La Cour suprême rétablit à l’unanimité l’interdiction d’entrée des musulmans aux États-Unis

Lundi, la Cour suprême des États-Unis a voté 9 à 0 pour autoriser l’entrée en vigueur partielle de l’interdiction d’entrée des musulmans du président Donald Trump. Soixante-douze ans après l’infâme décision rendue dans l’affaire Korematsu prononcée par la Cour suprême en 1944 sur le maintien des camps d’internement, du couvre-feu et des ordonnances d’exclusion militaire contre les personnes d’ascendance japonaise, la Cour suprême autorise à nouveau une discrimination d’État fondée sur la nationalité.

Trump s’est rapidement réjoui sur Twitter en publiant: «Très reconnaissant quant à la décision 9 à 0 de la Cour suprême des États-Unis. Nous devons garder l’Amérique EN SÉCURITÉ!»

Au cours de sa campagne présidentielle de 2016, Trump avait déclaré qu’il imposerait un «arrêt total et entier de l’entrée des musulmans aux États-Unis». Il a signé un décret présidentiel peu de temps après avoir pris ses fonctions pour interdire temporairement l’entrée des ressortissants originaires de sept pays à majorité musulmane : l’Iran, la Libye, la Somalie, le Soudan, la Syrie, l’Irak et le Yémen. Ce décret a été par la suite «modéré» pour exclure plusieurs des dispositions les plus provocantes telle la discrimination officielle en faveur des réfugiés chrétiens, ainsi que pour lever l’interdiction frappant l’Irak.

L’annonce de l’interdiction d’entrée des musulmans avait alors provoqué des manifestations majeures dans les aéroports de tout le pays, les manifestants acclamant avec jubilation tout voyageur ou réfugié franchissant les guérites des autorités de l’immigration. Malgré l’utilisation de l’expression ambiguë «Travel Ban» (interdiction de voyager) par les médias, ces décrets sont généralement compris – tant par leurs partisans que par leurs opposants – comme étant motivés par un fanatisme islamophobe. Selon de récents sondages, une nette majorité d'Américains s’opposent à cette interdiction.

Les tribunaux fédéraux inférieurs ont rapidement introduit diverses ordonnances d’urgence bloquant l’entrée en vigueur de certaines parties de l’interdiction avant que sa constitutionnalité puisse être contestée, et plusieurs juges s’étaient même prononcés en faisant appel à des termes extraordinaires. Le juge en chef du Quatrième circuit Roger Gregory, nommé par George W. Bush, avait alors écrit que ce décret «dégouline d’intolérance religieuse, d’animosité et de discrimination» et demandait si la Constitution «demeure Loi pour tant pour les dirigeants que les gens, en temps de guerre comme en temps de paix».

Lundi, la Cour suprême a piétiné ces décisions des tribunaux inférieurs, permettant à une partie de l’interdiction d’entrer en vigueur dans l’attente d’une décision sur le fond, qui est attendue pour la prochaine session d’octobre.

Dans sa décision de lundi, la Cour suprême a ajouté que l’interdiction de voyager «ne peut être appliquée contre des ressortissants étrangers qui ont une revendication crédible d’une relation de bonne foi avec une personne ou une entité aux États-Unis», tels ceux qui ont des membres de leur famille, des liens professionnels ou académiques aux États-Unis. Toutefois, la Cour suprême a statué que l’interdiction pouvait être appliquée à l’égard de tous les «autres ressortissants étrangers».

Cette mise en garde est un compromis politique sans la moindre signification juridique. Son seul but est de justifier la capitulation lâche de la soi-disant aile libérale de la Cour suprême. La signification historique de la décision de lundi est que le décret présidentiel islamophobe de Donald Trump, rédigé par ses conseillers fascisants Steve Bannon et Stephen Miller, sera autorisé à entrer en vigueur avec l’approbation des neuf juges de la Cour suprême.

La décision unanime, prononcée «per curiam», c’est-à-dire sommairement par l’ensemble de la Cour, repose sur le «besoin impérieux de voir à la sécurité nationale». Or les neuf juges de la Cour suprême savent très bien que cette interdiction d’entrée n’est en aucune sorte que ce soit liée à la sécurité nationale. Il s’agit d’une fraude qui ne résiste à aucune analyse rationnelle de quelque type que ce soit.

