Pourquoi le gouvernement libéral canadien appuie la chasse aux sorcières de la campagne #MoiAussi

Les événements des dernières semaines au Canada ont souligné le caractère réactionnaire du tollé entourant la campagne #MoiAussi au sujet de l’inconduite sexuelle présumée. Cette initiative s’est transformée en rien de moins qu’une offensive parrainée par l’État et soutenue par la presse de droite du monde des affaires ayant deux objectifs: susciter une base d’appui parmi des sections bien nanties de la classe moyenne à l’intensification des objectifs agressifs en politique étrangère de l’impérialisme canadien et réprimer l’intensification de la colère de la classe ouvrière dans un torrent de propagande politique identitaire.

Lors d’une conférence intitulée «#AfterMeToo» organisée le 6 décembre à Toronto par le Globe and Mail – porte-parole de l’élite financière de Bay Street – la ministre de la Justice et procureure générale, Jody Wilson-Raybould, a prononcé le discours principal. La plus haute représentante juridique du Canada a clairement souscrit à l’atmosphère hystérique qui a été encouragée au cours des deux derniers mois, décrivant le harcèlement sexuel – un terme passe-partout qui englobe maintenant tout, allant du simple compliment relatif à l’apparence d’une personne du sexe opposé à l’agression sexuelle violente – comme étant omniprésent dans la société et en en dénonçant ses «auteurs».

Elle a accusé tout le monde de complicité dans cet état de choses. «Quand un harceleur est dénoncé, nous ne sommes pas en train de simplement brasser la cage ou de créer une tempête dans un verre d’eau, nous mettons fin à la violence, a-t-elle affirmé. L’autorisation tacite donnée aux harceleurs par notre silence est tout à fait inacceptable. Chacun d’entre nous a un rôle à jouer. Tous les gens de tous les genres doivent trouver leur voix et comprendre le rôle qu’ils ont à jouer pour faire cesser ces comportements.» Tout le monde doit «ouvrir les yeux sur la prévalence de la violence et du harcèlement sexuels», a-t-elle poursuivi, car «le silence crée une culture de complicité».

Ces propos réactionnaires cherchent à empoisonner la conscience populaire et à détourner l’attention de la cause fondamentale de toutes les formes d’exploitation: le système de profit capitaliste. Nous devrions plutôt croire que la population bouillonne de désirs de violence sexuelle, et que ceux-ci doivent être jugulés par un État autoritaire.

Le tout a trouvé son expression dans la liste des recommandations produites par la réunion #AfterMeToo et comprenant la création d’un organisme national «indépendant» de signalement pour recueillir les allégations d’agression sexuelle dans l’industrie du divertissement. L’organisme permettrait non seulement de recueillir des statistiques sur les allégations d’inconduite sexuelle, mais aurait également le pouvoir de prononcer des «mesures punitives» dans ce qui équivaudrait à l’établissement d’un système de justice parallèle avec des dispositions allant à l’encontre des préceptes juridiques fondamentaux, notamment la présomption d’innocence jusqu’à preuve du contraire.

Ces propositions complètement réactionnaires sont vendues comme «progressistes» par les groupes de la pseudo-gauche au Canada. Le mois dernier, Manon Massé, co-chef de Québec Solidaire, un parti politique québécois indépendantiste, a présenté un plan législatif pour l’adoption de méthodes dites de justice «alternative», tandis que le groupe La Riposte (Fightback, Tendance marxiste internationale Québec), qui joue le rôle de champion du Nouveau Parti démocratique social-démocrate, a appelé à des «mobilisations de masse» pour «forcer les tribunaux... à réfléchir sérieusement la prochaine fois qu’ils songeront à banaliser l’expérience d’une victime survivante d’agression sexuelle», donc littéralement un appel à la justice de la foule.

De façon significative, Wilson-Raybould a établi un lien direct dans son discours avec les ambitions impérialistes prédatrices du gouvernement Trudeau sur la scène mondiale. Elle s’est en effet enthousiasmée pour le «premier ministre féministe» du Canada qui s’est engagé, dans le cadre d’une «stratégie des femmes pour la paix et la sécurité», à intervenir dans les pays du monde entier pour défendre les «droits des femmes». Cette fraude évidente ne diffère en rien de la propagande des droits de la personne utilisée par les États-Unis pour légitimer une guerre d’agression après l’autre qui ont entraîné la mort de millions de femmes, d’hommes et d’enfants, ainsi que le déplacement des millions d'autres, au cours des vingt-cinq dernières années.

