L’Espagne annule l’autonomie catalane, et prépare un régime militaire dirigé depuis Madrid

Samedi, trois semaines après la répression brutale de la police lors du référendum sur l’indépendance catalane du 1ᵉʳ octobre, le Premier ministre espagnol Mariano Rajoy a officiellement annoncé l’invocation de l’article 155 de la Constitution espagnole pour priver le gouvernement régional catalan de ses pouvoirs. À sa place, Madrid va installer un gouvernement non élu à Barcelone soutenu par l’armée espagnole, la police paramilitaire Guardia Civil et d’autres unités de la police.

La mise en œuvre de l’article 155 entraînera inévitablement le régime espagnol dans un affrontement violent avec de larges masses de la population catalane, où il y a une opposition profonde au passage de Madrid à la dictature. Alors que le Conseil des ministres de Rajoy mettait au point les mesures samedi, un demi-million de personnes ont défilé à Barcelone contre l’arrestation arbitraire par Madrid de deux politiciens nationalistes catalans, Jordi Sànchez de l’Assemblée nationale catalane (ANC) et Jordi Cuixart d’Omnium Cultural.

Les mesures mises en place par le Conseil des ministres entraînent la suspension des formes démocratiques de gouvernement en Catalogne et la mise en place de ce qui est en tout points sauf dans son nom un gouvernement d’occupation militaire. Elles comprennent :

* La destitution du Premier ministre catalan Carles Puigdemont et de tous les ministres régionaux catalans et leur remplacement par « des organes ou des autorités créés à cet effet ou désignés par le gouvernement [espagnol] ».

* Le transfert de leur autorité pour appeler les élections régionales au gouvernement espagnol.

* L’octroi des pleins pouvoirs à Madrid pour contrôler la police régionale catalane, les Mossos d’Esquadra, pour déployer la police ou des unités de Guardia civiles dans la région, et de prendre d’autres mesures de sécurité.

* Attribuer le contrôle des pouvoirs « économiques, financiers, fiscaux et budgétaires » en Catalogne au Trésor espagnol.

* La destitution du pouvoir parlementaire catalan pour nommer un gouvernement ou exercer un contrôle sur les autorités mises en place par Madrid en Catalogne.

* Le transfert du contrôle des médias publics catalans à Madrid, qui les contrôlera afin de garantir « le respect des valeurs et des principes contenus dans la constitution espagnole ».

Ces mesures doivent être approuvées à la fin de la semaine par le Sénat espagnol, où le Parti populaire (PP) de droite de Rajoy a la majorité absolue.

La décision de Madrid de suspendre l’autonomie catalane marque un effondrement historique des formes démocratiques de gouvernement en Europe occidentale. Il y a 40 ans aujourd’hui, le politicien nationaliste catalan Josep Taradellas est rentré à Barcelone depuis son exil en France pour diriger le gouvernement catalan, alors que le régime fasciste installé par Francisco Franco pendant la guerre civile espagnole s’effondrait dans les luttes de masse de la classe ouvrière. L’octroi des droits linguistiques et de l’autonomie à la Catalogne a été considéré comme essentiel pour surmonter l’héritage fasciste de Franco, qui avait interdit l’usage public de la langue catalane.

Maintenant, Madrid s’apprête, avec le soutien de l’Union européenne, à répudier les concessions en termes de droits sociaux et démocratiques de la période post-Franco. Lors du sommet européen de Bruxelles la semaine dernière, tenu après que Rajoy a promis d’invoquer l’article 155, les dirigeants européens, dont la chancelière allemande Angela Merkel, le Premier ministre britannique Theresa May et le président français Emmanuel Macron, ont tous explicitement approuvé l’attaque de Rajoy contre la Catalogne.

Non seulement la Guardia Civil, mais aussi des unités de l’armée espagnole, y compris le régiment d’infanterie motorisée Arapiles en Catalogne, sont en cours de préparation à l’action.

Un conflit explosif aux implications révolutionnaires se met en branle. L’imposition par Madrid d’une dictature non élue, après que le référendum du 1ᵉʳ octobre a abouti à un vote de 90 pour cent représentant plus de 2 millions de votants en faveur de l’indépendance catalane, provoquera une résistance de masse. Le PP, qui n’a reçu que 8 % des voix lors des dernières élections régionales en Catalogne, n’y a pratiquement aucun soutien ni aucune présence électorale.

