Alors que la guerre politique à Washington s’intensifie

Le procureur général va sévir contre les sources de fuites et menace les journalistes

Alors que des informations circulent selon lesquelles le procureur spécial Robert Mueller étend son enquête sur l’ingérence alléguée de la Russie dans les élections américaines ainsi que de possibles infractions de collusion et d’entrave à la justice commises par la Maison Blanche de Trump, le procureur général Jeff Sessions a organisé une conférence de presse vendredi pour annoncer une répression contre les fuites d’informations confidentielles et sensibles.

Sessions, qui a été rejoint par le directeur du renseignement national Dan Coats et le Procureur général adjoint Rod Rosenstein, a brandi la menace de représailles contre les journalistes qui publient des informations divulguées. Ces derniers jours, le président Trump a dénoncé publiquement Sessions pour avoir échoué à contrer de manière agressive le flux quotidien des reportages, provenant des sources de renseignement ou du gouvernement lui-même, révélant les détails des contacts entre les collaborateurs de Trump et les responsables russes et d’autres informations embarrassantes pour la Maison Blanche.

À la veille de la conférence de presse vendredi, le Washington Post a publié des transcriptions d’appels téléphoniques de Trump avec le président mexicain Enrique Pena Nieto et le Premier ministre australien Malcolm Turnbull en janvier dernier dans lesquels Trump a tenté d’intimider ses homologues étrangers pour qu’ils s’alignent sur sa politique de « l’Amérique d’abord » en termes de commerce et immigration.

Le conflit entre Trump et la presse fait partie de l’intense guerre de factions au sein de la classe dirigeante et de l’État axée sur les divergences portant sur la politique étrangère impérialiste. La presse « libérale », menée par le New York Times, le Washington Post et la plupart des médias télévisés, est alignée sur les sections de l’establishment du renseignement opposées aux efforts de Trump pour améliorer les relations avec la Russie et déterminées à amener une escalade de la confrontation politique initiée par le gouvernement d’Obama. C’est là le motif réactionnaire de l’opposition du Parti démocrate à Trump, et non pas au militarisme général du gouvernement, à ses attaques contre les immigrants, les programmes sociaux et les droits démocratiques, son personnel de milliardaires, les généraux et néo-fascistes, et son encouragement ouvert aux forces sociétales les plus réactionnaires.

Les médias du grand patronat, pour leur part, ont été discrédités auprès de larges couches du public en servant de relais pour la propagande et les mensonges du gouvernement. L’exemple le plus tristement célèbre étant les affirmations sur les armes de destruction massive irakiennes pour justifier l’invasion de 2003. Et le récit officiel de l’ingérence russe lors des élections américaines, que l’on nous demande de croire sans qu’aucune preuve sérieuse ne soit fournie, a suscité un large scepticisme dans le public.

Lors de la conférence de presse, Sessions a déclaré que son ministère de la Justice avait déjà triplé le nombre d’enquêtes actives sur les fuites comparées à celles du gouvernement d’Obama. Il s’est vanté que, dans les six premiers mois qui ont suivi l’inauguration de Trump, il y avait presque autant de renvois en justice concernant les fuites d’informations confidentielles que ceux des trois années précédentes toutes confondues.

Sessions a déclaré que quatre personnes avaient été accusées sous Trump d’avoir divulgué des informations confidentielles ou d’avoir dissimulé des contacts avec des responsables du renseignement étranger et que le FBI créait une nouvelle unité de contre-espionnage pour chapeauter les enquêtes et poursuites à l’égard des fuites. Il a indiqué que son service allait probablement enquêter sur la fuite des conversations de Trump avec les dirigeants du Mexique et de l’Australie, déclarant : « Aucun gouvernement ne peut être efficace lorsque ses dirigeants ne peuvent pas discuter de questions sensibles en toute confiance ou parler librement en confiance avec les dirigeants étrangers. »

L’ironie de cette déclaration provenant d’un pays qui a été pris en flagrant délit de mettre sur écoute les bureaux des Nations Unies, de l’OTAN et de l’Union européenne et les téléphones personnels de dirigeants tels que la chancelière allemande Angela Merkel a de toute évidence échappé au procureur général et aux autres responsables sur le podium.

