Perspectives

Qui paiera la dévastation causée par l’ouragan Harvey ?

Alors que certains résidents commencent à rentrer chez eux et que les secouristes fouillent les bâtiments encore inondés dans et autour de Houston, au Texas, l’ampleur massive des dégâts causés par l’ouragan Harvey commence seulement à être appréciée. Les conséquences de ce qui, par certains aspects, constituent la plus grande catastrophe naturelle dans l’histoire américaine seront considérables, non seulement pour les millions de personnes directement touchées, mais pour la stabilité sociale et politique aux États-Unis.

Le nombre officiel de morts de la tempête s’est élevé à 46 vendredi, mais ce chiffre augmentera dans les prochains jours. Jusqu’à un million de personnes ont été déplacées par les inondations et sont devenues des réfugiés internes. Le nombre de structures inondées est estimé à 136 000 rien que dans le comté de Harris, qui comprend Houston, la quatrième plus grande ville du pays.

La ville de Beaumont (population de 118 000 habitants), presque transformée en une île, reste sans eau courante, et on ne sait pas quand les pompes de la ville seront réparées. Les installations chimiques et raffinerie dans toute la région, comme l’installation d’Arkema ou un incendie fait toujours rage, sont toujours sous les eaux. Un nombre inconnu de ponts et de routes ont été gravement endommagés et, dans certains cas, ont été emportés.

L’organisme météorologique AccuWeather estime que le coût global de la tempête pourrait atteindre 190 milliards de dollars, soit l’équivalent d’un pour cent de la valeur totale de tous les biens et services produits aux États-Unis pendant toute une année. C’est presque autant que l’ouragan Katrina (2005) et l’ouragan Sandy (2012) confondus. Ces estimations n’incluent pas beaucoup des coûts supplémentaires, tels que les dépenses accrues de soins de santé pour des milliers de personnes en raison du mélange toxique de produits chimiques et de déchets dans les eaux de crue, ou l’impact de la hausse du coût du gaz lorsque les compagnies pétrolières profiteront de l’occasion pour augmenter les prix.

L’ouragan à lui seul aura un effet considérable sur toute l’économie des États-Unis cette année, réduisant peut-être la croissance de moitié. De grandes parties de Houston seront inhabitables pendant des semaines ou des mois en raison des dégâts des eaux, perturbant ainsi l’activité économique et laissant des dizaines de milliers de personnes sans revenus.

C’est les pauvres et la classe ouvrière qui seront les plus touchés. Plus de 80 % des propriétaires dans la région la plus gravement touchée par l’ouragan n’ont pas d’assurance contre les inondations, ce qui signifie qu’ils doivent se débrouiller pour tout reconstruire avec des prêts inadéquats de diverses agences fédérales, à condition qu’ils puissent même les obtenir.

À mesure que la véritable étendue des dégâts se révélera, ses conséquences plus importantes seront ressenties. Harvey a frappé les États-Unis dans le contexte d’une crise sociale, économique et politique profonde. Ni le gouvernement Trump ni ses adversaires au sein de la classe dirigeante ne bénéficient d’un soutien populaire notable. La classe dirigeante américaine, accablée de profondes divisions intérieures sur la politique étrangère, doit faire face à un système économique bâti sur des bulles spéculatives massives et une classe ouvrière de plus en plus en colère et hostile.

Au cours de la dernière semaine, les médias américains et l’establishment politique ont réuni leurs forces pour jouer un théâtre politique bien chorégraphié, combinant des commentaires hypocrites sur la « tragédie » de l’ouragan Harvey, en évitant délibérément toute discussion de qui est responsable et de ce qu’il faut faire. L’objectif est d’empêcher les travailleurs de tirer les conclusions nécessaires : que la dévastation causée par l’ouragan Harvey est un crime du capitalisme, pour lequel la classe dirigeante américaine est responsable.

Le potentiel d’inondation à cette échelle n’était ni imprévisible ni imprévu. Les mesures les plus élémentaires, comme s’assurer qu’il y avait un moyen de canaliser les précipitations dans le nord de la ville vers le golfe du Mexique sans inonder la ville elle-même, ont été tout simplement ignorées, comme indiqué dans un entretien (en anglais) du WSWS avec un expert de la gestion des risques, Robert Bea. Aucun plan n’était en place pour une évacuation ordonnée de la région en cas de catastrophe, bien qu’elle soit sujette aux ouragans.

