Conférence sur le centenaire de la Révolution russe

Le retour de Lénine en Russie et les Thèses d'avril

Voici la transcription d'une conférence prononcée le 6 mai par James Cogan, secrétaire national du Socialist Equality Party (Australie). Il s'agit de la cinquième conférence d'une série de présentations internationales en ligne du Comité international de la Quatrième Internationale pour célébrer le centenaire de la Révolution russe de 1917.

Lorsque la révolution de février éclata à Petrograd en 1917, Vladimir Ilitch Lénine, le dirigeant du parti bolchévique, était en exil politique à quelque 2400 km de là, à Zurich en Suisse. Il s’était écoulé environ dix ans depuis qu’il avait été forcé de fuir la Russie après la révolution de 1905, pour échapper à la prison ou même à la peine de mort sous le régime tsariste.

Une dirigeante bolchévique et l’un des plus proches camarades politiques de Lénine, sa femme Nadiejda Kroupskaïa raconte comment, alors qu’ils finissaient de dîner au début du mois de mars, selon le calendrier julien, le marxiste polonais Mieczyslaw Bronski se rua dans leur appartement en criant : « Vous n’avez pas entendu la nouvelle ? La révolution a éclaté en Russie ! »

Kroupskaïa écrit dans Ma vie avec Lénine en 1933:

Lorsque Bronski partit, nous allâmes vers le lac ; il y avait là un endroit où l’on affichait, sous un auvent, tous les journaux dès leur publication.

Nous relûmes à plusieurs reprises les télégrammes. En effet, c’était la révolution. La pensée d’Ilitch commença à travailler fébrilement… Je ne me rappelle pas comment s’acheva la journée et comment se passa la nuit. Le lendemain, arriva la nouvelle série de télégrammes officiels annonçant la révolution de février. Ilitch écrivit aussitôt à Kollontaï, à Stockholm : « Pour rien au monde, pas à la manière de la deuxième Internationale ! Pour rien au monde, pas avec Kautsky ! Coûte que coûte, un programme et une tactique plus révolutionnaires… » Et il ajoutait : « Comme par le passé, ce qui s’impose, c’est la propagande révolutionnaire, la menée des masses et la lutte en vue d’une révolution prolétarienne internationale et en vue de la prise du pouvoir par les Soviets des délégués ouvriers... »[i]

Géographiquement, Lénine était certainement isolé de la Russie. Mais cela ne veut pas dire qu’il n’avait aucune influence. La direction bolchévique en exil à Zurich, formée non seulement de Lénine et Kroupskaïa, mais aussi de remarquables révolutionnaires tels qu’Inessa Armand, gardait le contact autant que possible avec l’organisation illégale bolchévique en Russie : surtout au moyen de lettres et télégrammes qui étaient envoyés à des gens de confiance comme Alexandra Kollontaï en Suède neutre et qui étaient ensuite introduits clandestinement en Finlande, puis dirigés vers St-Pétersbourg et, de là, graduellement diffusés plus largement.

En mars 1917, Lénine approchait de son 47e anniversaire. Il vivait dans des conditions de pauvreté, et le mot est faible. Kroupskaïa raconte dans ses mémoires que leur chambre se trouvait dans « une maison vieille et morne, sa construction devait remonter au seizième siècle, la cour était puante ». Elle note que, vers la fin de 1916, « nous observions une rigoureuse économie dans notre vie personnelle »[ii]. Les bolchéviks en exil manquaient affreusement de ressources : un facteur qui, sans aucun doute, contribua aux problèmes de santé de Lénine.

La réponse de Lénine à la révolution de février découlait de la perspective internationaliste pour laquelle il s’était battu toute sa vie politique, et surtout dans la foulée de l’acte de trahison en août 1914 de la Deuxième Internationale, lorsque la majorité de ses partis et dirigeants avaient appuyé leur propre classe capitaliste dans la Première Guerre mondiale.

Même parmi les marxistes qui s’étaient opposés à cette trahison, Lénine était en minorité.

La majorité de la tendance antiguerre, qui devait être connue comme l’Internationale de Zimmerwald, d’après le nom du village où elle s’était réunie en 1915, préconisait une politique consistant à faire pression sur les gouvernements des pays belligérants pour qu’ils entament des pourparlers de paix.

Lénine soutenait que seule la révolution socialiste en Europe et dans le monde pourrait assurer une paix durable et l’avenir de la civilisation. Tout le travail des marxistes, des véritables internationalistes, devait être consacré à développer la lutte des classes dans leur propre pays et à préparer les conditions du renversement de leur propre classe dirigeante. C’est cette perspective révolutionnaire qui était résumée dans le slogan de Lénine : « Transformer la guerre impérialiste en guerre civile ».

La résolution rédigée par Lénine pour « l’aile gauche » à la conférence antiguerre de Zimmerwald en 1915 commence ainsi:

La guerre actuelle a été engendrée par l’impérialisme. Ce stade, atteint par le capitalisme, est son stade suprême. Les forces productives de la société et l’importance du capital ont grandi au-delà des limites étroites des différents États nationaux. D’où la tendance des grandes puissances à asservir d’autres nations, à conquérir des colonies, en tant que sources de matières premières et débouchés pour l’exportation des capitaux. Le monde entier devient un organisme économique unique ; le monde entier est partagé entre une poignée de grandes puissances. Les conditions objectives du socialisme sont parvenues à une maturité complète, et la guerre actuelle est une guerre des capitalistes pour des privilèges et des monopoles susceptibles de retarder la faillite du capitalisme.[iii]

Le projet de résolution de la gauche de Zimmerwald se conclut de cette façon:

La guerre impérialiste inaugure l’ère de la révolution sociale. Toutes les conditions objectives de l’époque actuelle mettent à l’ordre du jour la lutte révolutionnaire de masse du prolétariat. Les socialistes ont pour devoir, sans renoncer à aucun des moyens de lutte légale de la classe ouvrière, de les subordonner tous à cette tâche pressante et essentielle, de développer la conscience révolutionnaire des ouvriers, de les unir dans la lutte révolutionnaire internationale, de soutenir et de faire progresser toute action révolutionnaire, de chercher à transformer la guerre impérialiste entre les peuples en une guerre civile des classes opprimées contre leurs oppresseurs, en une guerre pour l’expropriation de la classe des capitalistes, pour la conquête du pouvoir politique par le prolétariat, pour la réalisation du socialisme.[iv]

Lénine soutenait que cette perspective exigeait la création d’une Troisième Internationale, constituée seulement des partis dévoués à la révolution socialiste mondiale. C’est surtout sur cette question que Lénine n’avait pas d’appui au sein de l’Internationale de Zimmerwald. La majorité s’accrochait à la possibilité que la Deuxième Internationale pût être ramenée au marxisme.

Lénine était convaincu que les mêmes contradictions qui avaient poussé l’impérialisme à la guerre mondiale allaient propulser la classe ouvrière dans des luttes révolutionnaires, et que la tâche prioritaire des marxistes était de se préparer à ces luttes. Il ne pouvait cependant pas prédire à quel moment ni à quel endroit la révolution éclaterait.

En fait, en janvier 1917, dans un discours prononcé devant un auditoire rassemblé par la jeunesse marxiste à Zurich, Lénine concluait son allocution par ces paroles : « Nous, les vieux, nous ne verrons peut-être pas les luttes décisives de la révolution à venir »[v].

