Les services de sécurité britanniques connaissaient les liens du kamikaze de Manchester avec l’État islamique

Les preuves continuent de s’accumuler que le gouvernement britannique et les services de renseignement avaient une connaissance intime et détaillée des liens terroristes de Salman Abedi, le kamikaze de Manchester.

Abedi a fait exploser une bombe chargée de shrapnels à la Manchester Arena le 22 mai, tuant 22 spectateurs, dont huit enfants et en blessant 116.

Samedi, le New York Times a rapporté qu’Abedi était en contact avec un bataillon libyen de l’État islamique, dont les membres seraient impliqués dans la préparation de l’attaque de la salle de spectacle du Bataclan à Paris en 2015.

Citant un responsable du renseignement européen anonyme à la retraite, le Times a rapporté que « M. Abedi a rencontré des agents du Katibat al-Battar al-Libi, une unité centrale de l’État islamique qui trouvait son siège en Syrie avant que certains de ses membres ne soient dispersés en Libye ». Abedi a rencontré des membres de Battar en Libye, à Tripoli et à Sabratha.

« À l’origine composée de Libyens qui étaient allés en Syrie pour combattre dans la guerre civile », rapporte le Times, « l’unité est devenue un pôle d’attraction pour les combattants étrangers belges et français, dont plusieurs ont été dépêchés pour mener des attaques à l’étranger. Certaines des attaques les plus dévastatrices en Europe par ces groupes terroristes, dont l’attaque coordonnée à Paris en 2015, ont été conçues par les anciens de cette brigade. »

Selon ce responsable à la retraite, Abedi a maintenu le contact avec les membres de Battar après son retour à Manchester.

La même source de renseignement a dit au New York Times que lorsque Abedi était en Grande-Bretagne, « les contacts étaient effectués parfois par téléphone […] Si le contenu de l’appel était sensible, M. Abedi utilisait les téléphones qui étaient à usage unique, ou les dépêches ont été envoyées de la Libye vers son “ami” – vivant en Allemagne ou en Belgique – qui les a ensuite envoyées à M. Abedi en Grande-Bretagne ».

La brigade Battar était bien connue des services du renseignement britannique. Un ancien responsable de l’anti-terrorisme au GCHQ (Agence de sécurité nationale) britannique a déclaré au Times que la brigade Battar était faite de « vétérans chevronnés de l’Irak et l’Afghanistan », qui étaient « les plus inconditionnels, les plus violents, ceux qui sont toujours prêts à aller à l’extrême alors que d’autres rechignent. »

Un « haut responsable du renseignement américain » a confirmé les détails fournis par la source de renseignement européen, a rapporte le Times.

Que Abedi ait fait partie d’un réseau terroriste sophistiqué est maintenant hors de doute. Le Mail on Sunday a révélé hier que l’engin explosif utilisé dans l’attaque de Manchester était « très similaire » à des bombes utilisées par l’État islamique dans les attentats de Paris 2015 « et peut même avoir été conçu par la même personne. »

Des sources de sécurité anonymes « ont contesté la suggestion de la police du Grand Manchester que le kamikaze du pop concert Salman Abedi, 22 ans, a largement agi seul », a écrit le Mail.

Mardi dernier, le commissaire divisionnaire Russ Jackson, de l’Unité de lutte contre le terrorisme au nord-ouest, a publié une déclaration affirmant que « ce qui devient évident, c’est que beaucoup des déplacements et des actions [d’Abedi] ont été effectués seuls pendant les quatre jours après son débarquement dans le pays précédant son horrible attaque », alors que Ian Hopkins, le chef de police du Grand Manchester, a déclaré que Abedi n’était connu de ses services que pour des « questions relativement mineures », des délits de vol et une agression mineure.

La source de sécurité a déclaré au Mail, « i Abedi a porté le dispositif à Manchester Arena, il n’a certainement pas conçu la bombe et il est plus que probable qu’il ne l’ait même pas assemblée. Au contraire, il y a eu quelqu’un d’une expérience importante de fabrication de bombes derrière Abedi, comme il en y avait derrière les trois kamikazes qui se sont fait sauter devant le Stade de France à Paris en novembre 2015. Dans un jargon sécuritaire, les empreintes digitales sur les engins explosifs de Manchester et de Paris sont les mêmes ».

