Le sommet de l’UE accepte la poursuite des négociations, mais la crise du Brexit continue

L’acceptation par l’Union européenne (UE) que la Grande-Bretagne a fait « des progrès suffisants » pour passer à la deuxième phase des négociations sur les relations futures après le Brexit n’est rien de plus qu’un sursis à l’exécution du Premier ministre Theresa May.

La déclaration écrite de l’UE et les commentaires de ses dirigeants confirment que les applaudissements que May a reçus après un dîner formel jeudi soir étaient un geste politique pour renforcer sa main face aux irréductibles de l’aile pro-Brexit (sortie de l’UE) de son parti. Mais en ce qui concerne les questions de fond, l’UE adopte la ligne dure.

Ce sommet de l’UE de deux jours s’est conclu vendredi par deux conférences de presse, l’une avec la chancelière allemande Angela Merkel et le président français Emmanuel Macron, et l’autre avec le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, et le président du Conseil européen, Donald Tusk.

Tous ont souligné que le deuxième cycle de négociations serait difficile. La deuxième phase va être « une négociation encore plus difficile que celle que nous avons eu jusqu’à présent », a déclaré Mme Merkel. « L’UE a besoin de plus de clarté sur leur vision » de la part du Royaume-Uni, a déclaré Tusk.

Lors de son arrivée pour la deuxième journée du sommet, Juncker avait déclaré : « J’ai une foi extraordinaire dans la Première ministre britannique », mais il a ajouté : « La deuxième phase sera beaucoup plus difficile que la première et la première a été très difficile. » Les marchés sont si nerveux que ses commentaires ont entraîné une chute de la livre sterling contre le dollar et l’euro.

La stratégie de négociation adoptée par les 27 États membres de l’UE est une recette pour de nouveaux conflits au sein du Parti conservateur profondément divisé, et laisse en sursis des questions fortement débattues entre le Royaume-Uni et l’UE.

Elle engage le Royaume-Uni à respecter « tous les instruments et structures réglementaires, budgétaires, de surveillance, judiciaires et exécutoires existants », y compris la Cour de justice de l’Union européenne. Étant donné que le Royaume-Uni « continuera à participer à l’union douanière et au marché unique » tout au long de la transition de deux ans jusqu’à la sortie de l’UE en 2021, il devrait également respecter ses « quatre libertés », notamment la libre circulation des citoyens européens, et « se conformer à la politique commerciale de l’UE, appliquer le tarif douanier de l’UE et percevoir les droits de douane de l’UE, et veiller à ce que tous les contrôles imposés par l’UE soient effectués à la frontière vis-à-vis des pays tiers. »

Les lignes directrices stipulent également que le Royaume-Uni doit adopter tous les nouveaux règlements de l’UE créés pendant la période de transition, tout en étant exclue de tout rôle décisionnel. Même les lignes directrices pour les négociations commerciales ne seront publiées qu’en mars 2018, rendant un accord pour mars 2019 problématique pour le moins.

Comme l’a souligné la menace déjà lancée par le Premier ministre irlandais Leo Veradkar d’opposer son veto à un accord, le caractère de la frontière entre la République d’Irlande et l’Irlande du Nord reste une source potentielle de crise pour May, compte tenu des voix de dix députés du Parti unioniste démocrate dont elle dépend pour sa majorité parlementaire. Varadkar a déclaré qu’il voulait une garantie « blindée » permettant un accès sans entrave au nord basé sur « l’alignement complet » sur la réglementation. Cependant, a-t-il ajouté, dans un euphémisme sans égal, « il semble y avoir des opinions assez diverses quant à ce à quoi cela devrait ressembler. »

En outre, cinq groupes d’entreprises – les Chambres de commerce britanniques (BCC), la Confédération de l’industrie britannique (CBI), l’EEF (organisation de fabricants), la Fédération des petites entreprises (FSB) et l’Institut des directeurs-généraux (IOD) – ont publié un avertissement contre, « De nouveaux retards dans les discussions sur un accord commercial entre l’UE et le Royaume-Uni qui pourraient avoir des conséquences néfastes sur les investissements et le commerce des entreprises, puisque les entreprises réexamineront leurs plans et stratégies d’investissement en 2018. »

Globalement, cela signifie que le Royaume-Uni continuera à être membre du marché unique européen et de l’Union douanière et acceptera l’immigration et la compétence légale de l’UE sans avoir même des discussions sur un accord commercial post-Brexit pour les mois à venir. Ceci laisse les déclarations d’auto-félicitations faites par May concernant « une étape importante sur la voie d’un Brexit régulier et ordonné et forgeant notre partenariat futur profond et spécial » et Davis, qui a signalé que vendredi était « une bonne journée pour le Brexit » sonner creux. Maintenant que Theresa May a déjà accepté de payer un règlement du divorce (séparation de l’UE) d’environ 40 milliards d’euros, chacune des « lignes rouges » autrefois mentionnées par les partisans « inconditionnels » du Brexit a été franchie, rendant un conflit continu inévitable.

