Un journal conservateur allemand menace la Pologne de revendications territoriales

Le gouvernement polonais réclame des réparations de l’Allemagne pour les crimes de guerre commis pendant la Seconde Guerre mondiale. La demande n’est pas nouvelle, mais elle n’a jamais été soulevée de façon si persistante.

Le président du parti national de droite Loi et Justice (PiS), Jaroslav Kaczynski, a donné une nouvelle vie au débat sur les réparations fin juin. Depuis, la première ministre Beata Szydlo a émis des demandes répétées à ce sujet. Elle a déclaré à radio RNFFM le 7 septembre : « La Pologne a droit à des réparations et l’État polonais a le droit de les exiger ». Le ministre polonais des Affaires étrangères, Witold Waszczykowski, a déclaré que la demande de la Pologne s’élevait à 840 milliards d’euros.

Le Bureau d’information du Parlement polonais a publié un rapport de 40 pages lundi justifiant la demande polonaise. Selon lui, une déclaration officielle de 1953 où le gouvernement polonais a renoncé à son droit de réclamer des réparations en Allemagne n’est pas juridiquement valable parce qu’elle a été soumise à la pression de l’Union soviétique et ne s’appliquait qu’à la République démocratique allemande (RDA) et non à l’Allemagne.

Le gouvernement allemand a fortement rejeté la demande polonaise. Le porte-parole du gouvernement, Stefan Seibert, a déclaré vendredi dernier que, en 1953, la Pologne a renoncé à sa demande de réparation complémentaire « légalement et avec applicabilité à l’Allemagne dans son ensemble » et a ensuite confirmé cela à de nombreuses reprises. « De notre point de vue, cette question est donc entièrement réglée, légalement et politiquement. »

Menaces du Frankfurter Allgemeine Zeitung

Les commentaires dans les médias allemands ont également rejeté la demande polonaise. La Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZ), et son édition du dimanche, la Frankfurter Allgemeine Sonntagszeitung, ont adopté un ton particulièrement agressif.

Un commentaire de la FAZ a noté que le gouvernement allemand devait résister aux demandes de Varsovie. « S’il ne le fait pas, il va laisser la porte ouverte à des demandes similaires d’autres pays – la Pologne n’était certainement pas la seule victime de l’agression nazie. » Un commentaire vidéo de la FAZ a été intitulé « Pas de chance pour la Pologne ».

Un article dans l’édition du 10 septembre de la FAZ, intitulé « Discussion dangereuse », de l’historien Gregor Schöllgen, est allé encore plus loin. Il a menacé Varsovie de refuser de reconnaître la frontière occidentale de la Pologne si elle continue d’insister sur sa demande de réparations. « Celui qui veut forcer la demande de réparations force la question de la frontière occidentale de la Pologne », a-t-il écrit.

Schöllgen n’a pas remis en question les crimes horribles perpétrés par le régime nazi en Pologne. « Il n’y a quasiment aucun autre pays qui ait souffert davantage sous la guerre allemande d’anéantissement, de conquête et de pillage que la Pologne », a-t-il écrit. « Plus de cinq millions et demi de Polonais n’ont pas survécu à celle-ci et à l’occupation qui a suivi. »

Mais il a affirmé que la demande d’indemnisation de la Pologne fut réglée lorsque la frontière polonaise fut déplacée à l’ouest. « Avec la possession de territoires autrefois allemands, une grande partie de la demande d’indemnisation faite par la République populaire de Pologne contre l’Allemagne a été couverte », a-t-il ajouté.

Pour lui, L’ancienne Union soviétique et le renoncement formel de paiements de réparation par la Pologne en 1953 ont pris en compte le fait « qu’avec la séparation des territoires orientaux allemands, y compris tous les biens immobiliers et mobiliers, cela a donné une énorme richesse à la Pologne », a déclaré Schöllgen.

Cette interprétation de l’histoire l’amène à lancer la menace d’une demande pour le retour des territoires allemands cédés à la Pologne après la Seconde Guerre mondiale. Étant donné que la République fédérale a reconnu la ligne Oder-Neiße en 1970 dans le cadre de l’Ostpolitik de Willy Brandt en tant que frontière occidentale de la Pologne, seuls les néo-nazis, les associations de personnes expulsées et les éléments de droite dans la CDU / CSU exigeaient le retour des « territoires perdus de l’Est ».

Schöllgen utilise un langage extrêmement agressif. « Qui soulève la demande aujourd’hui à la réparation polonaise doit savoir qu’ils pourraient jouer avec le feu », a-t-il écrit, et a mentionné une déclaration du ministre allemand des Affaires étrangères Walter Scheel (Free Democrats) en 1972. « Dans le cadre d’une telle discussion, on ne peut jamais éviter le fait que d’anciens territoires allemands ont été confisqués. Il faudrait alors prendre en compte les dommages personnels [une référence à ceux tués en fuyant la Pologne] et des pertes importantes qui se sont produites », a déclaré Scheel.

