Des centaines de milliers défilent en Catalogne alors que Madrid vise à bloquer le référendum sur l’indépendance

Environ 1 million de personnes ont manifestées à Barcelone hier lors de la journée nationale de Catalogne, « Diada », selon la police locale, précédant de peu un référendum sur l’indépendance catalane prévu pour le 1ᵉʳ octobre. El Pais, un journal de Madrid opposé à l’indépendance catalane, a estimé le nombre de manifestants à cinq cent mille. Les participants ont crié des slogans, ont agité des drapeaux esteladas (pro-indépendance) et ont porté des pancartes appuyant le référendum.

La marche s’est produite au milieu d’une crise de plus en plus profonde de l’élite politique espagnole provoquée par l’annonce du référendum sur l’indépendance. La marche a été organisée par l’Assemblée nationale séparatiste (ANC) pour demander au président régional catalan Carles Puigdemont de défier les décisions de la Cour constitutionnelle espagnole et de procéder au référendum du 1ᵉʳ octobre. Alors que la population catalane est largement à l’appui d’un vote, les sondages suggèrent qu’ils sont divisés sur l’éclatement de l’Espagne, avec une large minorité encore opposée à une séparation.

Manifestants à Barcelone

D’après tous les comptes-rendus, la marche a été plus petite qu’une manifestation antérieure pour l’indépendance qui avait rassemblé 1,8 million de personnes en Catalogne en 2014.

Les séparatistes agissent de façon imprudente et provocatrice dans le référendum réactionnaire. Avant la manifestation, le vendredi, 71 députés séparatistes du Parlement catalan de la coalition Junts Pel Sí (ensemble pour le oui) la gauche républicaine de Catalogne (ERC) et le Parti démocrate européen catalan (PdeCAT), et la Candidature de l’unité populaire (CUP) de pseudo-gauche, a adopté la « loi de transition juridique et fondamentale de la République [catalane] » qui décrit le processus d’indépendance.

Si le vote « oui » l’emporte le 1ᵉʳ octobre, les séparatistes s’engagent à déclarer leur indépendance dans les 48 heures, quelle que soit la participation. L’ERC et le CUP prévoient d’organiser des manifestations si le référendum ne se poursuit pas. Les sécessionnistes catalans ont adopté une mesure antidémocratique permettant l’approbation des lois après une seule lecture au sein du parlement régional, de sorte que la législation sur l’indépendance peut être rapidement traitée avec peu ou pas de débat du tout.

Toutes les parties ont vu la manifestation d’hier comme un test de la force et de l’attrait de la campagne pro-indépendance. Le président de l’ANC, Jordi Sànchez, a déclaré : « Si nous ne sommes pas en mesure de mobiliser un maximum de personnes le 11 septembre, le 1ᵉʳ octobre sera affaibli ».

Après la manifestation, Sànchez a déclaré que tous les Catalans devraient déclarer « ne pas reconnaître tous les tribunaux qui ne cherchent que l’unité de leur patrie » en référence à la Cour constitutionnelle espagnole, qui a déclaré le référendum illégal et a ordonné à 1000 membres du gouvernement catalan, maires et fonctionnaires d’arrêter les préparatifs sous la menace de poursuites pénales. Il a qualifié de « lâches » les maires qui ont refusé de fournir des bureaux de vote pour le référendum.

Une section du rassemblement

Le référendum est refusé par le gouvernement du Parti populaire (PP) à Madrid, le PSOE (parti socialiste espagnol) et le parti Citoyens, qui ont tous appelé leurs partisans en Catalogne à boycotter le vote, un mouvement qui pourrait renforcer les chances de victoire du oui. Le Premier ministre du PP, Mariano Rajoy, a prévenu que, bien que l’État espagnol puisse sembler lent à réagir, « les apparences ne devraient pas nous tromper ». « Il n’y aura pas de référendum d’autodétermination », a-t-il déclaré.

Le dirigeant du parti Citoyens, Albert Rivera, a accusé Puigdemont et les partis pro-indépendance de « porter un coup de poing à la démocratie, un coup d’État comme celui que ce pays a connu en octobre 1934 », se référant à la proclamation d’une République catalane par le président Lluís Companys après que le président espagnol Lerroux a invité des membres de la CEDA fasciste (Coalition espagnole de la droite autonome) à participer à son gouvernement.

De plus en plus, les personnalités de droite et de la social-démocratie se disent qu’elles vont utiliser la violence pour bloquer le référendum.

Le général à la retraite Manuel Fernández-Monzón Altolaguirre, qui occupait plusieurs postes dans le régime de Franco, dont celui de chef du Service de contre-espionnage, a également loué Lerroux pour avoir réprimé la République catalane en déclarant : « La situation actuelle en Catalogne devrait être considérée comme un acte de haute trahison qui nécessiterait l’application d’un état de guerre. » Il a appelé à l’arrestation de tous les dirigeants du Parlement catalan. « L’indépendance de la Catalogne ne se produira pas. Ce que je ne sais pas, c’est si cela sera entravé à la manière dure ou non », a-t-il averti.

