Le gouvernement catalan dans la tourmente après la suppression de l’autonomie par l’Espagne

Samedi, trois semaines après la répression contre le référendum du 1ᵉʳ octobre sur l’indépendance catalane, le Premier ministre espagnol Mariano Rajoy a invoqué l’article 155 de la Constitution espagnole pour suspendre l’autonomie catalane.

L’action a fait se précipiter 450 000 personnes dans les rues de Barcelone pour s’y opposer plus tard dans la journée, signe que les mesures antidémocratiques qui vont être appliquées en vertu de l’article 155 provoqueront un conflit violent avec la population catalane.

Ces mesures sans précédent permettent au gouvernement du Parti populaire espagnol (PP) de démettre le Premier ministre catalan Carles Puigdemont et ses ministres de leurs fonctions, de s’arroger le droit d’organiser des élections régionales, et de prendre le contrôle des institutions économiques de la Catalogne, la force de police régionale Mossos d’Esquadra et les médias publics catalans. Des plans ont été finalisés pour envoyer des gardes civils et des soldats afin d’établir de fait une occupation policière et militaire.

Ce vendredi, les mesures de Rajoy seront présentées au Sénat espagnol, où le PP a une majorité absolue, pour approbation. Elles ont le soutien du Parti socialiste espagnol (PSOE) et du Parti des Citoyens, ainsi que de l’Union européenne et du gouvernement Trump.

Face à l’assaut du PP, la bourgeoisie régionale catalane est dans la tourmente. Dans une tentative d’empêcher que la réaction contre Rajoy sorte des canaux officiels, elle a poursuivi une politique d’appel au PP et au PSOE pour le dialogue, ainsi qu’à la justice espagnole et à l’intervention de l’UE. Lundi, la Commission européenne a à nouveau indiqué que son attitude à l’égard de la Catalogne n’avait pas changé. « La position est bien connue », a déclaré un porte-parole de la Commission. « Nous avons toujours dit que nous respectons l’arrangement constitutionnel et juridique de l’Espagne. »

Lundi également, le Parlement catalan a indiqué qu’il organiserait une session plénière jeudi matin pour donne sa réponse à Madrid. Sergi Sabrià, porte-parole de la gauche républicaine catalane (ERC), a accusé le PP, le PSOE et Citoyens de « gaspiller » l’« opportunité de dialogue » offerte par la suspension de la déclaration d’indépendance de Puigdemont la semaine dernière. Il a dit que la meilleure réponse « à l’article 155 et au coup d’État » est de déclarer l’indépendance.

Le Parti des Candidatures pour l’Unité Populaire (CUP), parti sécessionniste petit-bourgeois, exige que l’indépendance soit déclarée immédiatement, menaçant autrement de « désobéissance civile massive ».

Le ministre des Affaires étrangères de Catalogne, Raul Romeva, a déclaré à la BBC que les institutions catalanes réagiraient avec défiance. Il a dit, en se référant à la population de la région : « Ce n’est pas une décision personnelle […] C’est une décision de 7 millions de personnes ».

Il a poursuivi : « Je n’ai aucun doute que tous les fonctionnaires en Catalogne continueront à suivre les instructions fournies par les institutions élues et légitimes que nous avons actuellement en place. »

Albert Donaire, un porte-parole d’une section de la force de police régionale appelée « Mossos pour l’indépendance », a exhorté le gouvernement régional à déclarer une république catalane avant que l’article 155 ne prenne effet et que le ministère espagnol de l’Intérieur ne prenne le contrôle des Mossos. Les Mossos resteront « fidèles au parlement [catalan] et au gouvernement », a déclaré Donaire.

Une grève des étudiants a été annoncée pour le 26 octobre par le groupe « Universités pour la République » pour réclamer la libération « immédiate » des militants catalans emprisonnés, Jordi Sànchez et Jordi Cuixart.