À peine quelques semaines plus tard, la révolution de février éclatait et Lénine était là pour voir et diriger « les luttes décisives de la révolution à venir ».

La pression du « défensisme révolutionnaire »

Le principal problème auquel étaient confrontés Lénine et d’autres révolutionnaires en exil en Suisse était la manière dont ils allaient s’y prendre pour revenir en Russie. La Suisse est un pays enclavé. À l’époque elle bordait l’Italie au Sud, la France à l’Ouest, l’empire austro-hongrois à l’Est et l’empire allemand au Nord. La Russie était en guerre contre l’Autriche et l’Allemagne, et alliée de la France. La classe dirigeante française n’allait pas aider une personne comme Lénine, reconnue pour son opposition à la guerre, à retourner en Russie.

Le temps pressait.

Comme Lénine et les bolchéviques l’avaient anticipé, et Trotsky encore plus clairement dans sa théorie de la révolution permanente, la classe ouvrière joua le rôle dirigeant dans la révolution. Les travailleurs avaient été rejoints par des centaines de milliers de soldats, dont la plupart provenaient des couches les plus pauvres et opprimées de la vaste paysannerie russe.

La Russie était dans une situation de « double pouvoir ». Le véritable pouvoir, celui qu’appuyaient activement les masses, reposait sur les soviets, dont l’autorité était défendue par la force des milices armées de soldats et de travailleurs. Les dirigeants des menchéviks et des socialistes révolutionnaires (SR) dans le soviet tentaient par contre sciemment de transférer le pouvoir au gouvernement provisoire qui avait été mis en place par les partis bourgeois et qui représentait la classe capitaliste et ne manquait pas de liens avec l’appareil d’État tsariste demeuré largement intact.

Les partis bourgeois soutenaient que la Russie devait continuer la guerre contre l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie et respecter ses obligations envers ses alliés impérialistes britanniques et français. Ils exigèrent que les discussions sur les autres enjeux, y compris le moment de l’élection d’une Assemblée constituante pour rédiger une nouvelle constitution, soient retardées jusqu’à la « victoire » dans la guerre. La discipline militaire devait être réimposée aux soldats et les travailleurs armés devaient rendre leurs armes à l’État.

La classe ouvrière formulait cependant ses propres revendications. Elle avait forcé, par ses actions indépendantes, les employeurs capitalistes à accorder la journée de travail de 8 heures. Elle avait établi un certain contrôle sur les usines et lieux de travail. Elle exigeait une réglementation des prix et d’autres mesures pour soulager sa situation. Surtout, les travailleurs exigeaient la fin de la guerre catastrophique, qui avait enlevé la vie à quelque 1,75 million de soldats russes et blessé ou traumatisé des millions d’autres.

Comme les travailleurs, les soldats exigeaient eux aussi la paix. Comme l’écrit Trotsky dans son Histoire de la Révolution russe, les soldats paysans arrivèrent à la conclusion que la réforme agraire et les libertés démocratiques ne vaudraient pas grand-chose s’ils étaient morts.[vi]

Les revendications de la classe ouvrière et des soldats se reflétaient le plus clairement dans les résolutions adoptées par les couches de travailleurs et de soldats influencées par les bolchéviks, qui appelaient les soviets à prendre le pouvoir.

La question de la guerre occupa rapidement le centre des débats. Les dirigeants menchéviques du soviet tels que Tchkhéidzé et Tsérételli, qui s’étaient jusqu’alors opposés en paroles à une participation de la Russie à la guerre, ainsi que le chef socialiste-révolutionnaire Alexandre Kérensky, qui avait obtenu un poste de ministre dans le gouvernement provisoire, soutenaient que la révolution de février, et les gains qu’elle avait réalisés, faisaient en sorte de « transformer » le caractère de la participation de la Russie à la Première Guerre mondiale. Ce n’était plus une guerre agressive de la part de la Russie, affirmaient-ils, mais une guerre pour la défense de la « démocratie » et de la révolution contre le militarisme allemand et austro-hongrois. Cette justification de la guerre était connue sous le nom de « défensisme révolutionnaire ».

La position du « défensisme révolutionnaire » visait objectivement à subordonner entièrement les masses et les soviets au gouvernement provisoire. Elle eut un impact indéniable sur les millions de soldats paysans et d’autres couches sociales, qui venaient de faire leur entrée dans la vie politique et n’avaient qu’un faible niveau de compréhension et de conscience politiques. Il paraissait sensé que les gains de la révolution dussent être défendus d’une agression de l’extérieur. Les soldats n’allaient pas combattre pour les visées conquérantes du tsar, mais ils allaient lutter, si nécessaire, pour défendre un gouvernement qui leur promettait la réforme agraire, la démocratie et la paix.

Le 14 mars, le Comité exécutif du soviet de Petrograd, sous la direction des menchéviks et des socialistes-révolutionnaires, adopta un « manifeste aux peuples du monde entier » qui déclarait que la Russie souhaitait la paix, mais promettait de « défendre résolument notre propre liberté ». Il appelait les travailleurs allemands et autrichiens à renoncer « à servir d’instrument de conquête et de violence dans les mains des rois, des propriétaires et des banquiers ! »[vii]

Comme Trotsky le fit remarquer plus tard dans son Histoire de la Révolution russe, aucune revendication de ce genre ne fut formulée pour rejeter les alliances impérialistes de la Russie avec la Grande-Bretagne et la France, exhorter les travailleurs britanniques et français à refuser de servir « d’instrument de conquête », et encore moins appeler à la lutte contre les propriétaires terriens et les banquiers russes. Le manifeste fut néanmoins adopté à l’unanimité par le soviet de Petrograd.

Des dizaines de délégués bolchéviques étaient parmi ceux au soviet qui avaient donné leur appui au manifeste du Comité exécutif du 14 mars. Encore une fois, un comité bolchévique venait de s’adapter aux positions des menchéviks et des SR et de donner un « soutien critique » au nouveau gouvernement provisoire, provoquant du coup un furieux désaccord parmi les sections du parti se trouvant dans des bastions ouvriers comme le district de Vyborg à Petrograd.

Le 15 mars, le jour après la parution du « manifeste aux peuples du monde entier » du soviet, les immenses pressions de classe qui s’exerçaient sur le parti se firent de nouveau sentir. Le dirigeant bolchévique Lev Kaménev qui, avec Joseph Staline, avait pris la direction du journal du parti, Pravda, écrivit dans un éditorial que tant qu’il n’y aurait pas la paix, « le peuple restera ferme à son poste, répondant aux balles par des balles, aux obus par des obus»[viii].

Staline écrivit le jour suivant : « Notre mot d’ordre n’est ni la désorganisation de l’armée révolutionnaire …, ni la formule creuse : “À bas la guerre !” Notre mot d’ordre est : “Faisons pression sur le Gouvernement provisoire pour le forcer à faire ouvertement, devant la démocratie mondiale tout entière, une tentative pour amener tous les pays belligérants à entamer immédiatement des pourparlers sur les moyens de mettre fin à la guerre mondiale”. Jusqu’à ce moment, chacun restera à son poste de combat. »[ix]

Des sections du parti bolchévique s’opposèrent à la ligne politique de Pravda. Mais il ne fait aucun doute qu’une tendance se développait au sein du parti pour accepter le gouvernement provisoire, se soumettre aux menchéviks et aux SR à la tête du soviet et ainsi limiter la lutte indépendante de la classe ouvrière.

