Loi de moralisation: Macron cherche à légitimer ses attaques sociales

La loi dite de moralisation de la vie politique votée les 3 et 9 août par la nouvelle Assemblée à majorité macroniste est une tentative désespérée et absurde de redonner des illusions dans une classe politique qui n’est plus qu’un instrument de l’oligarchie financière.

La campagne de « rétablissement de la confiance » ayant abouti à cette loi avait démarré suite à l’ « affaire Pénélope » lancée contre le candidat présidentiel LR François Fillon pour son positionnement prorusse, mais révélant la corruption endémique de la politique en France. Le projet de loi avait été confié au dirigeant du MoDem Francois Bayrou qui a depuis quitté ses fonctions dû à l’enquête financière visant son parti dans des emplois fictifs au Parlement européen.

La « loi organique » a été votée mercredi dernier par 412 voix contre 74 et 62 abstentions. Une majorité de députés LR a voté contre ; La France insoumise (LFI) de Mélenchon, les staliniens et une partie de la Nouvelle Gauche (PS et alliés) se sont abstenus. Au résultat du vote, les députés se sont levés et ont ovationné le gouvernement.

La loi est une mesure cosmétique pour camoufler les laideurs les plus voyantes, tout en laissant à la classe dirigeante tous les pouvoirs nécessaires pour s’acheter le parlement. La loi en dit toutefois long sur des pratiques du régime.

La suppression de la « réserve parlementaire », en gros 150 millions d’euros à la disposition des députés et sénateurs pour arroser leurs clientèles locales, sorte de « caisse noire » parlementaire sans existence légale ni origine avouée, ne pouvait plus être évitée sous peine de discréditer toute l’opération. Elle est en partie motivée par le fait que sa distribution crée des frictions. Elle fut combattue avec vigueur par LR, qui avait apparemment le plus à perdre.

Les mesures concernant l’activité omniprésente et officielle des lobbyes des grands groupes – qui versent annuellement des sommes considérables, rarement déclarées, et produisent les amendements des parlementaires – est un « correctif » sans conséquence. L’interdiction aux lobbyistes de payer les collaborateurs des parlementaires, du président de la République et les membres de cabinets ministériels n’empêchera pas l’oligarchie de faire les lois. Un député ne pourra plus faire du lobbyisme directement.

Les activités de « conseil » lucratives des parlementaires ne sont pas interdites, mais soumises à certaines restrictions. Un parlementaire ne pourra plus entreprendre une activité de « conseil » pendant son mandat. Il ne peut plus non plus, « conseiller » une société liée à un marché public. Sinon tout reste en l’état.

Pour ce qui est du « pantouflage », le va-et-vient des hauts fonctionnaires du secteur public à la grande finance et industrie (dont Macron est un cas type) la loi n’y touche pas.

La nouvelle loi interdit à un parlementaire de financer un de ses « proches directs » par un emploi de collaborateur, même s'il peut le faire s’il s’agit d’un neveu, d’un cousin ou du membre de la famille d’un autre député. Dans ce cas, il devra simplement le déclarer à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique. Rien n’interdit a priori à un parlementaire d’employer un membre de la famille d’un autre et vice-versa ; ils devront simplement dire qu’il le font.

Les frais de mandats (5.840 euros mensuels) ne seront plus payés directement au député—qui touche déjà 5.782 euros nets, a un crédit de 9.500 euros, peut toucher en plus 2.800 euros pour un mandat local et, entre autre, voyage gratuitement en train – première classe –, en taxi, en avion (80 vols par an), et devait jusque là juste « déclarer sur l’honneur » qu’il dépensait bien cet argent pour ses fonctions. On lui avancera ou remboursera ses dépenses sur présentation d’un justificatif.

Pour donner l’impression d’un renouveau du personnel politique et d’« ouverture », un député, sénateur ou élu d’un « grand exécutif local » ne pourra pas avoir plus de trois mandats consécutifs.

Parallèlement, on a réintroduit dans la loi le fameux « verrou de Bercy » qui réserve au ministère des Finances, et non à la justice, le traitement des infractions fiscales. Celui-ci peut ainsi traiter les délits fiscaux selon ses besoins et en faire un outil de manipulation politique tous azimuts.

Pour le financement des partis, le gouvernement crée, par ordonnance, une « Banque de la démocratie » censée apporter un semblant de « réglementation» dans ce domaine et éviter les scandales du type Bettencourt ou Bygmalion. Les subsides publics selon le nombre de parlementaires élus, qui favorise les partis en place, ne changent pas. On ne s’avance guère en disant que les prêts de cette banque aux partis n’influenceront pas le financement par l’oligarchie des partis qui lui sont favorables.

La loi de moralisation est une tentative de redonner une certaine légitimité à une classe politique et un parlement contrôlé directement par l’aristocratie financière, menés par des cabales nostalgiques de la royauté et du régime de Vichy qui aspirent avant tout à l’État policier. Un système de représentation largement rejeté par la population, comme le montre l’abstention massive aux deux tours de l’élection législative de juin.

Dans des conditions où les inégalités sociales atteignent des proportions monstrueuses, la démocratie est de plus en plus impossible. Prétendre « moraliser la vie politique » de la bourgeoisie française est une absurdité. Cette opération vise à fournir un vernis de légitimité aux attaques sociales et anti-démocratiques que Macron veut mettre en place, avec ses décrets sur la loi du travail et la pérennisation de l’état d’urgence.

La France insoumise (LFI) de Jean-Luc Mélenchon fait partie de cette campagne où elle joue le rôle du parti qui peut « laver plus blanc », proposant des améliorations au projet de loi qui ne l’engagent à rien. LFI répand en particulier l’illusion qu’un « contrôle par les citoyens » est possible. Mélenchon a proposé des mandats révocables et des députés payés au smic, lui qui a été un proche collaborateur de Mitterand durant les scandales qui on ponctué ses années de pouvoir.

Il a lui même voulu participer avec Bayrou à cette opération de blanchiment politique après l’élection présidentielle. LFI s’est finalement abstenue après avoir laissé croire, fin juillet, qu’elle s’y opposerait en présentant deux motions de censure.

LFI craint surtout que le ravalement de façade ne soit pas assez crédible. Clémentine Autain explique ainsi l’attitude de LFI dans une interview a France Info : « Nous avons voté un certain nombre de choses mais ce qui nous gêne c’est que cette loi ne va pas permettre de répondre à la question posée qui est celle de la défiance massive à l’égard de la politique et de l’institution, nous nous sommes abstenus parce que c’est notre façon de dire que nous sommes mécontents . »

Mélenchon espère profiter de ce verbiage cynique. Sa perspective d’ « opposition » parlementaire au gouvernement appuyé par des protestations impuissantes dans la rue sous contrôle politique des appareils syndicaux et des associations a besoin de cette présentation du parlement comme quelque chose qui peut apporter des améliorations marginales aux conditions sociales.

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