Wilson-Raybould a applaudi le discours de Trudeau à l’Assemblée générale des Nations Unies, où il a déclaré que «le Canada compte parmi les nations les plus pacifiques, démocratiques, respectueuses et cohésives qui soient». Elle a délibérément évité de soulever le fait que Trudeau a gardé un silence honteux quant à la menace terrifiante lancée par le président américain Donald Trump lors de cette même Assemblée générale quand celui-ci a glacé le sang de tous en vociférant qu’il était prêt à «anéantir totalement» la Corée du Nord – un pays de 25 millions de femmes, d’hommes et d’enfants.

La dévastation de la vie des familles yougoslaves, afghanes, libyennes, irakiennes et syriennes, de même que la complicité du gouvernement canadien dans la torture et ses efforts pour dissimuler les rapports d’abus sexuels perpétrés contre des prisonniers de guerre par l’armée afghane, ne sont pas sources de préoccupations pour ces couches privilégiées de la population attirées par #MoiAussi. En fait, celles-ci cherchent une couverture «progressiste» pour couvrir leur soutien à l’augmentation de 70 % des dépenses de défense des libéraux au cours de la prochaine décennie.

Le rôle du

Globe and Mail

Quiconque croit que les motivations de la campagne #MoiAussi au Canada sont authentiques devrait tenir compte du fait que c’est le Globe and Mail, une publication appartenant à la famille la plus riche du Canada, les Thomson, qui la mène et l’organise essentiellement. Considéré comme le «journal officiel» du Canada, le Globe a toujours parlé au nom des sections les plus impitoyables de l’élite financière. Il a ainsi appuyé le gouvernement ultra-droitiste de Stephen Harper, félicitant et louangeant ce dernier pour son obstination après qu’il eut lancé son attaque frontale contre les travailleurs canadiens, miné les droits démocratiques au nom de la «guerre contre le terrorisme» et mené des guerres à l’étranger.

Sous le titre salace «The Weinstein domino effect: Who else is accused of sexual misconduct so far? Read the list», (L’effet domino Weinstein: Qui d’autre est accusé d’inconduite sexuelle jusqu’à présent? Voyez la liste), le Globe encourage avec enthousiasme la justice de foule en ajoutant le nom de toute personne ayant fait face à une accusation d’«inconduite», aussi vague soit-elle, à une liste noire publique. Chaque nom est bêtement accompagné d’une image de l’individu accusé – véritable moquerie de toute conception de procédure de justice régulière.

Les paroles moralisatrices du Globe sont d’autant plus répugnantes étant donné sa défense sans bornes de l’exploitation de classe impitoyable au Canada – pays où les 100 premiers PDG gagnent près de 200 fois le salaire d’un travailleur moyen et où quatre travailleurs meurent au travail chaque jour en moyenne.

Le Globe, et les champions de la pseudo-gauche de #MoiAussi, veulent enterrer cette réalité sociale – «l’expérience vécue» des hommes et des femmes de la classe ouvrière – sous une montagne de propagande répugnante affirmant que la société est polarisée selon les sexes. Leur but est de convaincre la travailleuse de chaîne de montage exploitée ou à contrat temporaire qui se démène avec un salaire insignifiant qu’elle a des intérêts communs avec Linda Hasenfratz de Linamar Corporation qui a un revenu déclaré de14,2 millions de dollars en 2015. Ces sections privilégiées et égoïstes de la classe moyenne supérieure prétendent que les problèmes auxquels sont confrontées les femmes de la classe ouvrière ne sont pas le résultat de l’exploitation capitaliste dont profitent une petite minorité de capitalistes – hommes et femmes – mais de l’oppression omnipotente des femmes par les hommes.

Sur ce dernier point, des intérêts matériels bien réels entrent en jeu. Le 10 % des sections les mieux nanties de la société recueillant les revenus les plus riches tentent d’accroitre encore plus leurs richesses et leurs privilèges en forçant une redistribution des vastes richesses au sommet de la société tout en laissant intacte l’exploitation capitaliste. En mars, un article du Globe se plaignait que les femmes ne représentaient que 22 % des 1 % des revenus les plus élevés (revenu minimum de 225.100 $), 15 % des 0,1 % (revenu minimum de 724.000 $) et 10 % des 0,01 % ( revenu minimum de 2,7 millions de dollars).

Bien que le Globe et ses défenseurs ne reculent devant rien pour s’assurer d’arriver à un équilibre parfait entre les parasites multimillionnaires qui exploitent les travailleurs des deux sexes, ils voient l’inégalité sociale flagrante qui prévaut au Canada comme relevant de l’ordre naturel des choses. Comme le soulignait Konrad Yakabuski, éditorialiste du Globe, dans sa rubrique du 27 novembre, intitulée «What Trudeau isn’t saying about inequality» (Ce que Trudeau ne dit pas de l’inégalité) au plus fort de la frénésie de la campagne #MoiAussi: «Certains des esprits les plus brillants de la planète se sont démenés pour trouver des moyens d’inverser l’augmentation de l’inégalité des revenus et que beaucoup croient être à l’origine de la montée du populisme dans les démocraties occidentales. Eh bien désolé de révéler le clou du spectacle: La plupart ont conclu qu’il n’y en a pas, ou en tout cas aucun qui ne soit politiquement faisable.»

