Perspectives

Le meurtre de Justine Damond et la violence policière en Amérique

Samedi dernier, Justine Damond, une instructrice de yoga de 40 ans originaire d’Australie, fut la dernière en date d’une longue liste de victimes de la violence meurtrière de la police aux États-Unis. Elle a été abattue par l’officier Mohamed Noor, dans une ruelle derrière sa maison dans un quartier résidentiel de Minneapolis.

Bien que peu de détails aient été publiés, ce qui est connu de l’assassinat de Damond donne un aperçu des bases sociales et psychologiques de l’épidémie de brutalité policière et d’assassinat qui a déjà fait au moins 675 vies depuis le début de l’année.

Noor et son collègue sur place, Matthew Harrity, répondaient à un appel d’urgence de Damond vers 23h30, qui signalait un possible viol près de son domicile. Selon les enquêteurs, Harrity et Noor conduisaient à travers l’allée bien éclairée derrière la maison de Damond dans leur voiture avec les lumières éteintes lorsqu’ils ont été effrayés par un bruit fort.

Quand Damond, désarmée et en pyjama, est apparue à la porte du conducteur, Noor a immédiatement ouvert le feu depuis le siège passager, son tir passant juste à côté de Harrity et à travers la porte pour toucher et tuer Damond. Aucune explication n’a été donnée quant à la raison pour laquelle Noor avait son arme déjà sortie.

Les enquêteurs ont déterminé que si les officiers portaient des caméras corporelles, aucune des caméras n’était allumée au moment de l’incident. Il n’y a pas non plus de séquences de la caméra du tableau de bord de la voiture de police.

Cette fusillade mortelle intervient moins d’un mois après que le policier Jeronimo Yanez ait été acquitté pour toutes les accusations liées à la mort de Philando Castile en 2016 à Falcon Heights, une banlieue de Minneapolis. Les suites immédiates de la fusillade ont été diffusées en direct sur Facebook par la petite amie de Castille, suscitant des manifestations nationales contre la violence policière.

Noor, le premier agent de police américano-somalien dans sa circonscription, a sans aucun doute rencontré des difficultés en tant que jeune immigrant venant d’un pays dévasté par des années de guerre provoquée par le gouvernement américain. Avant de devenir policier, il a obtenu un diplôme de commerce et a travaillé dans la gestion immobilière.

Il n’y a aucune indication que soit un individu susceptible de finir par tuer une personne non armée sans raison. Évidemment, cependant, deux ans dans la police ont suffisamment façonné – et déformé – sa mentalité et ses émotions pour en faire un tueur.

Noor a jusqu’à présent refusé de donner sa propre version du meurtre de Damond aux enquêteurs. Mais le caractère particulièrement bizarre et arbitraire de son action suggère que c’était un acte de violence sauvage qui devait finir par arriver. Il semble avoir réagi instinctivement à un son fort et à l’apparition soudaine d’une personne à la porte de sa voiture de police comme un homme qui craignait pour sa vie. Il était probablement conditionné par sa formation et l’atmosphère qui prévaut dans son commissariat de police – comme tous ceux du pays – à voir le public comme une force hostile et lui-même comme faisant partie d’une armée d’occupation.

En fait, c’est là une caractérisation précise de la fonction sociale de la police dans la classe ouvrière et les communautés pauvres de l’Amérique capitaliste. Ce n’est pas seulement ou principalement une question de l’état d’esprit subjectif de Noor. Ou, dite de façon différente : son point de vue et ses perspectives, largement répandues dans les services de police hautement militarisés à travers le pays, trouvent leurs racines dans des relations sociales objectives et en sont le reflet.

Malgré toute la rhétorique des médias sur les « quelques pommes pourries » et leurs propositions pathétiques pour « une meilleure formation » de la police, les policiers ont la consigne de tuer chaque fois qu’ils rencontrent des personnes qu’ils perçoivent comme une menace pour leur vie ou la vie d’autrui.

Les policiers d’aujourd’hui sont armés jusqu’aux dents avec le même genre d’armes modernes dont dispose l’armée, y compris des véhicules blindés, des chars et des hélicoptères d’attaque. Au moins un policier sur cinq est un vétéran de sanglantes guerres américaines en Irak, en Afghanistan ou ailleurs.

