Le monopole d’Amazon s’accroît après son offre de rachat de Whole Foods pour 13,7 milliards de dollars

Amazon, la plus grande entreprise de vente en ligne au monde, a annoncé vendredi matin qu’elle avait entamé des négociations pour acquérir la société de magasins d’alimentation Whole Foods pour 13,7 milliards de dollars. En étendant ainsi, telle une pieuvre, ses tentacules de domination économique sur de nouveaux secteurs de l’économie mondiale, Amazon a maintenant un pied dans le marché de l’alimentation américain de 800 milliards de dollars.

La fortune personnelle du PDG d’Amazon, Jeff Bezos, a augmenté d’environ 1,88 milliard de dollars hier alors que le titre d’Amazon grimpait de 23,54 $ par action. Bezos a donc empoché en une seule journée ce que 72 890 employés des centres de distribution d’Amazon (qui représentent plus de la moitié de l’ensemble de la main-d’œuvre américaine) gagnent en une année entière.

Cette acquisition démontre le pouvoir phénoménal exercé sur l’économie mondiale par une poignée de puissantes sociétés financières. Quatre-vingt-treize pour cent des actions de Whole Foods sont détenues par des « investisseurs institutionnels », dont un quart revient à seulement trois sociétés : Vanguard, BlackRock et State Street. Ces sociétés figurent également au premier, deuxième et sixième rang des actionnaires institutionnels d’Amazon, dont plus de 60 pour cent appartiennent à des sociétés financières. Quatre des cinq plus importantes institutions financières au monde ont fait un gain combiné de 2,26 milliards de dollars grâce à ce rachat, rien que le premier jour.

C’est l’aristocratie financière, et non les travailleurs d’Amazon et de Whole Foods, qui sera l’unique bénéficiaire de la fusion potentielle entre ces deux sociétés. Alors que les patrons de ces grandes entreprises fêtent la transaction, Bloomberg News a calmement annoncé : « Amazon veut également qu’il y ait moins d’employés dans chaque magasin [de Whole Foods], et que ceux qui restent soient à même de fournir une certaine expertise sur les produits, plutôt que d’exécuter des tâches banales. » En d’autres termes, des milliers d’emplois vont être supprimés. Les employés actuels d’Amazon, tout comme les anciens, peuvent dire à ceux qui restent que leurs conditions de travail vont rapidement se détériorer.

Amazon a proposé d’acheter l’entreprise pour 42 $ par action. Au cours de la journée, les titres de Whole Foods ont augmenté de 28 % pour atteindre un maximum de 43,45 $. La hausse d’hier du prix des actions d’Amazon a acheminé 11 milliards de dollars supplémentaires dans les caisses de l’entreprise, ce qui équivaut presque au coût de l’acquisition de Whole Foods. Whole Foods (que l’on pourrait traduire par Aliments complets), fondée en 1978, est surtout connu pour la vente de produits bios et « naturels » plus coûteux, à une clientèle principalement issue de la classe moyenne supérieure, ce qui lui a valu le surnom de whole paycheck (salaire complet) pour signifier qu’à faire ses courses dans ce magasin on y laisse tout son salaire.

Les négociations qui sous-tendent cette transaction donnent une bonne idée de la façon dont l’économie mondiale est gérée.

Au cours de l’année dernière, Whole Foods a eu de plus en plus de mal à rivaliser avec les magasins d’alimentation plus grands et, en avril, la société de fonds spéculatif Jana Partners a annoncé être devenue le deuxième actionnaire le plus important de l’entreprise, ce qui a fait exploser ses titres en bourse. Le fonds spéculatif a immédiatement fait pression sur Whole Foods pour que celui-ci réduise les coûts et augmente le cours des actions, incitant la société à remplacer cinq membres de son conseil d’administration et à embaucher un nouveau directeur financier le mois dernier.

Peu de temps après, le bailleur de fonds Neuberger Berman, qui détient environ 2,7 % de l’entreprise et gère des actifs de 267 milliards de dollars dans le monde, a envoyé une lettre au conseil d’administration de Whole Foods, les exhortant à envisager « la possibilité de fusions stratégiques, de partenariats, de coentreprises, d’alliances ».