La direction bolchévique était en train de faire fi de la ligne politique formulée par Lénine dans ses Lettres de loin — aucun appui au gouvernement bourgeois, aucun changement dans l’opposition du parti à la guerre, et la lutte pour la prise du pouvoir par les soviets et la classe ouvrière. Une seule de ses quatre lettres avait été publiée dans Pravda, et elle avait été considérablement modifiée, y compris avec le retrait d’une section où Lénine dénonçait quiconque appuyait le gouvernement provisoire en disant qu’il «trahit les ouvriers, trahit la cause du prolétariat, la cause de la paix et de la liberté»[x].

L’argument de Kaménev et Staline était qu’un soutien critique au gouvernement provisoire était nécessaire pour consolider les gains de Février et créer les meilleures conditions pour que les bolchéviks puissent lutter pour l’établissement futur de la « dictature démocratique du prolétariat et de la paysannerie » qui allait « parachever » la révolution bourgeoise en Russie.

Comme l’a écrit Trotsky : « La fraction Kaménev-Staline se transformait de plus en plus en une aile gauche de la soi-disant démocratie révolutionnaire et s’incorporait au mécanisme de pression, par les coulisses parlementaires, sur la bourgeoisie »[xi].

Vers la fin mars, les discussions étaient bien avancées, à différents niveaux, pour une réunification des tendances depuis longtemps divisées des bolchéviks et des menchéviks, basée sur leur appui mutuel, critique ou autre, pour le gouvernement provisoire et le « défensisme révolutionnaire ».

En coulisse, tandis que les partis du soviet tentaient de donner le pouvoir au gouvernement provisoire, des éléments au sein des partis bourgeois complotaient avec d’anciens généraux tsaristes en prévision du jour où la révolution serait suffisamment affaiblie pour permettre la répression sanglante de la classe ouvrière.

À chaque compromis des soviets, et des bolchéviks en particulier, le danger d’une contre-révolution grandissait.

Le wagon plombé

Lénine comprenait profondément ses responsabilités et l’impact que pouvaient avoir ses décisions et ses actions en tant que dirigeant politique. Il reconnaissait l’urgence de la situation. Le parti bolchévique était en train de devenir complice de la classe capitaliste et de la poursuite de la guerre.

Malgré ses années d’exil, Lénine connaissait la valeur de son parti et de ses membres. Ils avaient été formés au marxisme, ils étaient politiquement conscients et dévoués à la cause du socialisme. Il se serait attendu à ce que les positions de Kaménev et Staline provoquent une résistance au sein du mouvement bolchévique et de sa base. De toute façon, les événements en Russie se déroulaient à une vitesse fulgurante, le parti bolchévique était en crise et sa propre présence à Petrograd était essentielle.

Dans une discussion tenue entre les exilés russes à Zurich le 19 mars, le dirigeant menchévique Julius Martov suggéra la possibilité d’obtenir l’accord du gouvernement allemand pour leur permettre de passer par l’Allemagne. Ils pourraient ensuite traverser la mer Baltique vers la Suède, et se rendre en Russie par la Finlande. Martov proposa en échange qu’ils pourraient s’engager à faire pression en Russie pour la libération de prisonniers de guerre allemands.

Lénine s’empara de l’idée. Il savait très bien que les chauvins russes tenteraient de calomnier quiconque reviendrait en Russie via l’Allemagne, en l’accusant d’avoir accepté l’aide de « l’ennemi ». Il exigea donc que les conditions du passage soient transparentes et ne fassent aucun compromis sur les principes révolutionnaires.

Les conditions furent négociées par le marxiste suisse Fritz Platten avec l’ambassade allemande à Zurich.

Elles consistaient en une série de points, tels que décrits par Kroupskaïa dans ses mémoires:

  • Les émigrés russes seraient autorisés à traverser l’Allemagne peu importe leur opinion sur la guerre.
  • Personne n’aurait le droit de pénétrer dans le wagon réservé aux émigrés sans une autorisation expresse de Platten.
  • Ni les passeports, ni les bagages des exilés ne seraient sujets à contrôle.
  • Les exilés s’engageraient à demander la libération d’un nombre correspondant de prisonniers de guerre allemands et autrichiens en Russie.[xii]

Ce qui fut appelé le « wagon plombé » quitta Zurich le 27 mars, transportant Lénine et vingt-neuf autres personnes, y compris des dirigeants bolchéviques tels que Kroupskaïa, Inessa Armand et Grigory Zinoviev.

Le 31 mars, après avoir traversé la mer Baltique, ils arrivèrent en Suède. Ils se rendirent ensuite en Finlande pour prendre le train vers Petrograd. Selon Kroupskaïa, Lénine « demanda si nous serions arrêtés à notre arrivée ». Ses camarades, dit-elle, « sourirent »[xiii].

Lénine arriva à la Gare de Finlande à Petrograd tard dans la soirée du 3 avril 1917.

Loin d’être arrêté, il fut accueilli par des milliers de travailleurs et de soldats alignés sur les positions bolchéviques, et il se vit offrir un bouquet de roses. Il fut personnellement accueilli au nom des soviets par le menchévik Alexandre Tchkhéidzé, qui l’exhorta à appuyer la ligne conciliatoire du Comité exécutif du soviet.

Lénine lança plutôt un appel passionné à la révolution socialiste. En privé, il critiqua vertement Kaménev pour la ligne politique défensiste, pro-guerre, défendue par Pravda.

Les thèses d’avril et le réarmement du parti

Léon Trotsky qualifia ce qui allait s’ensuivre de « réarmement du parti ». Le jour suivant, le 4 avril, Lénine présenta ses « Thèses d’avril » à une réunion de délégués bolchéviques au soviet de députés ouvriers et soldats de Petrograd; et ensuite à une réunion conjointe de délégués des deux tendances rivales, les bolchéviks et les menchéviks.

En quoi consistaient ces Thèses d’avril? Le document comportait 10 points. Il résumait l’attitude de Lénine envers le gouvernement provisoire et la guerre, ainsi que son évaluation de la signification historique des soviets en tant que nouvelle forme supérieure d’État. Il décrivait les mesures économiques d’urgence qui étaient objectivement nécessaires pour soulager les conditions de vie de la classe ouvrière et de la paysannerie rurale en Russie; et il appelait à changer le nom du parti: de Parti ouvrier social-démocrate de Russie à Parti communiste.

Finalement, et ce qui était probablement le plus important, Lénine soutenait que les bolchéviks devaient prendre l’initiative et créer une nouvelle Internationale révolutionnaire, non seulement en opposition aux partis de la Deuxième Internationale qui avaient trahi le socialisme en appuyant leur propre bourgeoisie dans la guerre, mais aussi contre tous les « centristes » qui avaient refusé de rompre avec ces partis.

Je vais maintenant passer en revue les Thèses d’avril.

Point 1: Aucun changement dans la position du parti sur la guerre.

Aucune concession, si minime soit-elle, au « défensisme révolutionnaire » ne saurait être tolérée dans notre attitude envers la guerre qui, du côté de la Russie, même sous le nouveau gouvernement de Lvov et Cie, demeure incontestablement une guerre impérialiste de brigandage en raison du caractère capitaliste de ce gouvernement….

