Halte aux attaques de l’université Humboldt contre la liberté d’expression et la vérité historique!

Deux semaines après le verdict passé le 15 mars par le tribunal de grande instance de Cologne, selon lequel l’Asta (Comité général des étudiants) de l'université de Brême pouvait qualifier Jörg Baberowski d’extrémiste de droite, la présidence de l'université Humboldt (HU) a déclaré son soutien au professeur. Elle affirme que toute critique de ses points de vue est « inacceptable » et menace ses opposants de poursuites juridiques.

Dans sa « déclaration sur l’arrêt du tribunal de Cologne, » elle affirme que le professeur est « un excellent scientifique dont l’intégrité ne fait pas de doute ». Elle ajoute : « Les propos scientifiques tenus par Jörg Baberowski, pris notamment dans leur contexte, ne sont pas d’extrême-droite.... Les attaques médiatiques et personnelles incessantes à l’encontre de membres de l'université Humboldt sont inacceptables. » Puis elle évoque un autre cas, qui aurait déjà fait « l‘objet de poursuites pénales » à la demande de l'HU, sans apporter de détails.

C'est là une attaque en règle de la liberté d'expression, qui s‘inscrit dans une offensive politique droitière des médias allemands. Elle est dirigée en premier lieu contre le Parti de l'égalité socialiste (Sozialistische Gleichheitspartei, SGP) et les Étudiants et jeunes internationalistes pour l’égalité sociale (IYSSE) en Allemagne, qui ont révélé le lien unissant le révisionnisme historique droitier de Baberowski (sa relativisation de la politique génocidaire du régime nazi) à sa démagogie anti-immigration d‘une part et d'autre part à la campagne cautionnée par l’Etat pour relégitimer le militarisme allemand. La semaine dernière, le principal quotidien conservateur allemand, Frankfurter Allgemeine Zeitung, publiait deux attaques contre le SGP, dont l’une en première page. Le journal s'inquiétait de la « la forte efficacité » (Wirkungsmacht) de l'opposition du SGP à la « transformation des universités en centres idéologiques du militarisme. »

La direction de l’HU essaie de tromper l‘opinion en présentant Baberowski comme s‘il était victime d'une attaque contre la liberté d'expression et la liberté universitaire. Cette argumentation est tout à fait trompeuse. Baberowski n'est pas un universitaire persécuté pour ses travaux scientifiques. En réalité, c'est un idéologue politique d’extrême-droite dont le programme réactionnaire jouit d‘une large diffusion. Il est sous la protection d‘un réseau apparemment sans limites d'amis haut placés. Malgré la médiocrité de son travail universitaire, il est l‘objet d‘hommages sans fin qui le présentent comme un historien allemand de premier plan. Il est présent dans les talk-shows, donne des interviews et ses articles dans la presse légitiment la haine des réfugiés, prônent l‘usage impitoyable de la violence par l‘État et relativisent les crimes nazis.

Le Daily Stormer fait la promotion de Baberowski

Sur Internet, le rapport entre le nom de Baberowski et l'extrême droite internationale est pour tous clairement visible. Après le jugement du tribunal, le magazine radical droitier Compact, le quotidien d’extrême-droite Junge Freiheit et divers blogs d'extrême-droite comme Politically Incorrect ont pris sa défense. Les sites Web américains d'extrême droite Breitbart News et Daily Stormer (une version moderne du torchon antisémite nazi « Der Stürmer ») ont félicité Baberowski pour sa campagne anti-réfugiés.

La présidence de l’HU prétend à tort que le verdict de Cologne permet seulement de qualifier Baberowski d‘« extrémiste de droite » à cause de « la liberté d'expression garantie par la Constitution. » En fait, le verdict déclare que les positions prises par Baberowski constituent un « fait suffisant » pour le qualifier d'« extrémiste de droite ». Selon le tribunal, la critique des déclarations de Baberowski par l’Asta de Brême n’est pas diffamatoire « car la référence requise aux faits objectifs pertinents est donnée. »

Baberowski n'a pas non plus poursuivi les étudiants de Brême en justice parce qu’ils avaient cité ses propos « scientifiques » hors contexte, mais parce qu'ils avaient critiqué sa campagne anti-réfugiés et sa froide promotion de la violence militaire. L‘argumentation du tribunal qui dit que Baberowski a été cité là hors contexte, est un scandale judiciaire. Le tribunal de Cologne, connu pour être l’un des plus conservateurs d’Allemagne, a fait toutes sortes de contorsions pour trouver des explications embellissantes aux propos incendiaires de Baberowski. Dans son choix légitime d‘extraits de déclarations de Baberowski, l'Asta de Brême n'a nullement falsifié le contenu de ses propos. Les discours de Baberowski, surtout si on les lit dans leur intégralité, ne laissent aucun doute sur sa politique d'extrême droite.