Après un quart de siècle de guerres menées par le gouvernement des États-Unis à l’étranger, y compris plus de 15 ans de « guerre contre le terrorisme », partout sur la planète et en permanence, la police à l’intérieur du pays a adopté les mêmes tactiques « anti-insurrectionnelles » et la mentalité qui va avec. L’avocat de l’agent Harrity a déclaré aux médias qu’il était « raisonnable » de supposer que les officiers pensaient qu’ils étaient « tombés dans une embuscade » lorsque Damond s’est approchée de leur voiture.

Avec environ trois personnes tuées chaque jour par la police aux États-Unis, pratiquement pas un jour ne se passe sans que les journaux ou une vidéo ne révèlent un nouvel homicide glauque ou une attaque violente commis par la police. Ce nombre élevé de fusillades commises par des policiers est un phénomène spécifique aux États-Unis parmi les économies avancées. Aucun pays en Europe ne s’en approche.

Les policiers tirent, mutilent et tuent les gens avec une impunité presque totale. Comme c’est le cas avec Noor et Harrity, les agents impliqués dans des incidents violents conservent leur salaire durant leur mise à pied pendant l’enquête. Il est extrêmement rare qu’un officier qui tue ou bat quelqu’un brutalement soit accusé d’une infraction pénale. S’il est accusé, il est encore moins probable qu’il soit condamné.

La vie américaine est devenue de plus en plus militarisée, qu’il s’agisse des aéroports, des rues commerçantes ou des principales destinations de vacances, des forces de police et de sécurité fortement armées sont régulièrement déployées. Aucun événement sportif majeur ne peut avoir lieu sans la promotion et la glorification répétées et incessantes de l’armée.

Ces développements sont inextricablement liés à l’extrême intensification des tensions de classe. Dans une société où les huit personnes les plus riches possèdent plus de richesses que la moitié inférieure de la population mondiale, l’oligarchie dirigeante doit finalement compter sur la violence de l’État pour défendre son pouvoir et ses privilèges et se prépare à des bouleversements sociaux en mettant en place les infrastructures d’un état policier.

Ce dimanche marque le 50 anniversaire du début de l’émeute de Detroit, la plus grande et la plus sanglante des vagues d’émeutes urbaines qui ont frappé pratiquement toutes les grandes villes des États-Unis. Un total combiné de plus de 17 000 soldats et paramilitaires, dont 4700 soldats de l’armée fédérale, ont été mobilisés pour écraser brutalement un soulèvement des sections les plus opprimées de la classe ouvrière dans ce qui était alors le centre de la production automobile aux États-Unis et dans le monde. Ces rébellions ont été, pour la plupart, déclenchées par la brutalité et le racisme de la police.

Un élément important de la réaction de la classe dirigeante fut la création d’unités de police spécialement armées et formées, telles que les équipes SWAT à Los Angeles, chargées de terroriser et d’intimider la classe ouvrière. Dans les années qui ont suivi la police est devenue plus violente.

Même si la lutte de classe a été artificiellement supprimée au cours des dernières décennies, principalement en raison de la trahison des syndicats, les tensions sociales sont plus élevées que jamais. La population américaine est perçue par la police comme un ennemi hostile qui pourrait se lancer à tout moment. Les policiers se sentent menacés partout où ils vont, même dans les quartiers résidentiels à majorité blanche.

Le meurtre de Damond montre l’absurdité des réformes libérales symboliques proposées ou mises en œuvre au cours des dernières décennies censées remédier à la violence policière, y compris les caméras corporelles, la formation à la sensibilité raciale et l’intégration raciale des forces de police.

La violence policière n’est pas le résultat de quelques mauvais flics, d’une mauvaise formation, d’un manque d’engagement du public sur la question ou du faible nombre de policiers issus des minorités raciales. Bien que chaque incident puisse différer dans ses détails, la violence policière est en fin de compte enracinée dans le système capitaliste lui-même.

(Article paru d’abord en anglais le 21 juillet 2017)

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