Selon Yakabuski, l’impôt progressif ne «bouge pas l’aiguille de la balance de façon significative», tandis que l’État providence de l’Europe d’après-guerre «étouffe l’instinct animal qui aide l’économie à innover et à grandir». Peut-être révélant plus qu’il ne voulait en dire à propos de la peur d’un bouleversement social de masse qui règne au sein des cercles dirigeants, il note: «Tout au long de l’histoire, seuls les chocs violents et massifs qui ont bouleversé l’ordre établi se sont révélés assez puissants pour aplanir les disparités de revenu et de richesse.»

Les journalistes intrépides du Globe ne déploient pas seulement le féminisme de droite pour empêcher une telle éventualité. S’inspirant du New York Times, le Globe est devenu un pourvoyeur de diverses formes de politique identitaire, mettant au-dessus de tout les questions de race, de genre et d’orientation sexuelle. En septembre 2016, le journal a lancé sa baladodiffusion «Colour Code» (code de couleur). Son introduction déclare de façon plutôt ridicule: «S’il y a une chose dont les Canadiens évitent de parler, c’est bien de la race. Eh bien notre baladodiffusion est là pour changer ça.»

Politique étrangère «féministe» et campagne militariste du Canada

Un autre élément essentiel dans la promotion officielle de la campagne #MoiAussi est la formulation d’une justification «progressiste» de l’agression militaire canadienne dans le monde. Sous ses gouvernements successifs, le Canada s’est engagé dans une guerre pratiquement ininterrompue depuis 1999 et l’opposition aux conflits militaires dans la population est répandue. Mais le gouvernement Trudeau, comme ses prédécesseurs conservateurs, est déterminé à poursuivre l’intensification militaire et à accroitre sa coopération avec l’impérialisme américain, la force la plus violente et la plus déstabilisatrice de la planète.

Au cours des derniers mois, la ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, a invoqué à plusieurs reprises l’idée d’une «politique étrangère féministe», dont le caractère dénué de tout principe est attesté par la volonté de son gouvernement de vendre 15 milliards de dollars en armement à l’Arabie Saoudite – un pays où les femmes et la grande majorité des hommes sont brutalement opprimés par une monarchie absolutiste. Dans un discours en juin dans lequel elle déclarait que la «force brute» – c’est-à-dire la guerre – devait faire partie de la future politique étrangère du Canada, Freeland déclarait que le gouvernement se préparait à dévoiler la «première politique d’aide internationale féministe».

Cette proposition a été soulevée dans le contexte de la défense explicite par Freeland de «l’ordre international fondé sur des règles», ce qui veut dire le maintien de l’hégémonie mondiale des États-Unis établie au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale. Freeland a ajouté: «Il est significatif et historique que le premier ministre et le gouvernement soient fiers de se proclamer féministes. Les droits des femmes sont des droits humains.»

Ce que cela signifie concrètement s’est précisé un jour plus tard lorsque le ministre de la Défense, Harjit Sajjan, a présenté les engagements de dépenses du gouvernement et présenté sa nouvelle politique en matière de Défense. L’augmentation spectaculaire des dépenses comprend des plans d’achat d’une flotte élargie d’avions de chasse, de nouveaux navires de guerre et des drones armés – un système d’arme devenu notoire pour son utilisation par les États-Unis pour mener des assassinats. Sajjan a plaidé pour une augmentation des effectifs de l’Armée de 5000 soldats et a dévoilé un programme visant à augmenter le nombre de femmes dans les Forces armées pour représenter 25 % du total des effectifs.

La promotion de la campagne #MoiAussi est intimement liée à ce programme réactionnaire visant à assurer l’égalité des sexes sur le champ de bataille de la prochaine guerre impérialiste. Près de 15 ans après les manifestations de masse contre la guerre en Irak, l’opposition au militarisme et à la guerre parmi la classe ouvrière reste forte. Elle n’a pas encore trouvé d’expression publique, principalement parce que les forces de la pseudo-gauche qui se présentaient auparavant comme antiguerre se sont transformées en ardents défenseurs de violence impérialiste. Fréquemment, comme lors des bombardements sur la Libye, la pseudo-gauche a cherché à déguiser ces guerres d’agression en faisant référence à la défense des «droits de l’homme» et en employant le langage de la politique identitaire. L’approbation officielle de la campagne #MoiAussi par le gouvernement vise à instrumentaliser cette propagande et les forces politiques qui la promeuvent afin de légitimer de nouvelles guerres d’agression et de violence militariste.

(Article paru en anglais le 19 décembre 2017)

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