La carrière universitaire et l'activité politique de Baberowski sont intimement liées. Lui-même ne fait aucune distinction entre les positions politiques qu’il défend en public et ses « déclarations scientifiques ». Toutes ses déclarations polémiques sur des questions politiques figurent sur la liste des publications scientifiques de son site web officiel à l'université Humboldt. Il y énumère pas moins de 101 interventions à la radio, 39 à la télévision et 32 interviews parues dans les journaux.

Un sujet qui revient constamment dans ses déclarations publiques est sa campagne contre les réfugiés; il a lancé dans ce contexte de véhémentes attaques contre l'Union chrétienne-démocrate (CDU) et la chancelière Angela Merkel. Il a écrit dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung : « L’intégration de plusieurs millions de personnes en un court laps de temps interrompt la continuité de la tradition (Überlieferungszusammenhang) dans laquelle nous nous trouvons, qui assure à une société stabilité et cohérence. »

Les attaques de Baberowski contre les immigrés ont fait de lui un favori de la presse de droite hors d'Allemagne. Deux publications d'extrême-droite aux États-Unis – Breitbart News et le site web néo-nazi Stormer – le citent. Les nazis américains n’ont absolument aucun doute quant au sens des déclarations du professeur.

Il rédige une rubrique mensuelle au Basler Zeitung qui fait partie de l'empire médiatique du politicien suisse chauvin anti-immigrés Christoph Blocher. Il y reprend les arguments du parti allemand d'extrême-droite AfD (Alternative für Deutschland) qu’il défend contre l’« accusation infondée » d’avoir des fascistes parmi ses parlementaires. Au nom de la lutte contre le terrorisme, Baberowski glorifie un usage impitoyable de la violence par l‘Etat contre les terroristes. Employant le langage brutal qui caractérise l'extrême droite, il écrit: « L’indifférence n’est qu’un autre mot pour la lâcheté. Quiconque ne comprend d’autre langage que la violence doit lui-même la subir. »

On ne peut dissocier les diatribes politiques droitières de Baberowski de son travail d’historien.

Son curriculum vitae universitaire comporte une interview publiée en février 2014 dans le magazine allemand Der Spiegel, où il déclare : « Hitler n’était pas un psychopathe, il n’était pas cruel. Il ne voulait pas que les gens parlent de l'extermination des Juifs à sa table. » Cette déclaration est on ne peut plus claire; tous les sophismes apologétiques du monde ne peuvent maquiller sa monstrueuse signification.

Dans la même interview, Baberowski prend fait et cause pour feu Ernst Nolte, l'apologiste le plus connu des crimes nazis parmi les professeurs allemands d'après-guerre. Evoquant la célèbre « querelle des historiens » (Historikerstreit) de la fin des années 1980, où les principaux historiens allemands avaient dénoncé la justification des crimes nazis par Nolte, Baberowski dit: « Historiquement parlant, il avait raison. »

La relativisation des crimes nazis parcourt le travail de Baberowski comme un fil rouge. Il nie que le régime nazi ait mené une guerre d'extermination délibérément planifiée (Vernichtungskrieg) contre l'Union soviétique. En accord avec l’argumentation de Nolte, il présente la campagne de la Wehrmacht contre l'Union soviétique – qui comprenait l‘extermination génocidaire des Juifs et les massacres de masse de la population civile – comme une réaction à la résistance de l'Armée rouge et aux attaques des partisans.

La défense de Baberowski par l’université Humboldt est d'autant plus hallucinante que ses écrits universitaires ont été sévèrement critiqués pour leur banalisation des crimes nazis par des historiens allemands bien connus.