L’invocation de l’article 155 a provoqué une crise dans la section catalane du PSOE, le Parti socialiste de Catalogne (PSC). À son apogée dans les années 1990, le PSC détenait 52 des 135 sièges du parlement catalan et obtenait environ 38 % des voix. Lors des dernières élections en 2015, cependant, le nombre de députés du PSC a chuté à 16 ayant obtenus 13 pour cent des voix, en grande partie à cause de la colère contre les mesures d’austérité qu’il a imposées dans le cadre d’un gouvernement de coalition régionale.

Le PSC est divisé par rapport au soutien du PSOE pour l’article 155. Le leader du PSC, Miguel Iceta, a rejeté les appels au sein du parti à s’opposer « frontalement » à l’article 155. Au lieu de cela, il a rencontré Puigdemont, le pressant de convoquer de nouvelles élections affirmant que cela arrêterait la dissolution du gouvernement et la tenue d’élections forcées. « Nous nous tournons vers le président Puigdemont avec une double option : organiser des élections basées sur la légalité actuelle ou utiliser le processus d’une audience au Sénat pour proposer un dialogue. C’est notre position », a expliqué Iceta.

Cependant, la Gauche républicaine catalane (ERC) demande à davantage de municipalités de rompre leurs accords de coalition avec le PSC. Le député ERC Gabriel Rufian a déclaré : « Vous ne pouvez pas gouverner avec ceux qui participent à la brutalité de l’État. Nous devons mettre fin aux pactes municipaux avec le PSC / PSOE. »

Dimanche, un communiqué signé par sept dirigeants actuels et anciens du PSC a rejeté l’application « abusive et absolue » de l’article 155, affirmant qu’avec le soutien du PSOE espagnol à la politique intransigeante du PP, le PSC « peut déjà faire ses adieux à la construction d’un gouvernement majoritaire alternatif pendant de nombreuses années ».

Joan Majó, cofondateur du PSC et ex-ministre de l’Industrie du Premier ministre Felipe González (1982-1986), a démissionné, déclarant que, sans s’aligner sur le mouvement indépendantiste catalan, il était « de plus en plus en désaccord » avec de nombreuses politiques du PSC « concernant la relation entre la Catalogne et l’État ».

Le soutien du PSC à l’article 155 a également causé des problèmes à la maire de Barcelone, Ada Colau, qui compte sur le PSC pour maintenir sa coalition en Comú au pouvoir. Cherchant à détourner la critique sur ses relations étroites avec le PSC, Colau a dit qu’elle était « inquiète » par la « dérive » du leader du PSOE, Pedro Sánchez. Le maire adjoint, Jaume Asens, a promis que BComú entreprendra d’analyser « les implications de l’application de l’article 155 ».

L’application de l’article 155 a également été une menace agitée au Pays basque. L’ancien ministre de la Santé et président du parti régional du PP, Alfonso Alonso, a prévenu que la région avait « tous les ingrédients » pour se retrouver dans « la même situation » que la Catalogne. Il a déclaré que c’était la responsabilité de son parti « d’empêcher » que ces « ingrédients » ne se mélangent.

Alonso a pris la parole aux célébrations pour marquer les 40 ans de « démocratie » en Espagne et le sixième anniversaire du moment où l’organisation terroriste basque ETA « a reconnu sa défaite » et abandonné ses armes.

Au cours de son discours, Alonso a déclaré que, comme en Catalogne, le « nationalisme est au pouvoir » au Pays basque, en référence au Parti nationaliste basque (PNV). Il y a des « forces radicales qui justifient toujours des positions violentes », a-t-il poursuivi, faisant allusion à EH Bildu (une réincarnation de l’aile politique de l’ETA Batasuna). Il ajoute que « les populistes de Podemos sont la troisième force » et que Gure Esku Dago est une Assemblée nationale basque « naissante ».

Le coordinateur général de EH Bildu, Arnaldo Otegi, a déclaré que « la dérive autoritaire de l’État » par rapport à la Catalogne « atteindra certainement » le Pays Basque. Il a appelé à un « exercice urgent de responsabilité politique » pour défendre « l’unité nationale et démocratique » entre les partis opposés à l’application de l’article 155.

(Article paru en anglais le 24 octobre 2017)

 

Loading