Trump a mené sa campagne présidentielle en s’appuyant sur la haine islamophobe, vociférant à plusieurs reprises lors de ses rassemblements qu’il fallait procéder à un «filtrage extrême» des musulmans. Ses décrets islamophobes, qui sont l’œuvre brute de nationalistes blancs que Trump a installés dans l’Aile ouest de la Maison-Blanche, visent à donner une sanction légale à ce sentiment. L’ancien maire de New York et conseiller de Trump, Rudy Giuliani, s’est vanté publiquement que Trump l’avait consulté sur la façon d’élaborer un décret islamophobe qui résisterait au contrôle juridique.

En dépit des contorsions des avocats de Trump, cette interdiction d’entrée n’a aucun sens en tant que mesure supposée de «sécurité nationale». Selon les données recueillies par Charles Kurzman, de l’Université de la Caroline du Nord, aucun des extrémistes musulmans ayant commis des attentats terroristes aux États-Unis depuis 2001 ne venait des six pays en question. Parmi les 36 extrémistes que le professeur Kurzman a pu identifier, 18 sont nés aux États-Unis et les 14 autres ont émigré alors qu’ils étaient enfants, de sorte que la grande majorité n’aurait jamais été soumise à aucune procédure de contrôle.

La mise en garde de la Cour suprême au sujet des «relations de bonne foi» est entièrement arbitraire et ne repose sur rien de tangible, tant dans le décret présidentiel que dans toute autre loi ou règlement. Tel qu’ont écrit dans une opinion distincte les juges de droite Clarence Thomas et Samuel Alito, auxquels s’est joint Neil Gorsuch, un autre juge nommé par Trump, la Cour suprême ne définit pas ce qui constitue une «relation de bonne foi» ou une «revendication crédible». L’interprétation de ces questions est laissée aux autorités de l’immigration du gouvernement Trump qui administreront cette décision comme bon leur semble. Les trois juges déclarent que si la Cour suprême reconnaît l’autorité du président Trump d’émettre ce décret «pour assurer la sécurité nationale», alors elle aurait dû permettre à l’interdiction d’entrée des musulmans d’entrer en vigueur dans son intégralité.

La participation des juges nommés par les démocrates dans cette décision, y compris celle d’Elena Kagan et de Sonia Sotomayor nommées par Obama, fait voler en éclats les prétentions du Parti démocrate de se préoccuper de la défense des immigrants et des droits démocratiques. Malgré les protestations populaires contre l’interdiction d’entrée des musulmans, le Parti démocrate a refusé de faire quelque campagne publique d’importance que ce soit contre Trump sur cette question au cours des six derniers mois. Il a plutôt concentré toute son attention à dénoncer Trump comme insuffisamment hostile à l’endroit de la Russie, et à forger des alliances avec les forces armées et les agences de renseignement, ainsi que des politiciens ultraréactionnaires comme John McCain.

Le silence des démocrates alors que l’administration Trump attaque les musulmans dans le cadre d’un assaut impitoyable mené de plein front contre les droits démocratiques et sociaux expose tout le caractère frauduleux des prises de position du Parti démocrate tout au long de l’année électorale comme étant un ramassis de mensonges usés à la corde et dignes de mépris. Le Parti démocrate représente la guerre, l’inégalité, la réaction et la répression.

Chaque année électorale, la population américaine se fait répéter qu’elle devrait élire les démocrates pour empêcher la Cour suprême de pencher encore plus à droite. Quel que soit le sort ultime de l’interdiction d’entrée imposée aux musulmans, la décision de lundi devrait, une fois pour toutes, faire taire de telles prétentions.

Ce n’est d’ailleurs pas le seul cas où la Cour suprême a récemment pris à l’unanimité une décision autoritaire et antidémocratique. En 2014, à la demande de l’administration Obama, la Cour suprême a décidé, par un vote de 9 à 0, d’accorder l’immunité aux policiers qui ont assassiné sous une grêle de 15 balles un automobiliste et son passager fuyant pour leur vie.