Entre temps, la BBC a révélé qu’en mars, seulement deux mois avant l’attaque de Manchester, Abedi a rendu visite à deux reprises au terroriste condamné Abdal Raouf Abdallah à la prison d’Altcourse dans le Merseyside, en Angleterre, ce qui aurait été immédiatement signalé au service secret MI5.

Abdallah a été condamné à neuf ans et six mois d’emprisonnement pour la préparation, la commission ou l’assistance à des actes de terrorisme et au financement du terrorisme – dont il devait purger cinq ans et demi en détention et quatre ans en liberté surveillée. Il s’est battu en Libye en 2011 contre le régime du colonel Muammar Kadhafi et a été blessé, ce qui a entraîné une paralysie de la partie inférieure de son corps. De retour à Manchester, il a tenté d’aider quatre hommes – y compris son frère Mohammed, Stephen Mustafa Gray et Raymond Matimba – à rejoindre la Syrie pour se battre dans la guerre par procuration des États-Unis et de la Grande-Bretagne contre Assad.

Mustafa Gray n’a pas pu rejoindre la Syrie et a été renvoyé deux fois de la Turquie. Condamné en même temps qu’Abdallah, il était un ancien artilleur du 2 Escadron du régiment de la Royal Air Force et a servi en Irak en 2004 avant de se convertir à l’Islam. Abdallah et Gray vivaient tous deux dans le quartier Moss Side de Manchester, à un kilomètre seulement de la maison familiale d’Abedi dans le quartier de Whalley Range.

Les parents des frères Abdallah, comme ceux d’Abedi, étaient des opposants au régime de Kadhafi. Abdal Abdallah s’est rendu en Libye en 2010 pendant une année sabbatique. Lorsque l’opération soutenue par l’impérialisme contre Kadhafi a commencé, bien qu’il soit toujours un adolescent, on lui a accordé « un rôle clé dans son peloton », selon la BBC. « Abdallah et son frère ont rejoint l’un des plus importants groupes islamistes rebelles – la Brigade des martyrs du 17 février ».

Les frères Abdallah et les autres jihadistes de leur groupe ont travaillé si étroitement avec les puissances impérialistes en Libye qu’Abdal Abdallah « est rentré en contact avec le personnel de l’OTAN pour s’assurer que ce dernier ne soit pas la cible d’attaques accidentelles », a révélé la BBC.

Les parents de Salman Abedi étaient membres du Groupe de lutte islamique libyenne (LIFG) et son frère serait devenu un partisan de l’État islamique. Les Abedi ont été réinstallés au sud de Manchester après avoir fui la Libye en 1991. Le gouvernement britannique, sous la nouvelle ministre de l’intérieur de l’époque, Theresa May, a levé les ordonnances de lutte contre le terrorisme sur les Abedis afin qu’ils puissent retourner en Libye en 2011.

Les nouvelles des visites de prisons d’Abedi à un terroriste condamné ont été étouffées par la BBC. L’information est apparue dans un article indiquant que la police du Grand Manchester avait repéré une voiture qu’ils disent peut-être « significative » pour leur enquête. Cependant, le correspondant des affaires nationales de la BBC, Danny Shaw, a noté dans son article que toute personne qui rend visite à un prisonnier au Royaume-Uni doit subir « un contrôle de sécurité et de logistique majeur ».

Rendre visite à l’un des 150 détenus reconnus coupables de terrorisme au Royaume-Uni est encore plus difficile. Shaw a écrit : « Ces visites doivent être approuvées par des agents antiterroristes, qui peuvent les interdire en cas de doutes. »

Il ajoute : « Salman Abedi, cependant, a été autorisé à poursuivre sa visite, une décision susceptible d’être examinée dans le cadre d’un examen de la gestion de son dossier ».

« [I]l’est admis qu’Abedi a été étroitement surveillée quand il a rencontré Abdal Raouf Abdallah ».

Abedi est rentré à Manchester le 18 mai après une autre visite en Libye. Il a commis son attaque quatre jours plus tard.

À lire également :

Les services britanniques savaient que le kamikaze de Manchester préparait un attentat

[30 mai 2017]

(Article paru en anglais le 5 juin 2017)

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