Une préparation adéquate nécessiterait un niveau d’organisation et de prévoyance dont l’élite dirigeante est incapable. Au cours des quarante dernières années, sous les couleurs des démocrates comme des républicains, elle s’est engagée dans une politique résolue de redistribution de la richesse vers le haut de la société, de déréglementation des entreprises et de spéculation financière. Les résultats se font sentir non seulement à Houston, mais dans tout le pays : l’inégalité sociale record, les villes désindustrialisées, la baisse de l’espérance de vie et l’infrastructure érodée – dont témoignent entre autres l’empoisonnement de l’eau à Flint, dans le Michigan.

Avant même que la crue ait reculé, la principale préoccupation des représentants politiques de l’élite dirigeante est de s’assurer que les responsables de la catastrophe ne devront pas payer pour cela. Un quelconque projet de loi pour un financement fédéral d’urgence sera probablement adopté. Comme ce fut le cas avec les ouragans Katrina et Sandy, cependant, ceux qui ont besoin d’aide devront se battre bec et ongles pour recevoir des fonds pitoyablement inadéquats, généralement sous forme de prêts.

D’une manière ou d’une autre, la classe dirigeante obligera les travailleurs à payer la facture. La priorité dominante de la politique intérieure du gouvernement Trump consiste à faire adopter une réduction massive de l’impôt sur les sociétés. Avant que Harvey ne s’abatte sur le Texas, et même lorsque les crues montaient, Trump et le vice-président Mike Pence faisaient une tournée dans le pays pour promouvoir leur proposition de « réforme fiscale ».

Des propos semblables figuraient dans une tribune du républicain John McCain publiée dans le Washington Post de jeudi intitulée « Il est temps que le Congrès retrouve son ordre régulier », dans laquelle il n’a pas mentionné l’ouragan, mais par contre a appelé le Congrès à poursuivre « la réforme fiscale » – un euphémisme pour réduire les impôts sur les sociétés – ainsi que d’augmenter les dépenses de défense. Les démocrates, quant à eux, ont déclaré à maintes reprises leur soutien pour travailler avec le gouvernement Trump pour « simplifier » le barème de l’impôt en réduisant les impôts sur les sociétés.

La classe ouvrière doit mettre en avant son propre programme. Toutes les victimes de l’ouragan doivent être indemnisées intégralement, avec une reconstruction complète des maisons et des biens endommagés. Ceux qui ne pourront pas réintégrer leur logement doivent se voir attribuer un logement de qualité. Un programme de travaux publics à plusieurs milliers de milliards de dollars doit être lancé pour reconstruire la ville et développer l’infrastructure publique dans tout le pays.

Le financement et la mise en œuvre d’un tel programme nécessitent un assaut frontal sur la richesse et le pouvoir de l’élite financière et du grand patronat. La valeur nette confondue des 400 Américains les plus riches était de 2400 milliards de dollars en 2016, un chiffre qui n’a fait que de croître à mesure que la bourse continue de monter. C’est plus de 12 fois les dégâts estimés de l’ouragan Harvey. Le revenu net des banques américaines l’année dernière était de 171 milliards de dollars. Le budget annuel de l’armée américaine – utilisé pour financer une course mondiale aux conquêtes qui menace de déclencher une troisième guerre mondiale – dépasse les 600 milliards de dollars.

La vaste richesse créée par la classe ouvrière doit être confisquée aux quelques privilégiés et utilisée pour répondre aux besoins sociaux. Les sociétés et banques géantes, qui contrôlent l’ensemble du système politique et dictent la politique, doivent être transformées en services publics, contrôlés démocratiquement par la classe ouvrière.

L’ouragan Harvey ne peut être séparé de toutes les autres manifestations de crise sociale aux États-Unis et à l’étranger. Pour la classe ouvrière, la grande question est de s’organiser dans une lutte pour le pouvoir politique. Il ne s’agit pas de faire pression sur l’élite dirigeante, ni de remplacer une partie de cette élite par une autre. La classe ouvrière doit s’organiser en tant que force politique et devenir le maître de la société. Diriger cette lutte est la tâche primordiale du Parti de l’égalité socialiste.

(Article paru en anglais le 2 septembre 2017)

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