Au moment d’écrire ces lignes, aucun dirigeant démocrate n’a évoqué la décision de lundi. Les fils Twitter d’Elizabeth Warren et de Bernie Sanders sont tout à fait silencieux quant à l’assaut de la Cour suprême contre les musulmans. Il en va de même des nombreuses colonnes éditorialistes des principaux journaux américains qui continuent de rester fixés sur la campagne antirusse du Parti démocrate et les conflits internes déchirant Washington.

La décision de la Cour suprême de lundi repose sur une décennie et demie d’efforts ininterrompus – par les administrations Bush, Obama et Trump – pour démanteler les droits démocratiques et ériger l’infrastructure juridique d’un État policier. S’appuyant sur l’affirmation par l’administration Bush de pouvoirs de «guerre» et «d’urgence» non contrôlés exercés par le président, l’administration Obama s'est arrogé le droit d’espionner sans limites la population américaine et mondiale, ainsi que d’assassiner n’importe qui, n’importe où dans le monde, par décret présidentiel.

Le président Obama a également défendu les tortionnaires de l’ère Bush et leurs complices, les protégeant de toute responsabilité, insisté sur l’immunité des policiers tueurs, enfreint le droit international, invoqué le «secret d’État» pour protéger les activités de son administration des yeux du public, imposé des encerclements militaires et policiers de zones urbaines entières, et persécuté vigoureusement quiconque ose dénoncer les pratiques criminelles officielles. Grâce à toute l’atmosphère politique et aux précédents juridiques accumulés au cours d’une décennie et demie de «guerre contre le terrorisme», la Cour suprême reste maintenant assise sans rien faire alors que le président persécute les musulmans au nom de «la sécurité nationale».

En même temps qu’elle permet l’entrée en vigueur de l’interdiction d’entrée des musulmans, la Cour suprême a signalé une nouvelle intensification des efforts visant à saper la séparation de l’Église et de l’État.

La Cour a en effet également jugé lundi qu’une église du Missouri avait le droit de recevoir des pneus recyclés pour refaire la surface de son aire de jeux dans le cadre d’un programme d’aide de l’État, malgré l’interdiction par la Constitution du Missouri de conférer tout avantage de l’État aux institutions religieuses. Bien que l’enjeu semble relativement mineur, pour la première fois dans l’histoire de la Cour suprême, celle-ci a décidé que la Constitution américaine peut contraindre un État à fournir des fonds publics directement à une église.

Le juge Neil Gorsuch nommé par Trump a fait des attaques contre le principe de la séparation de l’église et de l’État son domaine particulier d’expertise professionnelle. Il a déposé une opinion concordante dans l’affaire du Missouri, déclarant que l’église était victime de «discrimination contre l’exercice religieux». Il a également critiqué le langage de l’opinion de la majorité qui limiterait son application future.

Nul doute avec le soutien de Gorsuch, la Cour suprême a également annoncé lundi qu’elle entendrait l’affaire d’un pâtissier du Colorado ayant refusé de préparer un gâteau de mariage pour un couple gai. Les tribunaux inférieurs ont déjà jugé que ce geste d'intolérance violait la loi sur les accommodements du Colorado, qui interdit à toute entreprise de discriminer en fonction de facteurs tels que la race, le sexe ou l’orientation sexuelle. Le pâtissier Jack Phillips affirme que son acte de discrimination relève de son «expression religieuse».

Gorsuch n’a aucun problème avec la discrimination religieuse tant que ce sont des musulmans qui en sont la cible. Il est peut-être regrettable pour Gorsuch que les trois décisions aient toutes été rendues publiques le même jour. Lorsque des chrétiens se voient refuser le «droit» de recevoir des fonds publics ou de discriminer les autres, Gorsuch vibre de toute son indignation moralisatrice. Mais il n’aurait pourtant aucun problème à autoriser dans leur intégralité les mesures de persécutions de Trump contre les musulmans.

(Article paru en anglais le 27 juin 2017)

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