Étant donné l’indéniable bonne foi des larges couches de la masse en faveur du défensisme révolutionnaire qui n’admettent la guerre que par nécessité et non en vue de conquêtes, et étant donné qu’elles sont trompées par la bourgeoisie, il importe de les éclairer sur leur erreur avec une persévérance, une patience et un soin tout particuliers, de leur expliquer qu’il existe un lien indissoluble entre le Capital et la guerre impérialiste, de leur démontrer qu’il est impossible, sans renverser le Capital, de terminer la guerre par une paix vraiment démocratique et non imposée par la violence.[xiv]

Sur ce point, le contraste qu’établit Lénine entre les ambitions de conquête de la bourgeoisie et « l’honnêteté » des masses qui adhéraient à une position de défensisme révolutionnaire est un élément critique. Il s’appuyait sur tout le legs du bolchévisme qui, dès Que faire ? de Lénine, s’était basé sur la compréhension que la conscience socialiste devait être amenée, de l’extérieur, à la classe ouvrière, en opposition à sa conscience bourgeoise spontanée.

Lénine et les bolchéviks avaient toujours soutenu que le parti marxiste devait, en toutes circonstances, s’opposer à la conscience bourgeoise de la classe ouvrière et « expliquer patiemment » afin de la convaincre et la gagner à une position socialiste. Parmi les travailleurs politiquement avancés, ceux qui avaient été éduqués et influencés durant des décennies par les bolchéviks, la récapitulation de cette position, sous d’immenses pressions à s’adapter à l’état d’esprit ambiant, était cruciale.

Lénine disait aux cadres bolchéviques qu’il importait peu que le parti soit minoritaire à ce moment. Ce qu’il fallait, c’était dire la vérité. La logique de la lutte des classes viendrait démasquer le caractère contre-révolutionnaire de Kérensky et des menchéviks. À l’étape cruciale, la rencontre du programme du parti avec les développements objectifs permettrait aux bolchéviks de gagner les masses ouvrières à la perspective de la révolution socialiste.

Point 2: L’adoption par Lénine de la théorie de la « révolution permanente » ou « ininterrompue », surtout associée à Léon Trotsky.

Ce qu’il y a d’original dans la situation actuelle en Russie, c’est la transition de la première étape de la révolution, qui a donné le pouvoir à la bourgeoisie par suite du degré insuffisant de conscience et d’organisation du prolétariat, à sa deuxième étape, qui doit donner le pouvoir au prolétariat et aux couches pauvres de la paysannerie.[xv]

Lénine avait plaidé, contre Trotsky, que le retard économique et social de la Russie était une barrière objective à l’établissement d’un gouvernement ouvrier par la classe ouvrière, c’est-à-dire la dictature du prolétariat. Le gros de la population, l’immense paysannerie rurale, était une classe petite-bourgeoise qui avait pour seules ambitions la réforme agraire et les droits démocratiques : elle n’avait pas d’intérêt fondamental de classe à appuyer le socialisme.

Lénine en était ainsi arrivé à la théorie de l’établissement en Russie d’un type de régime intermédiaire — la « dictature démocratique du prolétariat et de la paysannerie » — dans lequel le mouvement socialiste des travailleurs fonctionnerait en alliance avec les partis les plus radicaux de la paysannerie pour réaliser, autant que possible, la réforme agraire et l’expansion de la démocratie. Cela stimulerait un rapide développement économique du pays, l’expansion de la classe ouvrière et créerait les meilleures conditions pour la réalisation future de mesures socialistes.

Dans sa théorie, Lénine n’avait cependant pas établi quelle classe — et donc quels intérêts — allait dominer dans une telle « dictature démocratique » et quelle serait sa réaction à l’inévitable éruption d’un conflit entre la classe capitaliste et la classe ouvrière.

En avril 1917, Lénine s’exprima fermement pour l’établissement d’un État ouvrier, qui allait gagner et maintenir l’allégeance de la majorité de la paysannerie en mettant en œuvre, dans toute la mesure du possible, la réforme agraire et la démocratie.

La Russie, considérée seule, était certainement caractérisée par un retard économique et social. À l’échelle mondiale toutefois, comme Lénine l’avait établi, la guerre impérialiste signifiait que les conditions objectives pour le socialisme — une économie mondialement intégrée — étaient mûres. La classe ouvrière russe devait profiter de l’occasion pour s’emparer du pouvoir et s’en servir pour faire avancer la cause de la révolution mondiale. Le développement de la Russie s’inscrirait dans le développement d’une planification socialiste internationale.

Dans les débats au sein du parti bolchévique, Lénine fut accusé, avec raison, de « trotskysme » pour cette position. Dans tous ses aspects fondamentaux, la ligne politique des Thèses d’avril suivait la théorie de la révolution permanente de Trotsky.

Point 3: Aucun appui au gouvernement provisoire. Dans une condamnation accablante de la direction du soviet et de la faction Kaménev-Staline du parti bolchévique, Lénine écrivit dans ses Thèses d’avril:

Aucun soutien au gouvernement provisoire; démontrer le caractère entièrement mensonger de toutes ses promesses, notamment de celles qui concernent la renonciation aux annexions. Le démasquer, au lieu d’« exiger » — ce qui est inadmissible, car c’est semer des illusions — que ce gouvernement, gouvernement de capitalistes, cesse d’être impérialiste.[xvi]

Point 4: Une évaluation objective de l’équilibre des forces et l’importance des soviets.

Reconnaître que notre Parti est en minorité et ne constitue pour le moment qu’une faible minorité, dans la plupart des soviets des députés ouvriers, en face du bloc de tous les éléments opportunistes petits-bourgeois tombés sous l’influence de la bourgeoisie et qui étendent cette influence sur le prolétariat. Ces éléments vont des socialistes-populistes et des socialistes-révolutionnaires au Comité d’Organisation (Tchkhéidzé, Tsérételli, etc.), à Stéklov, etc., etc.

Expliquer aux masses que les Soviets des députés ouvriers sont la seule forme possible de gouvernement révolutionnaire, et que, par conséquent, notre tâche, tant que ce gouvernement se laisse influencer par la bourgeoisie, ne peut être que d’expliquer patiemment, systématiquement, opiniâtrement aux masses les erreurs de leur tactique, en partant essentiellement de leurs besoins pratiques.

Tant que nous sommes en minorité, nous nous appliquons à critiquer et à expliquer les erreurs commises, tout en affirmant la nécessité du passage de tout le pouvoir aux soviets des députés ouvriers, afin que les masses s’affranchissent de leurs erreurs par l’expérience.[xvii]

Dans une organisation où la position selon laquelle il fallait accorder un appui critique au gouvernement provisoire devenait dominante, car les conditions n’étaient apparemment pas mûres pour l’établissement d’une « dictature démocratique du prolétariat et de la paysannerie », ces déclarations de Lénine eurent « l’effet d’une bombe », comme l’a écrit le professeur Alexander Rabinowitch.

Lénine défendait non seulement l’idée que le pouvoir devait passer aux mains des soviets, mais aussi que la lutte visant à donner le pouvoir aux soviets ne pouvait être développée que par les bolchéviks, en opposition à toutes les autres tendances politiques.

Point 5: Le soviet en tant que forme supérieure d’État.

Démontrant clairement que Lénine préconisait le renversement de l’État capitaliste et l’établissement d’une forme supérieure, nouvelle, de pouvoir étatique, soit la dictature du prolétariat, menant derrière elle les sections les plus pauvres de la paysannerie, le cinquième point des Thèses d’avril déclare:

Non pas une république parlementaire, — y retourner après les Soviets des députés ouvriers serait un pas en arrière, — mais une république des Soviets de députés ouvriers, salariés agricoles et paysans dans le pays tout entier, de la base au sommet.

