Décès de l’ancien chancelier allemand Helmut Kohl

Rarement les éloges d’un politicien ont été aussi excessifs et unanimes que dans le cas de Helmut Kohl (chrétien-démocrate, CDU) qui fut chancelier allemand de 1982 à 1998 et qui est mort vendredi à l’âge de 87 ans. 

La chancelière allemande, et présidente de la CDU, Angela Merkel, a décrit Kohl comme un « grand Allemand », un « grand Européen » et le « chancelier de l’unité ». Le candidat social-démocrate (SPD) à la chancellerie, Martin Schulz, a fait son éloge dans les mêmes termes exactement.

Tous deux, le dirigeant du parti des Verts et son président du groupe parlementaire, ont écrit que : « Helmut Kohl était un grand Européen qui savait que la paix ne pouvait exister que dans une Europe unie. » Et, même le quatuor de tête du parti Die Linke (La Gauche) a déclaré : « Helmut Kohl a plus influencé la République fédérale avant le tournant du millénaire que la plupart des autres personnalités politiques. Au-delà de toutes les différences politiques, nous ressentons aujourd’hui de la tristesse devant la perte d’un grand Européen. »

Le président de la Commission de l’Union européenne (UE), Jean-Claude Juncker, a ordonné que les drapeaux soient mis en berne à Bruxelles et a annoncé une cérémonie officielle européenne en hommage à Kohl, une première historique. Le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, a décrit Kohl comme « la personnification d’une Allemagne unie dans une Europe unie. » Et le président Emmanuel Macron s’est enthousiasmé sur l’« artisan de l’Allemagne unie et de l’amitié franco-allemande. »

Le président russe Vladimir Poutine et le dernier président de l’Union soviétique, Mikhaïl Gorbatchev, se sont exprimé depuis Moscou. Poutine a loué la « sagesse » de Kohl et a déclaré qu’il avait joué un rôle clé pour mettre un terme à la guerre froide et contribuer à la réunification de l’Allemagne. Gorbatchev lui a rendu hommage en tant que « chancelier de l’unité allemande » qui a laissé une empreinte définitive dans l’histoire du monde.

Ces chants de louange n’ont pas tant à voir avec le véritable Kohl qu’avec les exigences présentes de la classe dirigeante et de ses représentants politiques. Ils célèbrent Kohl et le glorifient comme un symbole du retour à la politique de grande puissance de l’Allemagne et de l’Europe.

Les travailleurs qui ont connu Kohl politiquement gardent un souvenir très différent de lui. Ils l’ont connu comme un politicien socialement et politiquement réactionnaire, qui est à l’origine de la redistribution des revenus et de la richesse aux riches et qui n’a cessé à ce jour, et qui avait promis des « paysages florissants » aux Allemands de l’est avant d’organiser un programme de démolition industrielle et sociale sans précédent.

L’arrivée au pouvoir de Kohl

Kohl fut le premier chancelier allemand à n’avoir pas connu la fin du régime nazi à l’âge adulte mais en tant que jeune. Né à Ludwigshafen en 1930, il avait rejoint la CDU comme collégien de 16 ans pour grimper rapidement les échelons au sein de la fédération régionale du Land de Rhénanie-Palatinat. Les soutiens financiers et politiques les plus importants de Kohl comprenaient l’industriel Fritz Ries (Pegulan) qui a fait fortune sous le Troisième Reich grâce à l’aryanisation des entreprises juives et à l’exploitation des travailleurs forcés juifs.

Par la suite, Kohl essaiera de faire valoir sa naissance tardive pour tourner la page du passé nazi, sans toutefois y parvenir. Des manifestations internationales éclatèrent en 1985, lorsque aux côtés du président américain Ronald Reagan, il déposa une couronne au cimetière militaire de Bitburg où sont enterrés des membres des Waffen-SS.

En 1969, à l’âge de 39 ans, Kohl fut élu ministre-président de Rhénanie-Palatinat. Pour la première fois, la même année, la CDU perdait le pouvoir au niveau fédéral. La grande coalition qui existait sous l’ex-nazi Kurt Georg Kiesinger fut remplacée par une coalition dirigée par Willy Brandt entre le Parti social-démocrate (SPD) et le parti libéral démocrate (FDP) pro-patronal. Cela avait suivi des révoltes d’étudiants et à une vague de grèves militantes, que Brandt avait cherché à maîtriser en octroyant des concessions d’ordre démocratique et social.