Le Dr. Benno Ennker, qui enseigne aux universités de Tübingen et St. Gall, a critiqué le livre de Baberowski Verbrannte Erde [Terre brûlée] pour avoir « implicitement exonéré la Wehrmacht. » A l'affirmation de Baberowski que les nazis ne pouvaient simplement « plus contrôler » leur guerre d'anéantissement, Ennker répond: « une telle disculpation, qui n’est étayée par rien, de la politique idéologiquement planifiée d’extermination à l’Est, par la ‘situation et les circonstances’ n’était jusque-là connue que de la part de Bodgan Musial, l’historien à scandale polonais [d’extrême-droite]. »

Christoph Dieckmann de l'Institut Fritz Bauer qui s’occupe de l’histoire et des conséquences de l’Holocauste, accuse Baberowski d’ignorer « les recherches qui démontrent le vaste consensus dans la direction allemande et parmi les chefs de la Wehrmacht avant l’attaque de l’Union soviétique, pour faire mourir de faim des millions de citoyens soviétiques en l’espace de quelques mois. » Au vu de ces recherches, l’affirmation de Baberowski fait l‘effet d’être « apologétique, » dit-il.

A vrai dire « apologétique » est un terme universitaire poli pour dire que Baberowski justifie les crimes nazis grâce au mensonge. L’affirmation que le Troisième Reich n'avait pas planifié une guerre d'anéantissement contre l'Union soviétique est un affront à tout ce que les chercheurs du monde entier ont démontré. L'historien américain Stephen G. Fritz résume ainsi le résultat de dizaines d’années de recherche: « Dès le début, la guerre contre l'Union soviétique avait été planifiée comme une guerre d'anéantissement, en toute connaissance de cause et avec la participation sans réserve du haut commandement de la Wehrmacht. » Le titre de l’ouvrage de 640 pages du professeur Fritz, publié par University Press of Kentucky en 2011, est : Guerre à l’Est : la guerre d'extermination de Hitler à l'est (Ostkrieg : Hitler’s War of Extermination in the East.)

Quant à l’affirmation que Hitler « n’était pas cruel », faut-il que des individus doués de raison s’abaissent à discuter à un tel niveau ? On ne peut que se demander ce qui pour M. Baberowski constitue une conduite humaine acceptable.

Mais la direction de la plus importante université de la capitale allemande déclare à présent « inacceptable » de critiquer et de condamner les positions d’extrême-droite et le révisionnisme historique de Baberowski. Peu importe à quel point ses déclarations sont provocatrices et répugnantes, on les présente sous un jour tout à fait favorable à Baberowski. Il ne peut lui être fait aucun reproche. L’HU déclare ainsi que « les attaques médiatiques et personnelles envers les membres de l'université Humboldt » ne seront plus tolérées. Toute personne qui voudrait donc citiquer l'affirmation de Baberowski que « Hitler n’était pas cruel » devra compter avec de sévères sanctions juridiques. Si une telle déclaration ne peut être critiquée ni son auteur condamné publiquement, alors nous vivons vraiment dans un monde dostoïevskien où « tout est permis ».

L’HU met le monde à l‘envers, elle montre d’un doigt accusateur les critiques de Baberowski et cherche à les discréditer : « La violence et l'extrémisme n'ont pas leur place à l'Université Humboldt de Berlin ». Une déclaration cynique, hypocrite et malhonnête. Baberowski est libre d'inciter à la haine contre les immigrés, mais ceux qui écrivent et organisent des conférences pour s’y opposer sont associés eux, à « la violence et à l'extrémisme. »

L'administration de l'HU n’avance pas un seul exemple de menace et encore moins d’usage de « violence » par les critiques de Baberowski. L’IYSSE a discuté de ses positions droitières à de nombreuses réunions auxquelles ont assisté des centaines d’étudiants, sans qu’un seul incident ait jamais eu lieu. Baberowski, en revanche, dont les écrits révèlent une obsession malsaine pour la violence, a utilisé un langage tout à fait ignoble envers les membres de l’IYSSE et exigé publiquement que les « cinglés » soient expulsés de l’université.

Le fait que la direction de l'HU déclare néanmoins Baberowski au-dessus de toute critique est le résultat d'une intervention politique. Suite au jugement de Cologne, qualifié par de nombreux médias de « succès partiel » pour l'Asta de Brême, les milieux politiques et médiatiques de droite ont lancé une campagne massive pour défendre Baberowski.

Le principal quotidien conservateur allemand Frankfurter Allgemeine Zeitung, qui avait soutenu Nolte dans les années 1980, a fait pression sur l'HU pour qu’elle défende publiquement Baberowski, malgré l'opposition à son égard au sein même de son administration. Le 27 mars, le journal s’est plaint de ce que sa « déclaration de solidarité avec Baberowski » était trop timide. La présidente de l'université Humboldt, Sabine Kunst, a alors promis qu'il y aurait « une déclaration portant sur la décision du tribunal de grande instance de Cologne. »

Kunst est une politicienne de haut rang du parti social-démocrate allemand (SPD). Elle a été ministre des sciences du Land de Brandebourg de 2011 à 2016; elle entretient des liens étroits avec l'establishment de la politique étrangère et de l'armée allemande. Elle défend le professeur d’extrême-droite non pas dans l'intérêt d'« échanges scientifiques libres et indépendants », mais pour des raisons politiques.