Le document publié et les déclarations faites à plusieurs reprises par Juncker serviront à encourager l’aile favorable à rester (remain) dans l’UE des conservateurs. Mercredi dernier, 11 députés conservateurs ont voté avec les partis de l’opposition pour demander un vote juridiquement contraignant du parlement pour déterminer si l’accord final avec l’UE est accepté ou rejeté et à revoir. Cela a été la première défaite de May en tant que Premier ministre, survenue à la veille du sommet de l’UE. Mercredi prochain, le 20 décembre, on envisage une deuxième rébellion rejetant la date limite du 19 mars déclarée par Theresa May.

L’accord de l’UE indique clairement qu’il n’y aura pas de négociations à la fin du processus du Brexit – une position déclarée ouvertement par Xavier Bettel, le Premier ministre luxembourgeois. Le vote « à prendre ou à laisser » en l’état promis par Davis est la seule option. La perspective d’une Grande-Bretagne sortant de l’UE sans accord si les députés rejettent l’accord de May pose un pistolet sur la tête de tous les rebelles. Mais leur façon de réagir – en reculant ou engageant leur responsabilité – reste à déterminer, étant donné que les intérêts fondamentaux des grandes entreprises et de la City de Londres sont en jeu. Juncker – qui a dit : « Je suis toujours triste que nos amis britanniques quittent l’Union européenne » – a maintes fois indiqué que le fait de rejeter la décision du référendum sur le Brexit pourrait rouvrir la porte à l’UE.

Les opposants les plus déterminés au Brexit sont les blairistes du Parti travailliste, dont l’organe de presse est le Guardian. Le journal a sollicité Jonathan Portes, un membre fondateur du groupe le « Royaume-Uni dans une Europe en mutation », d’avertir qu’un vote sur le Brexit à la fin des négociations serait « trop tard […] Si le parlement veut vraiment y avoir une voix significative – peut-être le choix le plus important sur l’avenir de l’économie britannique depuis le milieu des années 1970 – il doit agir maintenant. »

Si l’offensive de la droite du parti contre le chef du Parti travaillistes, Jeremy Corbyn, se focalisait sur son manque d’engagement envers l’UE, il y a maintenant une convergence de vues sur le Brexit entre les blairistes et les « corbynistas ».

Cette semaine, John McDonnell ministre fantôme des Finances et allié principal de Corbyn, a été interrogé par le Daily Mirror, pour confirmer s’il pensait toujours que le maintien du Royaume-Uni dans le marché unique ne respecterait pas le résultat du référendum de l’UE ou s’il soutenait le point de vue du secrétaire fantôme travailliste au Brexit, Sir Keir Starmer, que le Royaume-Uni pourrait rester dans « une variante du marché unique ».

Affirmant qu’il ne s’engageait pas dans la « sémantique », McDonnell a répondu : « Nous avons utilisé la phraséologie « un marché unique » et non « le marché unique » et « une union douanière » pas « l’union douanière ». Donc un marché unique réformé ou une nouvelle relation négociée avec le marché unique. »

Le « Brexit doux » (accord avec l’UE) du Parti travailliste, un message pro-business, est entendu haut et fort. McDonnell a accepté une invitation à des pourparlers avec la banque Goldman Sachs dont le siège est à Wall Street. Jonathan Reynolds, envoyé spécial du Parti travailliste pour les services financiers, devrait également rencontrer la banque Morgan Stanley, qui avait averti plutôt ce mois-ci qu’un gouvernement travailliste pourrait être plus préjudiciable qu’un « Brexit dur » (sans accord). Reynolds a dit à Reuters : « Ce dont les gens se rendent compte rapidement, c’est que nous sommes très sérieusement pour nous attaquer à certains des problèmes économiques à long terme auxquels le Royaume-Uni doit faire face et que nous apprécions vraiment leur contribution à l’élaboration de notre politique. »

(Article paru en anglais le 16 décembre 2017)

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