Grande-Bretagne : des ministres révélent les objectifs guerriers derrière les élections anticipées

Le ministre britannique de la Défense Michael Fallon, a lancé une attaqué grossière contre le chef du Parti travailliste Jeremy Corbyn jeudi, l’accusant d’être un « faible », un « poltron » sur les sujets militaires et affirmant que le président russe Vladimir Poutine se féliciterait d’une victoire des travaillistes.

Lors de la première journée officielle de campagne pour les élections générales du 8 juin, Fallon a précisé que la décision du Premier ministre conservateur Theresa May de précipiter des élections ne vise pas seulement à renforcer la main du gouvernement dans les négociations de Brexit avec l’Union européenne (UE). C’est une tentative de façonner la politique post-Brexit d’après un programme de guerre commerciale et militaire.

Fallon s’exprimait en Estonie lors d’une cérémonie visant à marquer le déploiement de 800 soldats britanniques dans une force combinée de l’OTAN. Cela fait partie d’un renforcement des forces de l’OTAN tout le long des frontières de la Russie, qui verra les avions de chasse britanniques Typhoon partir en Roumanie et l’envoi d’un destroyer en mer Noire en été.

Plus de 1200 soldats de 12 pays participent actuellement à deux semaines d’entraînement de l’OTAN en Lettonie. Plus tôt ce mois-ci, 1350 soldats de l’OTAN sont arrivés dans le nord-est de la Pologne. De plus, huit F-35A de l’armée de l’Air américaine sont arrivés à la base de la RAF à Lakenheath, en Angleterre, pour un mois de manœuvres de combat avec le Royaume-Uni.

S’adressant aux journalistes britanniques, Fallon a déclaré : « La Russie regardera la faiblesse des travaillistes, le fait que Jeremy Corbyn n’a pas soutenu ce déploiement. Il l’a critiqué. » Corbyn, a-t-il ajouté, « a voté contre une défense plus forte, y compris le renouvellement de Trident [sous marin nucléaire] en juillet dernier. La Russie va regarder cela […] Poutine saluerait certainement une défense britannique plus faible. »

Fallon a ensuite attaqué la chef du Parti national écossais Nicola Sturgeon, qui selon lui « était prête à travailler avec le Parti travailliste pour frustrer un gouvernement conservateur » et « démanteler notre dissuasion nucléaire et affaiblir nos moyens de défense ».

Fallon a déclaré que les États-Unis et d’autres alliés de l’OTAN avaient exprimé leur inquiétude quant à ce que ferait Corbyn en matière de défense s’il était Premier ministre, ajoutant : « L’OTAN est une alliance nucléaire et l’incapacité du Parti travailliste à soutenir sans réserve la dissuasion nucléaire est évidemment une préoccupation constante pour les États-Unis et nos autres alliés. »

La diatribe d’inspiration anticommuniste de Fallon s’inscrit dans une campagne belliciste qui a débuté à l’instant où May a annoncé les élections. Ce jour-là, le ministre des Affaires étrangères Boris Johnson a été interrogé au parlement par l’ancien ministre des Affaires étrangères, Alistair Burt, pour savoir si le Royaume-Uni était contraint par la décision de 2013 contre les frappes aériennes britanniques en Syrie. Burt a fait référence au soutien du Royaume-Uni pour l’attaque du 7 avril lancée par le président américain Donald Trump contre la base aérienne d’Al – Shayrat avec les missiles de croisière Tomahawk.

Johnson a répondu : « On ne nous a pas demandé un soutien spécifique, mais je crois que, tout en soulignant le fait qu’aucune décision n’a été prise à ce jour […] si cette demande devait être présentée à l’avenir, à l’occasion d’une requête raisonnable pour des objectifs similaires, alors je crois qu’il serait très difficile de la part du Royaume-Uni de dire non. »

Trump a envoyé un message « catégorique » que « l’ère où la barbarie d’Assad [le président syrien] rencontrait la passivité et l’inaction a finalement pris fin. »

Faisant le lien entre l’agression américaine contre la Syrie et le ciblage de la Corée du Nord, Johnson a conclu que, face aux « dictateurs héréditaires » qui « ont contesté les règles essentielles qui sous-tendent notre paix mondiale […] Les États-Unis ont répondu avec force et résolution et conformément à leur rôle traditionnel – de garant d’un système fondé sur des règles. Et dans les deux cas, les États-Unis ont agi avec le plein appui du gouvernement britannique. »

Johnson était lui-même au centre de tous les événements qui ont mené à l’annonce de Theresa May. Le 9 avril, il a annoncé qu’il abandonnait un voyage prévu à Moscou, après avoir été invité à le faire par le secrétaire d’État américain Rex Tillerson. À la place, il alla mener des efforts à la réunion du G7 le 10 avril pour obtenir un « message clair et coordonné aux Russes » sur la Syrie.