Suppression de la police, de l’armée et du corps des fonctionnaires.

Le traitement des fonctionnaires, élus et révocables à tout moment, ne doit pas excéder le salaire moyen d’un bon ouvrier.[xviii]

D’autres points résumaient ensuite la mise en œuvre la plus radicale de la réforme agraire, aux dépens des grands propriétaires terriens, pour gagner l’appui de la paysannerie, ainsi que le contrôle de la finance, de la production et de la distribution par la classe ouvrière, dans les soviets, aux dépens de la classe capitaliste.

Le point 6 appelle à la nationalisation des terres et l’expropriation des vastes domaines appartenant aux propriétaires terriens, pour combler les aspirations et satisfaire les demandes de la paysannerie.

Le point 7 appelle à la consolidation des banques en une seule banque nationale, sous le contrôle des soviets.

Le point 8 appelle au contrôle des travailleurs sur la production et la distribution.

Le point 9 recommande un Congrès du parti, pour adapter son programme aux demandes de la lutte pour donner le pouvoir au soviet, et de changer le nom du parti, du Parti ouvrier social-démocrate russe au Parti communiste.[xix]

Point 10: Une nouvelle Internationale.

On y lit tout simplement: « Prendre l’initiative de la création d’une Internationale révolutionnaire, d’une Internationale contre les social-chauvins et contre le “centre” ».[xx]

Lénine définit le « centre » comme la « tendance » au sein de la Deuxième Internationale « qui vacille entre les chauvins (=“défensistes”) et les internationalistes ». Parmi ses représentants, il mentionne Kautsky et cie en Allemagne, Longuet et cie en France, Turati et cie en Italie, MacDonald et cie en Grande-Bretagne et, ce qui était encore plus explosif, Tchkhéidzé et cie en Russie: c’est-à-dire, les menchéviks avec qui des comités bolchéviques étaient déjà en pourparlers et avec qui, à peine quelques jours plus tôt, Staline avait proposé la réunification de l’organisation.[xxi]

Le choc subi par les bolchéviks à l’écoute des Thèses d’avril n’était rien par rapport à la réaction des délégués menchéviques du soviet qui les entendirent. Comme le menchévik Soukhanov l’écrivit dans ses mémoires, le rapport de Lénine fut décrit comme le « délire d’un fou » et de l’« anarchisme primitif ». Le dirigeant menchévique Skobelev déclara que Lénine était quelqu’un «de fini qui n’est plus dans les rangs du mouvement [social-démocrate]»[xxii].

Lénine n’obtint pas l’appui immédiat de la direction du parti bolchévique, mais il n’était certainement pas « fini ». Son intervention dans la situation politique eut un impact déterminant.

Le 6 avril, Kaménev et Staline s’opposèrent à Lénine lors d’une réunion du Comité central du parti bolchévique.

Le 7 avril, les Thèses furent publiées par Pravda, avec la mention toutefois qu’elles ne représentaient que les positions de Lénine.

Néanmoins, les discussions déchaînées et les réalignements étaient déjà bien avancés au sein du parti.

Le même jour, le 7 avril, dans le Comité exécutif du soviet, 11 délégués bolchéviques et 3 autres, changèrent leur position d’« appui critique » au gouvernement provisoire et votèrent contre une résolution de la majorité menchévique/SR qui donnait l’appui du soviet à un soi-disant « Emprunt de la Liberté » pour financer la poursuite de la guerre.

Le 8 avril, Kaménev, au nom du comité de rédaction de Pravda, tenta de critiquer les Thèses d’avril. Il écrivit:

Quant au schéma général du camarade Lénine, il nous semble inacceptable, étant donné qu’il part de ce principe que la révolution démocratique bourgeoise est terminée, et qu’il table sur une transformation immédiate de cette révolution en révolution socialiste.[xxiii]

Entre le 8 et le 13 avril, Lénine écrivit ses Lettres sur la tactique qui répliquent à la position de Kaménev. Elles furent diffusées dans la direction du parti bolchévique à Petrograd et publiées sous forme de brochure avant la conférence du parti, qui devait se tenir du 24 au 29 avril.

Dans ses Lettres sur la tactique, Lénine aborda surtout le changement que représentaient les Thèses d’avril par rapport à la perspective bolchévique antérieure de « dictature démocratique du prolétariat et de la paysannerie », qui était défendue par Kaménev et d’autres dans le parti.

La Révolution de février, soutint Lénine, avait entraîné le transfert du pouvoir à la bourgeoisie, sous la forme du gouvernement provisoire. « Ainsi », répliqua-t-il à Kaménev, la révolution démocratique bourgeoise était « terminée ».

En opposition aux contre-arguments mécaniques que le parti bolchévique avait toujours soutenu que la révolution démocratique bourgeoise ne pourrait être réalisée qu’à travers la « dictature démocratique », Lénine répondit:

Je réponds: les mots d’ordre et les idées des bolchéviques ont été, dans l’ensemble, entièrement confirmés par l’histoire; mais dans la réalité concrète, les choses se sont passées autrement que nous ne pouvions (et que personne ne pouvait) le prévoir : d’une façon plus originale, plus curieuse, plus nuancée.

L’ignorer ou l’oublier serait s’assimiler à ces « vieux bolchéviks » qui, plus d’une fois déjà, ont joué un triste rôle dans l’histoire de notre Parti en répétant stupidement une formule apprise par cœur, au lieu d’étudier ce qu’il y avait d’original dans la réalité nouvelle, vivante.

« La dictature démocratique révolutionnaire du prolétariat et de la paysannerie » est déjà réalisée dans la révolution russe, car cette « formule » ne prévoit qu’un rapport entre les classes, et non une institution politique déterminée matérialisant ce rapport, cette collaboration. « Le Soviet des députés ouvriers et soldats »: telle est la « dictature démocratique révolutionnaire du prolétariat et de la paysannerie », déjà réalisée par la vie.

Cette formule a déjà vieilli. La vie l’a fait passer du royaume des formules dans celui de la réalité, elle lui a donné chair et os, elle l’a concrétisée et, par là même, modifiée.[xxiv]

Défendant le contenu des Thèses selon lequel la prochaine étape de la révolution serait la lutte pour « remettre le pouvoir entre les mains du prolétariat et les couches les plus pauvres des paysans », Lénine écrit:

Quiconque, aujourd’hui, ne parle que de la « dictature démocratique révolutionnaire du prolétariat et de la paysannerie » retarde sur la vie, est passé de ce fait, pratiquement, à la petite bourgeoisie contre la lutte de classe prolétarienne, et mérite d’être relégué aux archives des curiosités prérévolutionnaires « bolchéviques » (aux archives des «vieux bolchéviks», pourrait-on dire).[xxv]

Dans ce document et d’autres, Lénine expliqua clairement ce qu’il voulait dire par le fait que la « dictature démocratique » était déjà réalisée « sous une certaine forme et jusqu’à un certain point » dans les soviets.

La bourgeoisie libérale n’avait joué aucun rôle important dans la Révolution de février. Celle-ci fut déclenchée et dirigée par la classe ouvrière. Sa victoire avait toutefois dépendu de l’appui des masses paysannes qui s’était exprimé, non sous la forme d’un soulèvement dans les campagnes, mais dans la mutinerie contre l’autocratie tsariste de centaines de milliers de soldats paysans enrôlés de force et jetés dans la guerre impérialiste. Ils se tournaient vers les soviets pour obtenir la paix.