Face à plusieurs rivaux, Kohl finit par s’imposer lors des conflits internes du parti qui suivirent la perte de pouvoir du CDU. Beaucoup le considéraient comme un politicien provincial arriéré. Mais, sa force résidait dans sa capacité à créer des réseaux politiques. Kohl fut considéré sa vie durant comme un politicien qui récompensait la loyauté et qui ne pardonnait jamais rien à ses adversaires.

En 1974, Helmut Schmidt remplaça Brandt comme chancelier, une fois de plus dans une coalition avec le FDP. Bien que le chômage ait explosé en raison de la crise économique mondiale, le gouvernement Schmidt entama le processus d’annulation des réformes sociales introduites précédemment. Ceci entraîna une profonde crise au sein du SPD qui s’intensifia lorsque des centaines de milliers descendirent dans la rue pour protester contre l’installation en Allemagne de missiles nucléaires américains Pershing II, que Schmidt soutenait, et que les Verts firent figure de concurrents du SPD.

En 1982, Kohl réussit à persuader les libéraux-démocrates de rompre leur alliance avec le SDP et de former une nouvelle coalition avec la CDU, pour se faire élire chancelier, sans élections parlementaires, lors d’une motion de censure constructive. Il remporta ensuite les élections fédérales de 1983 face à un SPD affaibli.

L’ascension de Kohl était liée à une offensive internationale de la bourgeoisie. Thatcher en Grande-Bretagne et Reagan aux États-Unis ont lancé des attaques brutales contre la classe ouvrière. Kohl a poursuivi ce même cap. Mais, en raison de l’étroite coopération des syndicats avec son gouvernement, cela ne donna pas lieu à de grandes luttes ouvrières.

Et pourtant, le mandat de chancelier de Kohl semblait arriver à son terme à la fin des années 1980 au moment où le militantisme augmentait chez les travailleurs. L’effondrement de la République démocratique allemande (RDA) le sauva.

La réunification allemande

Décrire Kohl comme l’architecte de l’unité allemande tient de la légende. Il fut tout aussi surpris par les événements survenus en Union soviétique et en RDA que n’importe quel autre politicien. Si on lui avait dit à l’automne 1988 qu’il serait chancelier d’une Allemagne unie d’ici deux ans, il aurait qualifié ce genre de discours de risible.

La force motrice derrière la réintroduction du capitalisme n’a pas été Kohl, mais le régime de Gorbatchev à Moscou et la bureaucratie du SED (Parti socialiste unifié d’Allemagne) à Berlin-est. Gorbatchev incarnait l’aile de la bureaucratie stalinienne qui avait réagi à l’opposition croissante au sein de la classe ouvrière, qui s’était exprimée avant tout dans le soulèvement de Solidarnosc en Pologne, en décidant de restaurer les relations de propriété capitalistes.

Le SED mit le cap sur l’unité allemande lorsqu’il devint évident qu’il avait perdu le soutien de Gorbatchev. Le chef de file de longue date du parti Erich Honecker fut rapidement démis de son poste. Hans Modrow, le nouveau premier ministre, proposa dès le 17 novembre 1989, huit jours après la chute du mur de Berlin, un traité entre l’Allemagne de l’Est et l’Allemagne de l’Ouest.

Se remémorant cette époque Modrow a écrit : « Selon moi, le chemin vers l’unité était impérativement nécessaire et devait être résolument poursuivi. » Ce n’est qu’ensuite, et après que Gorbatchev eut suggéré que l’unité allemande avait son assentiment, que Kohl proposa son célèbre plan en dix points.

Le gouvernement de Bonn consacra ensuite massivement ses efforts sur l’unité allemande. Des milliers d’agitateurs nationalistes inondèrent l’est. Kohl participa à des réunions électorales en RDA, qui restait un État souverain, en promettant monts et merveilles. Avec l’introduction précipitée du deutschemark, il créa un fait accompli sur le terrain. Il balaya d’un revers de la main les avertissements quant aux conséquences dévastatrices pour l’industrie en RDA.

La réunification entraîna une catastrophe sociale. Les États fédéraux de l’est de l’Allemagne sont aujourd’hui des zones à bas salaire. Des régions entières furent désertées. Des centaines de milliers d’Allemands furent contraints d’émigrer en quête d’un emploi.