« Qui force la question de la frontière occidentale de la Pologne inévitablement force également la question de la frontière orientale de la Pologne », a poursuivi Schöllgen. « Et quiconque force la question de la frontière orientale de la Pologne soulève inévitablement la question des relations de la Pologne avec l’Ukraine et la Biélorussie. »

Il s’agit d’une tentative à peine dissimulée d’inciter les pays de l’Est voisins de la Pologne à revendiquer du territoire polonais. La Pologne a été forcée après la guerre d’abandonner des parties de son ancien territoire à l’Union soviétique, qui appartiennent aujourd’hui à la Biélorussie et à l’Ukraine.

Légalement justifié

D’un point de vue juridique, la demande polonaise n’est pas injustifiée. Peter Loev, directeur adjoint de l’Institut germano-polonais, a déclaré à Focusmagazine : « En termes purement juridiques, la Pologne a certainement raison d’exiger des réparations. »

L’abandon par la Pologne du droit de réclamer des réparations en 1953, qui a eu lieu à l’initiative de Moscou, s’est effectivement appliqué en pratique à la RDA, puisque la Pologne n’a jamais eu l’occasion de réclamer des réparations de la République fédérale après la partition en 1949. La renonciation aux réparations a été la réponse de Moscou à l’insurrection ouvrière du 17 juin 1953 en RDA. Le régime du Kremlin, affaibli après la mort de Staline, cherchait ainsi à diminuer la crise économique en RDA parce qu’il craignait que le soulèvement puisse se répandre dans toute la Pologne et à l’Union soviétique elle-même.

Le renoncement de 1953 – en plus de tous les accords conclus entre l’Allemagne de l’Ouest et les États d’Europe de l’Est avant 1990 – prévoyait que seul un traité de paix clarifierait finalement la question des réparations. C’est ainsi que le gouvernement allemand interprète l’Accord « deux-plus-quatre » qui a scellé la réunification allemande et a entièrement rétabli la souveraineté allemande. Dans cet accord, l’Allemagne a de nouveau reconnu explicitement l’inviolabilité de la frontière Oder-Neiße.

Cependant, la Pologne n’a pas été partie à l’accord. L’utilisation du terme « traité de paix » a été délibérément évitée à l’époque afin de ne pas donner lieu à un autre débat sur les réparations. Malgré cela, le gouvernement allemand prétend maintenant que la Pologne a abandonné toutes les demandes futures de réparations parce qu’elle n’en a pas fait la demande à l’époque.

L’Allemagne a bénéficié d’un avantage financier substantiel grâce à la question non réglée des réparations. La République fédérale n’a payé que 73,4 milliards d’euros de paiements compensatoires à l’échelle mondiale depuis 1945, selon les calculs de Schöllgen, y compris les paiements à Israël et aux organisations juives, aux victimes survivantes en Europe de l’Est, aux travailleurs forcés et toutes les autres personnes qu’il a pu trouver. La Pologne n’en a reçu qu’un petit pourcentage.

Une demande réactionnaire

Mais même si la demande de réparations de la Pologne a une base juridique, elle est politiquement réactionnaire. Le gouvernement PiS ne se préoccupe pas d’indemniser les victimes du régime nazi. Varsovie n’exige aucune indemnisation pour les victimes encore vivantes, qui ont une existence misérable sous son régime, mais plutôt des transferts vers des caisses de l’État polonais. Mais PiS utilise la demande de réparation avant tout pour raviver les idées nationalistes de droite.

Le PiS a émergé de ces éléments dans la direction du mouvement Solidarnosc qui a mal orienté le soulèvement des travailleurs polonais vers l’impasse constituée par le clergé catholique, le nationalisme polonais et la restauration capitaliste.

La restauration du capitalisme a eu des conséquences catastrophiques pour la classe ouvrière polonaise. Les chantiers navals et les usines, où Solidarnosc jouissait d’une base de masse, ont été en grande partie fermés. Le pays a fini par servir aux grandes entreprises de lieu de travail bon marché. Plus de 3 millions de Polonais ont quitté le pays et travaillent pour de faibles salaires à l’étranger. Un quart de siècle après la restauration capitaliste, les taux de pauvreté sont horribles.