La direction du soviet refusait d’exercer le pouvoir que la classe ouvrière et les masses des soldats paysans avaient mis entre ses mains. En fait, comme l’écrit Lénine, elle « cède de son plein gré le pouvoir à la bourgeoisie, se transforme de son plein gré en appendice de celle-ci », par son soutien au gouvernement provisoire.

Les bolchéviks devaient expliquer patiemment à la classe ouvrière qu’elle ne pourrait faire avancer ses intérêts de classe qu’en faisant passer la révolution à sa « deuxième étape », absolument nécessaire, c’est-à-dire la prise complète du pouvoir de l’État par les soviets.

Les soviets, écrit Lénine, « décideront mieux, d’une façon plus pratique et plus sûre, comment prendre des mesures, et lesquelles, pour marcher au socialisme. Le contrôle de la banque, la fusion de toutes les banques en une seule ne sont pas encore le socialisme, mais un pas vers le socialisme... Qu’est-ce qui oblige à prendre des mesures de ce genre? La famine. La désorganisation de la vie économique. La faillite imminente. Les horreurs de la guerre. Les plaies hideuses que la guerre inflige à l’humanité. »[xxvi]

Le 10 avril, Lénine soumit pour publication son projet de programme pour la conférence bolchévique, sous le titre: « Les tâches du prolétariat dans notre révolution ». Il ne fut publié officiellement qu’en septembre, mais, comme ses « Lettres », il fut diffusé dans le parti bolchévique et, comme Lénine le nota plus tard, « le lecteur attentif n’aura aucune peine à constater que ma brochure a souvent été le projet initial » des résolutions de la conférence.

Le volume 24 des Oeuvres complètes de Lénine contient également la série d’articles et de commentaires qu’il rédigea avant la conférence, défendant la ligne des Thèses d’avril.

Je veux consacrer la dernière partie de ma conférence aux deux questions sans doute les plus importantes des Thèses d’avril, élaborées en détail par Lénine dans ses « Lettres sur la tactique » et dans « Les tâches du prolétariat dans notre révolution ».

Elles étaient: premièrement, la signification des soviets et, deuxièmement, la nécessité d’établir une nouvelle Internationale, une « Troisième Internationale », pour diriger politiquement la lutte pour la révolution socialiste mondiale.

Les soviets, forme étatique de la « dictature du prolétariat »

Lénine évalua les soviets à la lumière de l’héritage des écrits de Karl Marx et de Frédéric Engels sur l’importance historique mondiale de la Commune de Paris, grâce à laquelle, pendant deux brefs mois en 1871, les masses ouvrières de la ville exercèrent le pouvoir politique contre la bourgeoisie française.

Critiquant à la fois ses réalisations et ses erreurs, les fondateurs du socialisme scientifique étudièrent la Commune comme premier exemple de la nouvelle forme d’État qui défendrait la classe ouvrière contre les tentatives de restauration des relations capitalistes. La Commune était la forme que prenait la transition vers une société sans classes dans laquelle un État ne serait plus nécessaire, c’est-à-dire qu’elle représentait la première « dictature du prolétariat ».

Le marxisme, Lénine soutint dans « Les tâches du prolétariat dans notre révolution », « se distingue de l’anarchisme en ceci qu’il reconnaît la nécessité de l’État et d’un pouvoir d’État, pendant la période révolutionnaire en général, et pendant l’époque de transition du capitalisme au socialisme en particulier ».[xxvii]

Un État du type de la « Commune », poursuivit-il, était précisément « ce que la révolution russe a commencé à créer en 1905 et en 1917 »[xxviii].

La question à laquelle faisait face le parti bolchévique était de lutter pour que la classe ouvrière soit consciente que les soviets qu’elle avait formés représentaient cette forme nouvelle, supérieure, d’État dont elle avait besoin pour réaliser le socialisme. Seuls les soviets pourraient assurer le démantèlement ou la destruction de l’ancienne bureaucratie de l’État, empêcher le rétablissement de la police, abolir l’appareil militaire et réorganiser la vie économique dans l’intérêt de la majorité, par l’établissement de la propriété publique des moyens de production.

Dans des mots qui résonneront avec des millions de travailleurs dans le monde d’aujourd’hui, qui font face à des démocraties parlementaires qui tentent de se tourner vers des formes de pouvoir militaire ou fasciste, et qui développent leurs appareils militaires, policiers et de renseignements, Lénine écrit:

Le retour est des plus faciles (l’histoire l’a prouvé) de la république parlementaire bourgeoise à la monarchie, car tout l’appareil d’oppression: armée, police, bureaucratie, demeure intact. La Commune et les Soviets des députés ouvriers, soldats, paysans, etc., brisent et suppriment cet appareil.

La république parlementaire bourgeoise entrave, étouffe la vie politique propre des masses, leur participation directe à l’organisation démocratique de toute la vie de l’État, de la base au sommet. Les Soviets des députés ouvriers et soldats font tout le contraire.[xxix]

Dans les mois qui suivirent, Lénine allait consacrer une bonne partie de son temps à rédiger son œuvre monumentale L’État et la Révolution, qui examinait et développait la question de l’État ouvrier.

Après avoir réalisé la première étape de la Révolution et créé les soviets, Lénine insista sur le fait que la classe ouvrière ne pouvait pas permettre à la bourgeoisie de prendre le pouvoir. Elle devait continuer la révolution. Cette nécessité résultait non seulement des conditions en Russie, mais surtout des conditions mondiales.

Dans une synthèse concise du ralliement de Lénine à la révolution permanente, le projet de programme du parti bolchévique déclarait:

La guerre … a été engendrée par un demi-siècle de capitalisme mondial, par la multitude infinie de ses liens et de ses attaches. Il est impossible de s’arracher à la guerre impérialiste, impossible d’obtenir une paix démocratique, non imposée par la violence, si le pouvoir du Capital n’est pas renversé, si le pouvoir ne passe pas à une autre classe: le prolétariat.

La révolution russe de février-mars 1917 a marqué le début de la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile. Cette révolution a fait le premier pas vers la cessation de la guerre. Seul le second pas — le passage du pouvoir au prolétariat — peut en assurer la cessation. Ce sera dans le monde entier le début de la « rupture du front », — du front des intérêts du Capital, — et ce n’est qu’en rompant ce front que le prolétariat peut soustraire l’humanité aux horreurs de la guerre, lui procurer les bienfaits d’une paix durable.

Et, en créant les Soviets des députés ouvriers, la révolution russe a déjà mis le prolétariat de Russie à même d’opérer cette « rupture du front » du Capital.[xxx]

Le contenu international de la Révolution russe et les « obligations internationales de la classe ouvrière en Russie »[xxxi], comme le disait Lénine, étaient la raison fondamentale pour laquelle il maintenait que les bolchéviks, en se renommant «Parti communiste», devaient immédiatement fonder une Troisième Internationale.

Lénine dénonça de manière cinglante la tendance centriste sur le plan international qui prétendait s’opposer à la trahison de la Deuxième Internationale, mais défendait la conception que la paix pourrait être obtenue en faisant pression sur la bourgeoisie impérialiste et refusait de rompre ouvertement avec ceux qui avaient soutenu leur propre classe dirigeante en guerre — la tendance que Lénine qualifiait de social-chauvins.