Brandissant la menace de poursuites pénales pour obliger les journalistes à révéler des sources confidentielles, Sessions a déclaré : « L’une des choses que nous faisons consiste à examiner les politiques qui influent sur les citations à comparaître des médias. » Il a poursuivi : « Nous respectons le rôle important que joue la presse et lui accorderont le respect, mais ceci n’est pas sans limite. » Les journalistes, a-t-il déclaré, « ne peuvent pas mettre les vies en danger en toute impunité […] En considérant leur rôle nous devons prendre en compte la protection de notre sécurité nationale et de la vie de ceux qui servent dans notre communauté du renseignement ou dans les forces armées, et de tous les Américains respectueux des lois. »

Rosenstein, qui a répondu aux questions des journalistes, a déclaré que la nouvelle unité du FBI se concentrerait sur l’enquête des fuites aux journalistes. Il a déclaré qu’il rencontrerait des représentants des médias pour discuter de la répression contre les sources de fuites la semaine prochaine, mais a évité de répondre lorsqu’on lui a demandé si les procureurs excluraient des accusations criminelles contre les journalistes pour avoir fait leur travail.

Coates était encore plus menaçant. En désignant, sans le dire ouvertement, que la fuite des informations et leur publication équivaut à un acte de haute trahison, il a déclaré : « Toute personne qui s’engage dans ces actes criminels trahit la communauté du renseignement et le peuple américain. » En dirigeant ses menaces en partie contre le personnel des services de renseignement, il a ajouté : « Si vous divulguez des informations confidentielles, nous vous trouverons, nous enquêterons sur vous et nous vous poursuivrons en justice au maximum permis par la loi. Vous ne serez pas satisfait du résultat. »

En réaction à la conférence de presse, Ben Wizner, du American Civil Liberties Union (Association américaine pour les libertés civiles), a déclaré : « Tous les Américains devraient être préoccupés par la menace du gouvernement Trump d’intensifier ses efforts contre les lanceurs d’alerte et les journalistes. Une répression pour étouffer les fuites est une répression contre la presse libre et de la démocratie dans son ensemble. »

L’annonce d’une répression contre les sources de fuites et les médias a suivi des informations jeudi que le procureur spécial Mueller utilisait un grand jury à Washington DC pour mener son enquête ainsi qu’un grand jury précédemment signalé à Alexandrie, en Virginie. Le jury de Washington aurait lancé des assignations pour des documents concernant la réunion de juin 2016 entre Donald Trump Junior, l’assistant et gendre de Trump Jared Kushner, le directeur de campagne d’alors de Trump, Paul Manafort, et un avocat russe ayant des relations au Kremlin ainsi que d’autres responsables russes. Des reportages récents basés sur des fuites d’informations indiquent que Trump a personnellement dicté une déclaration trompeuse initialement publiée par son fils concernant la réunion.

L’utilisation par Mueller d’un grand jury de Washington DC indique que son enquête englobe la Maison-Blanche elle-même, y compris le président, et qu’elle continuera indéfiniment. En outre, des mesures bipartites ont été introduites à la fois dans la Chambre des représentants et dans le Sénat pour empêcher le renvoi de Mueller par Trump.

Dans ces conditions, Trump a cherché, au cours des deux dernières semaines, à ancrer son gouvernement encore plus directement sur l’armée et la police tout en faisant appel directement aux éléments sociaux d’extrême droite à travers les préjugés anti-immigrant et le racisme contre les minorités, de la démagogie de toute sécurité et les préjugés anti-gay. (Voir : « Trump makes an appeal to the fascistic right”»).

Les démocrates ne s’opposeront pas à cet appel aux forces d’extrême droite. Au contraire, ils cherchent des pourparlers bipartites avec les républicains sur les moyens de renforcer les marchés de l’assurance au détriment des soins de santé pour les travailleurs, de réduire les impôts pour les entreprises et les riches et de générer davantage de profits pour les entreprises sous couvert d’un programme d’infrastructure.

En outre, en attaquant la liberté de la presse, Trump s’appuie sur la base posée par Obama. Pendant son mandat, Obama a poursuivi en justice deux fois plus de journalistes et de lanceurs d’alerte en vertu de la loi sur l’espionnage que toutes les administrations antérieures confondues. L’attaque du gouvernement Obama contre la presse comprenait l’emprisonnement de Chelsea Manning pour avoir révélé des intrigues et des crimes américains en Irak, en Afghanistan et à travers le monde ; l’emprisonnement de l’ancien agent de la CIA, John Kiriakou, pour avoir exposé la torture de détenus par la CIA dans un entretien télévisé et d’avoir accédé secrètement aux relevés téléphoniques des journalistes de l’Associated Press.

(Article paru en anglais le 5 août 2017)

 

 

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