Incapable d’atténuer la crise sociale, PiS mobilise des couches petites-bourgeoises et appauvries de la population dans les zones rurales arriérées et développe des formes de domination dictatoriales pour supprimer toutes les formes d’opposition, qui sont répandues. Selon un sondage récent, 82 % des personnes âgées de 19 à 29 ans et 52 % de tous les électeurs se sont décrits comme des opposants au gouvernement. Seulement une minorité d’entre eux a déclaré qu’elle soutient l’opposition bourgeoise, qui préconise un programme de libéralisme économique et défend l’Union européenne.

Le modèle de PiS est le maréchal Pilsudski, qui a gouverné la Pologne comme dictateur de 1926 à 1935. Leon Trotsky a décrit le régime de Pilsudski à l’époque comme « une contre-révolution antiparlementaire et surtout anti-prolétaire, avec l’aide de laquelle la bourgeoisie en déclin tente – et non sans succès, au moins pour un temps – de protéger et préserver ses positions fondamentales ». Comme Mussolini en Italie, Pilsudski a mobilisé les forces petites-bourgeoises pour intimider la classe ouvrière.

Le gouvernement PiS est également sous une pression accrue sur le front de la politique étrangère. À ce jour, la Commission européenne a engagé une procédure judiciaire contre la Pologne pour violation des traités de l’UE en raison du manque d’indépendance judiciaire. Hystériquement anti-russe comme Pilsudski, le gouvernement PiS s’appuie fortement sur les États-Unis et craint constamment que les États-Unis ne l’abandonnent ou que l’Allemagne forme une alliance avec Moscou au dépens de Varsovie. PiS répond à cette pression croissante de la politique étrangère avec cette demande de réparations.

Danger de guerre croissant

Les demandes des États pour des indemnités ne sont en général pas une méthode efficace de réparer les erreurs passées. Elles ne combattent pas les racines du fascisme et de la guerre, mais les reproduisent plutôt. Elles sont une source de conflits persistants, intensifient les tensions internationales et créent le terrain propice idéal pour une propagande chauvine. Elles empoisonnent le climat politique et établissent un précédent international qui pourrait déclencher de nouvelles demandes. Un exemple à méditer à cet égard est le traité de Versailles de 1919, qui obligea l’Allemagne à payer des réparations de guerre paralysantes et a contribué de manière importante à la montée des nazis et à la Seconde Guerre mondiale.

Le fait que 72 ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, Berlin et Washington cherchent à s’affronter avec ces demandes et des menaces, montre combien le climat politique en Europe devient tendu et toxique. Les tensions et les conflits qui ont transformé l’Europe en champ de bataille font à nouveau irruption.

Berlin, qui aime pointer le doigt sur le régime réactionnaire à Varsovie, n’est pas moins réactionnaire. En s’efforçant de subordonner l’Europe à ses intérêts, Berlin affiche une arrogance croissante. Comme nous l’avons expliqué dans des articles antérieurs sur ce sujet, l’Allemagne ne peut pas reprendre la poursuite de grandes politiques de puissance et de militarisme sans ressusciter toute l’idéologie réactionnaire qui les a accompagnées par le passé. C’est un signe de combien les médias et l’establishment universitaire ont viré à droite qu’un historien contemporain respecté remette en question la frontière occidentale de la Pologne dans la FAZ.

Le FAZ et son édition du dimanche jouent depuis longtemps un rôle de premier plan dans ce processus. Dans le « conflit des historiens » dans les années 80, ils ont servi de plate-forme pour Ernst Nolte, l’apologiste nazi le plus connu parmi les historiens allemands d’après-guerre. Ces derniers temps, ils ont défendu le professeur d’histoire extrémiste de droite Jörg Baberowski, qui soutient Nolte et dit de Hitler qu’il « n’était pas cruel ». Ils ont publié plusieurs attaques hystériques Contre le Sozialistische Gleichheitspartei (Parti de l’égalité socialiste) et son organisation de jeunesse, l’IYSSE, parce que ces organisations ont démasqué Baberowski politiquement et l’ont attaqué publiquement.

Nous avons écrit dans un article il y a deux ans sur la question des revendications grecques pour les réparations en provenance d’Allemagne : « La compensation pour l’injustice passée – comme la lutte contre les diktats d’austérité de la troïka et la lutte contre la guerre et le fascisme – est inséparablement liée à une perspective socialiste. Elle exige l’unification de la classe ouvrière européenne sur la base d’un programme révolutionnaire, pour abolir l’Union européenne, établir des gouvernements ouvriers, transformer les grandes entreprises et les banques en institutions publiques et réorganiser la société dans le cadre des États-Unis socialistes d’Europe. » (Voir : « Why is Syriza demanding reparations from Germany ? »)

Cela s’applique tout autant à la Pologne.

(Article paru en anglais le 16 septembre 2017)

 

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