Le Centre, écrit-il dans le projet de programme, « n’est pas convaincu de la nécessité d’une révolution contre son propre gouvernement, ne la préconise pas, ne poursuit pas une lutte révolutionnaire intransigeante... »[xxxii]

Ils étaient « des révolutionnaires en paroles, des réformistes en fait », et « des internationalistes en paroles, des complices du social-chauvinisme en fait »[xxxiii].

Les seules tendances qui représentaient l’internationalisme et la classe ouvrière, déclara Lénine, étaient celles qui adhéraient aux positions avancées par la minorité de gauche lors de la conférence anti-guerre de Zimmerwald en 1915.

La discussion qui suivit les Thèses d’avril est une réfutation claire de la position anti-marxiste selon laquelle la dictature bureaucratique du régime stalinien émergea organiquement du bolchévisme. Lénine n’a pas convaincu le parti bolchévique, et encore moins des millions de travailleurs, par des moyens bureaucratiques. Il n’avait aucun appareil, pas de moyens d’intimidation. Il a convaincu par ses idées.

L’absurdité voulant que le parti bolchévique ait été une machine politique monolithique et inconsciente dominée par Lénine est encore plus manifestement réfutée par le résultat de la Conférence bolchévique du 24 au 29 avril. Quelque 150 délégués de toute la Russie s’assemblèrent, représentant et parlant au nom de 79.000 membres du parti, selon les chiffres cités par Trotsky dans l’Histoire de la révolution russe [xxxiv] — travailleurs, soldats, paysans, intellectuels, professionnels et artistes. Certains étaient des révolutionnaires de longue date, la plupart n’avaient adhéré au parti que dans les années, voire les mois précédents.

Les dizaines de milliers de membres bolchéviques représentaient collectivement l’avant-garde de la classe ouvrière, une couche avancée imprégnée de conscience socialiste.

L’attitude préconisée dans les Thèses d’avril envers le gouvernement provisoire, l’attitude à l’égard de la guerre et le point de vue de la prise de pouvoir par les soviets remportèrent une nette majorité lors de la Conférence bolchévique d’avril. La résolution contenant l’appel de Lénine à la fondation immédiate de la Troisième Internationale fut cependant rejetée. Il faudra des mois de discussions supplémentaires avant que la nécessité de rompre, non seulement avec les menchéviks en Russie, mais avec leurs homologues centristes à l’échelle internationale, fût entièrement acceptée.

Dans la foulée de la conférence, les délégués retournèrent dans leurs régions respectives et luttèrent pour la ligne politique de « Tout le pouvoir aux soviets ».

En 1940, réfléchissant à la relation complexe entre la classe ouvrière, le parti révolutionnaire et la direction du mouvement révolutionnaire, Trotsky écrivit ceci:

Un facteur colossal de la maturité du prolétariat russe en février 1917 était Lénine. Il n’était pas tombé du ciel. Il incarnait la tradition révolutionnaire de la classe ouvrière. Car, pour que les mots d’ordre de Lénine puissent trouver le chemin des masses, il fallait qu’existent des cadres, aussi faibles eurent-ils été au début; il fallait que ces cadres aient confiance dans leur direction, une confiance fondée sur l’expérience du passé. Rejeter ces éléments de ses calculs, c’est tout simplement ignorer la révolution vivante, lui substituer une abstraction, « le rapport de forces », car le développement des forces ne cesse de se modifier rapidement sous l’impact des changements dans la conscience du prolétariat, du fait que les couches avancées attirent les plus arriérées, que la classe prend confiance en ses propres forces. L’élément principal, vital, de ce processus, c’est le parti, de même que l’élément principal et vital du parti, c’est sa direction. Le rôle et la responsabilité de la direction dans une époque révolutionnaire sont d’une importance colossale.[xxxv]

Dans le même document, Trotsky écrivit également:

L’arrivée à Petrograd de Lénine, le 3 avril 1917, a fait prendre au parti bolchévique le tournant à temps, et lui a permis de mener la révolution à la victoire. Nos sages pourraient dire que, si Lénine était mort à l’étranger au début 1917, la Révolution d’octobre aurait eu lieu « de la même façon ». Mais ce n’est pas vrai. Lénine constituait un des éléments vivants du processus historique. Il incarnait l’expérience et la perspicacité de la section la plus active du prolétariat. Son apparition au bon moment dans l’arène de la révolution était nécessaire afin de mobiliser l’avant-garde et de lui offrir la possibilité de conquérir la classe ouvrière et les masses paysannes. Dans les moments cruciaux de tournants historiques, la direction politique peut devenir un facteur aussi décisif que l’est celui du commandant en chef aux moments critiques de la guerre. L’histoire n’est pas un processus automatique. Autrement, pourquoi des dirigeants ? Pourquoi des partis ? Pourquoi des programmes ? Pourquoi des luttes théoriques ?[xxxvi]

La convergence d’idées entre Lénine et Trotsky

Les questions de Trotsky : Pourquoi des dirigeants ? Pourquoi des partis ? Pourquoi des programmes ? Pourquoi les luttes théoriques ? sont mises en évidence par le résultat sans doute le plus important des Thèses d’avril. C’est le document qui, après 14 ans de désaccords politiques, réunit Vladimir Lénine et Léon Trotsky.

Trotsky, en avril 1917, était détenu par l’impérialisme britannique au Canada pour l’empêcher de revenir en Russie de son exil forcé à New York. En grande partie suite aux demandes incessantes de la classe ouvrière de Petrograd et des bolchéviks, le ministre des Affaires étrangères du gouvernement provisoire, Milioukov, se vit forcé de demander à contrecœur à la Grande-Bretagne de libérer Trotsky.

Trotsky fut libéré du camp britannique et embarqué sur un navire en partance pour l’Europe le 16 avril 1917.

Au cours de tous les événements d’avril que j’ai passé en revue, Trotsky était soit dans un camp de prisonniers, soit en mer et privé de toutes communications. Il arriva finalement en Russie le 4 mai du calendrier julien. Il n’avait lu ni les Thèses d’avril ni aucun des documents ultérieurs.

Plus tard, Trotsky allait écrire dans sa biographie de Lénine:

Je pris connaissance des thèses d’avril de Lénine le lendemain ou le surlendemain de mon arrivée à Pétersbourg. C’était précisément ce qu’il fallait pour la révolution. …

Cette première entrevue eut lieu, je crois, le 5 ou le 6 mai. Je dis à Lénine que rien ne m’éloignait de ses thèses d’avril et de toute la ligne suivie par le parti depuis son retour en Russie...[xxxvii]

Selon le récit de Trotsky, la discussion qui suivit se concentra uniquement sur la question tactique de son adhésion officielle aux bolchéviks. Des révolutionnaires importants et quelque 3000 travailleurs appartenaient aux Comités inter-rayons (mezhrayontsi). Il s’agissait d’éléments qui s’opposaient à la majorité menchévique, mais qui n’appuyaient pas les bolchéviks, en grande partie sur la base de leur accord avec la théorie de la révolution permanente de Trotsky et ses critiques de longue date de la perspective bolchévique d’une « dictature démocratique du prolétariat et de la paysannerie ».

Trotsky était d’avis qu’il était le mieux placé pour convaincre la majorité des Comités inter-rayons d’adhérer également au parti bolchévique. Et c’est ce qui arriva. Les Comités inter-rayons fusionnèrent officiellement avec les bolchéviks en août 1917.