Il a échoué dans cette tâche, alors que l’Allemagne, la France et d’autres puissances de l’UE ont refusé d’accepter une nouvelle série de sanctions contre Moscou pour renforcer les demandes que Poutine retire ses troupes de Syrie et mette fin à son soutien au président Bachar al-Assad.

Cela ne fit pas que mettre le Royaume-Uni dans l’embarras, ce fut aussi un rejet des États-Unis. À la suite de cela, May, qui fonde toute sa perspective sur l’obtention d’une alliance avec Trump, aurait été informée en termes clairs qu’un Royaume-Uni qui ne peut pas rassembler les États de l’UE derrière l’offensive de l’OTAN contre la Russie présente peu d’intérêt pour Washington.

Cela a été confirmé par l’arrivée le lendemain, alors que les députés votaient pour accepter de suspendre le Parlement d’ici le 3 mai, d’une délégation américaine rassemblant démocrates et républicains en Grande-Bretagne et dirigée par le président républicain de la Chambre des représentants, Paul Ryan.

La rencontre de Ryan avec le ministre des finances Phillip Hammond et son discours prononcé devant le groupe de réflexion Conservative Policy Exchange ont été l’engagement le plus important dans un effort de toute une semaine pour obtenir l’appui des puissances de l’OTAN pour l’offensive anti-russe de Washington, avec des visites en Norvège, en Pologne et en Estonie.

Les médias britanniques se sont concentrés sur la déclaration de soutien de Ryan à l’annonce par Theresa May des élections anticipées et la promesse renouvelée d’un futur accord de commerce bilatéral avec le Royaume-Uni. Mais même sur ce dernier point, Ryan a souligné la nécessité pour May de trouver un « accord durable » pour une « relation forte entre le Royaume-Uni et l’UE ».

Le soutien de Ryan à l’accès continu du Royaume-Uni au marché unique de l’UE est en fait lié aux exigences que les marchés européens soient également ouverts aux États-Unis, incarnés par son engagement à « travailler en étroite collaboration avec nos amis de l’UE » sur les négociations du Partenariat transatlantiques de commerce et d’investissement, bloquées à la suite de l’opposition européenne.

Cependant, la majeure partie de ses remarques portaient sur l’OTAN et la guerre.

Ryan a remercié « le gouvernement britannique d’avoir soutenu notre action récente en Syrie », soulignant qu’« il ne s’agit pas que d’Assad ».

« L’Iran et la Russie sont complices de ces crimes contre l’humanité », a-t-il déclaré. « La Russie est déterminée à exploiter les faiblesses et les occasions qui se présentent partout où elles se trouvent. Dans la mesure où ils cherchent à élargir leur champ d’influence au Moyen-Orient, ils continuent à défier la souveraineté de nos alliés en Europe centrale et orientale. »

Ryan a insisté sur le fait que « nous ne pouvons pas permettre à un provocateur à Moscou de menacer nos alliés ou nos intérêts […] Et par “nous”, je ne veux pas dire seulement les États-Unis et le Royaume-Uni. Pour lutter véritablement contre l’agression russe, nous avons besoin d’une OTAN forte ».

Jeudi, Johnson était en discussion à huis clos avec Ryan pendant une demi-heure, elle aurait porté sur l’action militaire en Syrie et la menace de guerre avec la Corée du Nord.

Ces événements indiquent clairement le sens global de la déclaration de May selon laquelle une majorité parlementaire conservatrice considérablement accrue est indispensable pour garantir « la direction solide et stable dans l’intérêt national », principalement aux dépens des travaillistes, pour « achever le travail ».

L’attaque contre Corbyn, le traitant de marionnette russe, renforce la campagne menée par des personnalités militaires de haut rang immédiatement après son élection à la tête du Parti travailliste en 2015. À cette époque, un « général haut gradé en service » avait prévenu dans le Sunday Times du 20 septembre qu’« une mutinerie » aurait lieu s’il [Corbyn] devenait le Premier ministre.

Cette menace ne fut jamais dirigée principalement contre Corbyn, qui, à maintes reprises, a abandonné sa position nominalement anti-guerre et antinucléaire. Elle exprimait une inquiétude au sein de l’appareil d’État devant l’accroissement du mécontentement et de la résistance de la classe ouvrière qui avaient trouvé une expression déformée dans la victoire écrasante du vote pour Corbyn à la tête du Parti travailliste.

Un an et demi plus tard, au milieu d’une crise croissante de l’impérialisme britannique et de la volonté implacable de Washington pour la guerre, Theresa May cherche une majorité parlementaire suffisamment grande pour imposer une plus grande austérité et entraîner le Royaume-Uni dans une nouvelle série d’interventions militaires criminelles. À cette fin, May déclare que ses adversaires sont une « coalition de chaos », alors que les médias de droite proches des conservateurs réclament en termes fascistes qu’elle « écrase les saboteurs » et « efface le Parti travailliste ».

(Article paru en anglais le 22 avril 2017)

 

 

Loading