord « ne sont pas essentiellement des dons, mais des projets de développement dans lesquels des entreprises des pays fournissant les fonds sont impliquées. »

« Avec le retrait de l’accord sur le climat », a conclu Spiegel Online, les États-Unis abandonnent « un grand secteur d’activités de l’économie à d’autres pays : les énergies renouvelables. » L’Allemagne avait « convenu, dans le cadre des négociations sur le climat, l’expansion des énergies renouvelables en Inde – un projet offrant des avantages aux deux pays. »

(Article original paru le 3 juin 2017)

 

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