Le parti bolchévique politiquement renforcé, sous la direction principale de Lénine et Trotsky, obtint l’allégeance d’une majorité écrasante de la classe ouvrière russe qui, appuyée par une vaste masse de soldats et de paysans ruraux, établit le premier État ouvrier selon la perspective sans équivoque que la révolution russe représentait le coup d’envoi de la révolution socialiste mondiale.

La forte convergence d’idées qui s’établit entre Lénine et Trotsky doit figurer parmi les événements les plus importants de l’histoire moderne. Il contenait deux éléments critiques qui doivent être compris aujourd’hui par tous les révolutionnaires.

Il fallait que Lénine réarme son parti dans la perspective de la révolution socialiste mondiale. Si les bolchéviks avaient rejeté les Thèses d’avril de Lénine et maintenu la ligne Kaménev-Staline de « soutien critique » au gouvernement provisoire et à la guerre, Trotsky ne les aurait pas rejoints.

Mais il fallait également que Trotsky reconnaisse combien Lénine avait vu juste et loin dans son intransigeance à ne tolérer aucun compromis avec l’opportunisme. C’est ce que la génération actuelle de révolutionnaires doit surtout assimiler.

Depuis la Conférence de Zimmerwald de 1915, Lénine avait ciblé Trotsky comme l’un de ces « centristes » qui, tout en s’opposant profondément à la trahison de la Deuxième Internationale et en luttant pour un programme révolutionnaire contre la guerre, n’avaient pas appelé ouvertement à une rupture et à la création d’une nouvelle, d’une Troisième Internationale.

Lénine avait insisté depuis 1903 contre Trotsky, sur le fait qu’une démarcation complète avec toutes les tendances opportunistes, c’est-à-dire les tendances bourgeoises, était essentielle au développement de la conscience indépendante, révolutionnaire et socialiste dans la classe ouvrière. Trotsky fut gagné sur cette position par la guerre, pas moins que Lénine fut gagné aux préceptes essentiels de la révolution permanente.

L’évolution du « centre » menchévique en Russie et des groupements similaires aux États-Unis et en Europe occidentale, en une tendance ouvertement bourgeoise, pro-impérialiste et pro-guerre, avait éclairé Trotsky sur la pleine signification des efforts de Lénine pour réaliser une scission totale avec les menchéviks dès 1903.

Lénine devait déclarer quelques mois plus tard que, après que Trotsky eut rejeté toute possibilité d’unification avec les menchéviks à son retour en Russie et compris le besoin d’une Troisième Internationale, il n’y avait « pas meilleur bolchévik »[xxxviii].

Lénine et Trotsky avaient mené une bataille théorique pendant 14 ans. En 1917, ils arrivèrent à une compréhension commune de la perspective politique et de la nature du parti qui était nécessaire pour diriger la classe ouvrière russe à la prise du pouvoir politique et montrer la voie de l’avant à la classe ouvrière du monde entier.

C’est la raison pour laquelle la Révolution russe de 1917 demeure la première et la seule révolution socialiste victorieuse.

Aucune autre tentative de la part de la classe ouvrière pour prendre le pouvoir n’a été préparée ou développée de manière comparable, surtout en raison du rôle politiquement criminel de l’appareil stalinien qui a usurpé le pouvoir de la classe ouvrière au cours des années 1920 et qui a ensuite exterminé dans les années 1930 d’innombrables intellectuels et ouvriers politiquement éduqués au bolchévisme.

La leçon de la Révolution russe est la suivante: dans tous les pays, la classe ouvrière a besoin d’une section d’un parti mondial, qui s’appuie sur la théorie de la révolution permanente et la perspective de la révolution socialiste mondiale, et qui mène une lutte implacable pour se différencier de toutes les tendances bourgeoises et anti-marxistes.

Le Comité international de la Quatrième Internationale est ce parti mondial, et lui seul prépare la classe ouvrière pour les révolutions du vingt et unième siècle.

Notes

[i] Traduit de l’anglais, N.K. Krupskaya, Reminiscences of Lenin (New York: International Publishers, 1975), p. 336.

[ii] Ibid., p. 318.

[iii] Traduit de l’anglais, V.I. Lenin, “The Draft Resolution Proposed by the Left Wing at Zimmerwald,” Collected Works, Vol. 21 (Moscow: Progress Publishers, 1964), p. 345.

[iv] Ibid., pp. 347–48.

[v] Traduit de l’anglais, V.I. Lenin, “Lecture on the 1905 Revolution,” Collected Works, Vol. 23, (Moscow: Progress Publishers, 1964), p. 253.

[vi] Traduit de l’anglais, Leon Trotsky, History of the Russian Revolution, (London, Pluto Press, 1977), p. 284.

[vii] Ibid., p. 294.

[viii] Léon Trotsky, Les leçons d’octobre (Paris: Editions Les Bons Caractères, 2014, Format epub), p.27.

[ix] Ibid., p. 28.

[x] Traduit de l’anglais, Lenin, “Letters from Afar,” Collected Works, Vol. 23, p. 305.

[xi] Traduit de l’anglais, Trotsky, History of the Russian Revolution, pp. 306–07.

[xii] Traduit de l’anglais, Krupskaya, Reminiscences of Lenin, pp. 340–41.

[xiii] Ibid., p. 346.

[xiv] Traduit de l’anglais, V.I. Lenin, “The Tasks of the Proletariat in the Present Revolution,” Collected Works, Vol. 24, (Moscow: Progress Publishers, 1964), pp. 21–22.

[xv] Ibid., p. 22.

[xvi] Ibid.

[xvii] Ibid., pp. 22–23.

[xviii] Ibid., p. 23.

[xix] Ibid., pp. 23–24.

[xx] Ibid., p. 24.

[xxi] Ibid., footnote ***.

[xxii] Cité (et traduit de l’anglais) dans Alexander Rabinowitch, Prelude to Revolution, (Bloomington and Indianapolis: Indiana University Press, 1991), p. 40.

[xxiii] Traduit de l’anglais, Lenin, “Letters on Tactics,” Collected Works, Vol. 24, p. 50.

[xxiv] Ibid., pp. 44–45.

[xxv] Ibid., p. 45.

[xxvi] Ibid., pp. 53–54.

[xxvii] Traduit de l’anglais, Lenin, “The Tasks of the Proletariat in Our Revolution,” Vol. 24, p. 68.

[xxviii] Ibid.

[xxix] Ibid., p. 69.

[xxx] Ibid., p. 67.

[xxxi] Ibid., p. 74.

[xxxii] Ibid., p. 76.

[xxxiii] Ibid., p. 80.

[xxxiv] Traduit de l’anglais, Trotsky, History of the Russian Revolution, p. 340.

[xxxv] Traduit de l’anglais, Leon Trotsky, “The Class, the Party and the Leadership,” The Spanish Revolution 1931–39, (New York: Pathfinder Press, 1973), pp. 359–60.

[xxxvi] Ibid., pp. 361–62.

[xxxvii] Traduit de l’anglais, Leon Trotsky, “Before the October Revolution,” Lenin (New York: Capricorn Books, 1962), pp. 67–68.

[xxxviii] Traduit de l’anglais selon le procès-verbal de la session du comité de Pétersbourg du POSDR (bolchévique), 1er novembre 1917, “Lost Document,” Leon Trotsky, The Stalin School of Falsification, (London, New Park Publications, 1974), p. 82.

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