Kohl a également joué un rôle important dans la privatisation et la destruction de l’économie en Union soviétique. Sa relation étroite avec Gorbatchev fit place à une amitié avec Boris Eltsine, avec qui il concoctait des projets politiques en se rendant au sauna. Eltsine était le représentant des oligarques qui ont pillé l’Union soviétique en utilisant des méthodes criminelles et en démolissant des décennies d’acquis sociaux.

Maastricht et l’Union européenne

Quid du rôle de Kohl comme « grand Européen » ?

Avec la signature du Traité de Maastricht en février 1992, qu’il imposa malgré une résistance dans ses propres rangs, Kohl a sans aucun doute joué un rôle important. Le traité a jeté les bases de la transformation de la Communauté économique européenne en Union européenne, de l’expansion vers l’Europe de l’Est et de l’introduction d’une monnaie commune, l’euro.

Cela n’avait cependant rien à voir avec l’amour de la paix de Kohl. Il était au contraire convaincu que l’Allemagne ne pouvait, comme avant la première et la deuxième guerre mondiale, s’isoler en Europe et courir le risque d’un conflit sur deux fronts. Il chercha donc à établir des relations étroites avec le président français François Mitterrand.

Mitterrand s’était imaginé qu’une monnaie commune endiguerait l’écrasante supériorité économique de l’Allemagne, ce qui s’avérera être une erreur de calcul. En réalité, l’Allemagne a tiré profit de l’euro plus que tout autre pays en étendant ainsi son hégémonie économique en Europe.

C’est la raison pour laquelle tous les partis politiques de la bourgeoisie allemande célèbrent Kohl avec autant d’exubérance. Ils appuient tous la décision que l’Allemagne devienne la puissance hégémonique de l’Europe et une puissance mondiale avec le concours de l’UE – une politique dont Kohl avait posé les fondements. Avec le retrait de la Grande-Bretagne de l’UE, des tensions croissantes avec les États-Unis et l’élection du président français Emmanuel Macron, les chances que ceci se concrétise semblent avoir augmenté.

Les projets de l’Allemagne de devenir une grande puissance, et le militarisme qui y est lié, se heurtent à une vaste opposition de la population allemande. L’Europe est elle-même secouée par des crises politiques et des tensions sociales. C’est une raison supplémentaire pour l’enthousiasme que suscite dans les milieux dirigeants Helmut Kohl, ce politicien socialement et politiquement réactionnaire.

La fin de Kohl

L’ère de Kohl s’est achevée à la fin des années 1990. L’Allemagne était considérée comme « l’homme malade de l’Europe ». L’économie stagnait et Kohl semblait avoir perdu sa capacité d’adopter de nouvelles initiatives. L’opposition à son encontre s’accroissait et, pour sortir de cette stagnation, des appels à un changement de régime avaient même émané des milieux d’affaires.

Le SPD et les Verts se chargèrent de cette tâche après leur victoire aux élections fédérales de 1998. Ils ouvrirent la voie aux interventions militaires de l’armée allemande à l’étranger et ils entamèrent la plus grande contre-révolution sociale d’après-guerre avec l’introduction des réformes de l’Agenda 2010. Non seulement le chancelier social-démocrate Gerhard Schröder, mais aussi et surtout son vice-chancelier issu du parti des Verts, Joschka Fischer, ont pleinement perpétué l’héritage de la politique étrangère de Kohl.

Au sein du CDU, qui était totalement dépendante de sa personne, Kohl dût céder le pas pour permettre au parti d’adopter une nouvelle orientation. C’est son élève la plus docile, qu’il avait découverte en RDA en 1989, et qu’il avait promue politiquement, Angela Merkel, qui assumera la tâche de le faire renoncer à ses fonctions. Merkel profita d’un scandale de financement occulte d’importance secondaire pour isoler Kohl au sein du parti ; ce qu’il ne lui pardonna jamais. Bien avant qu’une chute en 2008 le prive quasiment de l’usage de la parole, il était isolé politiquement.

Il passa les dernières années de sa vie dans son pavillon familial d’Oggersheim, une banlieue de Ludwigshafen, protégé par sa seconde épouse, Meike Kohler-Richter. Le dernier politicien international qu’il y avait accueilli il y a un an avait été le premier ministre hongrois d’extrême droite, Viktor Orban, une insulte évidente à Merkel qui s’était brouillée avec Orban au sujet de la politique à l’égard des réfugiés.

(Article original paru le 19 juin 2017)

 

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