Le SPD joue dans la grande coalition gouvernementale un rôle de premier plan dans l‘imposition d'une politique extérieure agressive contre la résistance de la population. Frank-Walter Steinmeier, ex-ministre des Affaires étrangères et actuel président, exige que l'Allemagne joue sur le plan européen et mondial un rôle qui corresponde à sa puissance et à son influence économiques.

Le fait que la présidence de l'HU serre officiellement les rangs avec Baberowski vise à réprimer la critique des points de vue d’extrême-droite et ne peut s'expliquer que dans le cadre du brutal virage à droite des milieux dirigeants. En politique intérieure, le SPD et des sections du parti La Gauche s'adaptent aux campagnes chauvines menées contre les réfugiés et même y participent. Dans cette orientation réactionnaire, Baberowski est considéré comme un allié.

Pour rétablir l'Allemagne comme puissance militaire active et majeure il faut vaincre dans la population allemande une hostilité à la guerre nourrie par les expériences tragiques et sanglantes du 20e siècle. Il faut donc réécrire l'histoire et blanchir les crimes de l'impérialisme allemand. Baberowski joue un rôle important dans ce projet dissimulé et infâme.

Après la chute du Troisième Reich et avant de se suicider pour éviter la pendaison, Hermann Goering avait dit qu‘on érigerait à nouveau en Allemagne des statues à Hitler avant qu’un siècle ne se soit écoulé. Cette terrible prophétie ne se réaliserait donc pas avant vingt-huit ans. Mais en 2017, la direction d’une université allemande déclare déjà que la question de savoir si le pire meurtrier de masse était « cruel » est, pour parler comme elle, un objet de « débat scientifique ».

Ni Mme Kunst ni les autres membres de la direction de l’université Humboldt ne sympathisent avec Hitler, mais le double langage des sociaux-démocrates et la lâcheté bien connue des professeurs allemands jouent aujourd’hui, comme dans les années 1930 déjà, un rôle nocif. Indépendemment de leurs intentions, leur conduite ouvre la voie à une recrudescence de l’extrême droite et même à une rehabilitation de Hitler.

Le fait que l'université Humboldt présente son soutien de Baberowski comme une défense de la liberté de la science est un méprisable mensonge. Sa déclaration est une capitulation lâche et mensongère devant le renouveau du militarisme allemand, du chauvinisme anti-immigrant et des tentatives de blanchir les nazis.

Il faut savoir que le travail universitaire de Jörg Baberowski n'avait jusque-là pas soulevé beaucoup d‘intérêt hors d'Allemagne. Son dernier livre, Terre brûlée [Verbrannte Erde], a cependant été publié en anglais (sous le titre de Scorched Earth) par Yale University Press en collaboration avec la farouchement anti-communiste Institution Hoover. Avant la publication du livre en anglais, Baberowski avait été invité à participer à des ateliers d'été de l’Institut Hoover, en 2007, 2013 et 2014.

La rédaction internationale du World Socialist Web Site soutient la protestation du SGP allemand et de l'IYSSE contre les mesures prises par la direction de l'HU. Il est inacceptable que, dans l’université même où fut planifiée la guerre d'anéantissement de Hitler contre l'Union soviétique, on déclare illégale une critique de l‘apologie des crimes nazis et de la démagogie anti-immigration. Il est grand temps qu’en Allemagne et à l'étranger des historiens sérieux et qui ont des principes condamnent la déclaration de l'université Humboldt soutenant Jörg Baberowski.

Le World Socialist Web Site et les sections du Comité international de la Quatrième Internationale ne céderont pas à des tentatives réactionnaires de réécrire l'histoire et de blanchir les crimes nazis. Nous encourageons et soutenons les efforts des trotskystes allemands – les héritiers politiques d'une longue et héroïque histoire de lutte contre le nazisme – pour éduquer les étudiants et de larges secteurs de la classe ouvrière dans les leçons de l'histoire. Dans cette lutte, nos camarades allemands devraient pouvoir compter sur le soutien de principe de toutes les forces progressistes.

(Article original paru le 6 avril 2017)

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