A Barcelone, La Vanguardia a mis en garde contre l’opposition profonde que la prise de pouvoir de Madrid va déclencher. Parmi les Catalans, il écrit : « nombreux sont ceux qui, sans être sécessionnistes, vont pleurer des larmes amères à l’effondrement imminent de l’autonomie obtenu en 1977. » Il a poursuivi : « La politique de la péninsule ibérique n’admet pas les nuances. Le message écrit dans le sable est le suivant : la Catalogne doit être punie. »

Samedi, les bus et les trains étaient bondés alors que les gens venaient de toute la Catalogne à Barcelone pour la manifestation de 450 000 personnes contre l’emprisonnement de Sànchez et Cuixart. Puigdemont s’est joint à la manifestation, tout comme les représentants des principaux partis politiques, syndicats et associations de Catalogne. Les manifestants ont sifflé et hué les hélicoptères du Guardia Civil qui survolaient et ont scandé le slogan anti-Franco de la Guerre civile espagnole de 1936-39, « No Pasaran » (« Ils ne passeront pas »).

Les travailleurs de la télévision et de la radio publique catalane indiquent clairement qu’ils n’ont pas l’intention d’obéir au diktat madrilène. Les travailleurs de TV3 ont publié une déclaration dénonçant l’article 155 comme une « attaque directe, indigne et impudente contre la liberté d’expression, d’information et de la presse et contre le professionnalisme des travailleurs ». Ils ont déclaré qu’ils resteraient fidèles au Parlement catalan « démocratiquement élu le 27 septembre 2015. »

Le comité d’entreprise de Catalunya Ràdio a publié un communiqué intitulé « Sans médias publics, il n’y a pas de démocratie ». La déclaration s’est engagée à défier le PP. Il a averti que si le gouvernement central choisissait un nouveau directeur pour la station de radio, « nous n’aurons pas d’autre choix que de refuser de reconnaître son autorité ».

Il est vital pour les travailleurs à travers l’Espagne et l’Europe de s’opposer aux plans de Madrid pour une répression plus sanglante en Catalogne. L’objectif politique de l’offensive préparée par Rajoy et l’UE contre les travailleurs et les masses de Catalogne est toujours plus clair : stabiliser une Europe en crise en terrorisant les travailleurs avec l’exemple d’une dictature policière-militaire sur toute une province.

L’agression contre la Catalogne révèle le caractère de classe des vastes attaques contre les droits démocratiques lancées dans le monde depuis les attentats du 11 septembre 2001.

Les tentatives des autorités américaines et européennes pour justifier le renforcement massif des unités de police, de l’espionnage électronique et des déploiements militaires domestiques comme l’état d’urgence français en faisant référence à une soi-disant « guerre contre le terrorisme » constituent une fraude politique. La cible principale, ce ne sont pas les islamistes liés à Al-Qaïda, dont beaucoup sont financés par des alliés de l’UE et des États-Unis dans des guerres de changement de régime en Syrie et ailleurs. En Catalogne, toutes les puissances de l’UE soutiennent l’utilisation de ces mesures par Madrid pour cibler une opposition politique pacifique parce qu’elles se préparent à faire de même.

L’affirmation de Madrid, soutenue explicitement par l’UE, selon laquelle le pouvoir militaire serait la seule réponse possible au référendum sur l’indépendance de la Catalogne est un mensonge absurde, imprégné de l’hypocrisie impérialiste. L’Écosse a organisé un référendum sur l’indépendance de la Grande-Bretagne en 2014 et le Québec a tenu des référendums sur l’indépendance du Canada en 1980 et 1995. Ni Londres ni Ottawa n’ont défilé des dizaines de milliers d’unités paramilitaires et militaires pour assaillir des électeurs pacifiques ni d’employer la force pour prévenir des efforts sécessionnistes dans ces régions.

D’autre part, les puissances impérialistes de l’OTAN invoquaient à plusieurs reprises leur devoir supposé sacré de défendre les mouvements sécessionnistes – au Kosovo en 1999 et à Benghazi, en Libye en 2011 – pour justifier des attaques contre des pays comme la Yougoslavie et la Libye.

Il n’est pas difficile d’imaginer comment les partisans de l’impérialisme « humanitaire » comme le politicien vert Daniel Cohn-Bendit et Olivier Besancenot du Nouveau parti anticapitaliste auraient réagi si des vidéos avaient émergé en 2011 des forces de sécurité libyennes agressant des électeurs pacifiques et battant des femmes âgées, comme la Guardia civil a fait le 1ᵉʳ octobre. Dénonçant le dirigeant libyen le colonel Mouammar Kadhafi pour avoir attaqué « son propre peuple », ils auraient exigé que l’OTAN accélérer son calendrier pour bombarder la Libye et assassiner Kadhafi.

Cohn-Bendit n’appelle pas, cependant, à bombarder Madrid ou à assassiner Rajoy. Il tient des réunions amicales avec Macron alors que Paris donne le feu vert à Rajoy pour lancer un assaut néo-franquiste sur la Catalogne tout en préparant un nouveau renforcement de l’État policier sous le couvert de la loi antiterroriste française.

(Article paru en anglais le 23 octobre 2017)

 

 

 

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