Pour Amazon, la motivation majeure derrière cette acquisition est la vaste expansion de l’implantation physique de l’entreprise, car elle prendra possession du réseau de plus 460 magasins de Whole Foods répartis à travers les États-Unis, le Canada et la Grande-Bretagne.

Amazon a piloté une série d’initiatives de réductions de coûts dans certains magasins d’alimentation individuels, dont une supérette de « Amazon Go » à Seattle qui fonctionne sans caissier, utilisant à la place une gamme de capteurs et de caméras pour surveiller les clients et les facturer automatiquement pour les articles qu’ils emportent du magasin.

Avant la transaction de vendredi, Amazon était un acteur mineur dans la vente au détail de produits d’alimentation. En 2007, la société avait lancé son service de livraison de nourriture « Amazon Fresh » à Seattle, qui depuis s’est étendu à plus d’une dizaine de villes dans le monde. En mars, la société a annoncé « Amazon Fresh Pickup », qui permet aux utilisateurs d’acheter en ligne, de fixer un rendez-vous pour retirer ses courses et de les faire charger dans leur voiture au magasin.

L’acquisition dépend encore de l’approbation des actionnaires de Whole Foods et des autorités fédérales de régulation, les négociations devant se terminer au second semestre de 2017. De nombreux analystes prédisent qu’il est possible qu’entre temps d’autres géants du commerce de détail, dont Walmart, Target, Costco et d’autres, essaient de renchérir sur l’offre d’Amazon, ou du moins de faire monter le prix qu’Amazon doit payer pour conclure l’affaire.

Walmart est le rival le plus susceptible de se jeter dans la mêlée, craignant qu’un accord Amazon-Whole Foods n’empiète sur son contrôle du marché du commerce de détail en magasin. Les deux entreprises sont engagées dans une campagne féroce pour le contrôle de l’industrie mondiale du commerce de détail. Pour défier Amazon, Walmart s’est lancé au cours de l’année dernière dans l’acquisition à tours de bras de sociétés de commerce en ligne, culminant dans le rachat, annoncé vendredi également, de la société de vente de vêtements en ligne Bonobos pour un montant de 310 millions de dollars.

L’offre de rachat de Whole Foods par Amazon aura des implications profondes pour les travailleurs d’Amazon, de Whole Foods et pour toute la classe ouvrière. En cherchant par tous les moyens à vendre moins cher que leurs concurrents et à élargir leur contrôle sur toutes les industries, la stratégie centrale de ces sociétés consistera à réduire les coûts de la main-d’œuvre, c’est-à-dire les salaires et les avantages de leurs salariés. Ces pressions à la baisse entraîneront d’autres entreprises à réduire les salaires et les avantages, afin de satisfaire les actionnaires dans une compétition impitoyable pour réaliser des profits.

La transaction Amazon-Whole Foods est l’expression de la concentration croissante de la richesse et du pouvoir économique entre les mains d’une poignée toujours plus petite d’aristocrates financiers comme Jeff Bezos et de PDG des principales sociétés de Wall Street comme Vanguard, BlackRock et State Street. Selon une étude universitaire de 2017, ces trois entreprises sont en fait le plus grand actionnaire combiné de 40 pour cent de toutes les sociétés cotées en bourse aux États-Unis, ce qui représente une capitalisation boursière de 17 000 milliards de dollars, à peu près égale au PIB annuel total des États-Unis.

À mesure que les monopoles comme Amazon se renforcent dans toutes les industries, un réseau, toujours plus interconnecté, d’investisseurs et de PDG exigent des profits plus élevés et une exploitation plus intense de la classe ouvrière. Ce ne sont pas juste la cruauté ou la cupidité des patrons à titre individuel qui expliquent les conditions de plus en plus dégradantes et difficiles auxquelles les travailleurs d’Amazon sont confrontés dans les centres de distribution du monde entier. Cette cruauté et cette cupidité ont une base matérielle : elles découlent de la monopolisation et de la financiarisation de l’économie capitaliste.

Il revient à la classe ouvrière de prendre le contrôle de ces géants internationaux, de les placer sous contrôle démocratique, de saisir leurs biens et de les réorganiser pour répondre aux besoins de l’humanité.

(Article paru en anglais le 17 juin 2017)

 

 

Loading