De même, Josep Borell, ancien ministre du PSOE et ancien président du Parlement européen, a décrit le passage des lois sécessionnistes et le référendum par le parlement catalan comme un coup d’État, ajoutant : « Nous arrivons à une situation de violence physique ».

Juan Luís Cebrian, directeur du journal pro-PSOE El País, a écrit un article d’opinion dans le journal, disant que ceux qui veulent modifier les règles en dehors des voies démocratiques « sont prédisposés à la violence ».

Le directeur des poursuites pénales de l’Espagne, José Manuel Maza, a annoncé des accusations criminelles de « outrage, abus de pouvoir et mauvaise utilisation des fonds publics » contre tous les membres du gouvernement catalan. Il a également ordonné à la police d’enquêter sur les organisateurs du référendum et de saisir le matériel préparé pour le vote. Les entreprises d’imprimerie ont été attaquées pour rechercher des bulletins de vote, et un imprimeur pénalement accusé d’avoir aidé à préparer le vote.

Le gouvernement Rajoy espère que ses menaces vont diviser la bourgeoisie catalane et affaiblir le référendum. Madrid a jusqu’à présent déclaré publiquement qu’il voulait éviter d’invoquer ce que l’on appelle « option nucléaire » – l’article 155 de la constitution – qui révoquerait effectivement l’autonomie catalane et placerait la région sous le contrôle militaire du gouvernement espagnol, de peur du degré d’opposition sociale que cela engendrerait.

Mais la semaine dernière, le ministère espagnol de l’intérieur a commencé à renforcer les bâtiments publics en Catalogne avec des unités d’intervention anti-émeutes de la police. La Garde civile a été chargée de se préparer à se rendre en Catalogne dans l’heure pour renforcer le Groupe de Réserve et de Sécurité (GRS4) basé à Barcelone. Le GRS a été créé par l’ancien Premier ministre du PSOE, José Zapatero, sa mission est « la restauration de l’ordre public dans de grandes manifestations de masse ». Il y a des informations contradictoires sur ce que ferait la police catalane, les Mossos d’Esquadra, en cas de conflit physique.

Des sections de l’élite dirigeante en Europe et aux États-Unis craignent qu’un affrontement entre Barcelone et Madrid puisse provoquer une crise qui engloutirait l’Espagne, plombant ainsi la quatrième économie de la zone euro et un membre essentiel de l’Union européenne et de l’OTAN. Cela risque d’enflammer la situation militaire explosive en Europe, au milieu d’une opposition entre l’OTAN et la Russie, et des tensions de classe croissantes en Espagne et en Europe après une décennie d’austérité profonde.

Jeudi, le président du Parlement européen, Antonio Tajani, a déclaré que la Catalogne devait obéir à la Constitution espagnole et a déclaré que, si la Catalogne se retire, elle sera hors de l’Union européenne. L’agence de notation de crédits, Moody's, a également prévenu que l’indépendance nuirait à la cote de l’Espagne et à celle de la Catalogne. Elle espérait et prédisait que « la Catalogne continuerait à faire partie de l’Espagne », et a déclaré qu’il appartenait à Madrid de satisfaire certaines des principales demandes de la Catalogne, telles que les réformes budgétaires, pour endiguer la crise.

Derrière tout le discours de l’indépendance catalane, il y a les politiques de droite des nationalistes qui gouvernent la région et ont imposé une forte austérité à la classe ouvrière. Le financement de l’éducation, des soins de santé et d’autres dépenses sociales a été réduit et la pauvreté a augmenté, dans l’une des régions les plus riches d’Espagne.

Les factions pro-séparatistes au sein de la bourgeoisie catalane et du CUP petit-bourgeois font la promotion du nationalisme afin de prévenir une lutte commune de la classe ouvrière en Catalogne avec leurs frères et sœurs à travers l’Espagne et l’Europe. Il n’offre rien à la classe ouvrière. Une République catalane, si elle devait être établie, fonctionnerait comme une plate-forme au travail à faible coût au bénéfice des banques et des sociétés transnationales.

L’indépendance catalane a également provoqué une crise dans le parti Podemos. Le leader de Podemos, Pablo Iglesias, a tenté d’éviter habilement le référendum en disant qu’il devrait être retardé jusqu’à ce que Podemos, les partis séparatistes et le PSOE construisent un « nouveau gouvernement progressiste » en Espagne et en Catalogne qui éliminerait le PP du gouvernement. Dans le même temps, le maire de Barcelone, Ada Colau, soutenue par Podemos, a déclaré que le conseil municipal « fera tout son possible » pour permettre aux citoyens de Barcelone de voter lors du référendum.

(Article paru d’abord en anglais le 12 septembre 2017)

Loading