La social-démocratie allemande se prépare à un conflit avec les États-Unis

Le remaniement la semaine dernière au sein de la direction du Parti social-démocrate allemand (SPD) a été une opération soigneusement préparée.

Le 24 janvier, le SPD a créé la surprise en annonçant que l’ancien président du Parlement européen, Martin Schulz, serait candidat à la chancellerie aux élections fédérales de cet automne. Schulz devient également président du SPD en remplaçant le ministre de l’économie Sigmar Gabriel, qui, en retour, prend le poste de ministre des Affaires étrangères de Frank-Walter Steinmeier qui, lui, endossera la fonction de président de l’Allemagne.

Les journalistes proches des milieux gouvernementaux n’ont ménagé aucun effort pour présenter ce changement de poste comme une décision personnelle et spontanée prise par Gabriel. Le magazine Der Spiegel a affirmé que Gabriel avait décidé samedi dernier de renoncer à la candidature à la chancellerie, en surprenant toutes les autres parties concernées, y compris Schulz. De tels rapports visent à obscurcir ce qui s’est réellement passé.

Lorsqu’on examine les positions politiques défendues par Gabriel et par Schulz, une toute autre image apparaît. Les cercles dirigeants allemands sont en train de se redéfinir. Ils estiment que la politique nationaliste du nouveau président américain, Donald Trump, n’est pas seulement dangereuse, mais aussi une occasion pour réaliser leurs propres ambitions de grande puissance. Ils considèrent le SPD comme l’instrument le plus approprié pour atteindre cet objectif.

C’est la raison pour laquelle Schulz a été édifié par les médias comme le « porteur d’espoir » du SPD, car ayant plus de chance de remporter la victoire électorale. En fait, Schulz, plus qu’aucun autre, personnifie la politique méprisée du SPD. En tant que membre de longue date du cercle conservateur Seeheimer Kreis au sein du SPD, et de dirigeant de fait d’une grande coalition au Parlement européen, il appartient à l’aile droite du parti.

Dans une longue entrevue accordée le 24 janvier au journal économique Handelsblatt, Gabriel a clairement défini le programme du SPD. Trump, a-il dit, « ne plaisante pas », mais ce n’est pas une raison de devenir pusillanime. « Si Trump entame une guerre commerciale avec l’Asie et l’Amérique du Sud, cela nous ouvre de nouvelles opportunités […] L’Europe devrait maintenant rapidement élaborer une nouvelle stratégie pour l’Asie. Les espaces laissés libres par l’Amérique doivent maintenant être utilisés. »

Il a ajouté que si « le protectionnisme américain conduit à de nouvelles opportunités pour l’Europe partout en Asie, nous devrions en tirer profit. »

Pour faciliter un tel tournant vers l’Asie, Gabriel aspire à un noyau dur européen [les pays fondateurs de l’UE] sous la direction de l’Allemagne. Il a énuméré les grandes priorités comme étant « le renforcement de l’Europe, l’élaboration d’une politique étrangère et sécuritaire commune […] et, avant tout, la mise en place de notre propre stratégie à l’égard de l’Asie, de l’Inde et de la Chine ».

Le Brexit pourrait donner l’impulsion décisive. « La sortie de la Grande-Bretagne est discutée de manière beaucoup trop défensive », a-t-il dit. « c’est aussi une opportunité de développement de la coopération d’un groupe au sein de l’UE » et qui « renforcerait considérablement le noyau dur européen ».

Quelques heures après la publication de l’entretien, Gabriel annonçait le changement à la tête du SPD. Trois jours plus tard, il était ministre des Affaires étrangères.

Le cours fixé par Gabriel a été soutenu par la commissaire suédoise de l’UE, Cecilia Malmström, qui est en charge de la politique commerciale. Elle a annoncé que l’UE disposait d’une longue liste de pays souhaitant conclure des accords commerciaux, y compris le Japon, le Mexique et les membres du Mercosur (le bloc commercial sud-américain). Depuis l’élection de Trump, un grand nombre de ces pays ont négocié de manière beaucoup plus intensive avec l’UE.

Jeudi, SpiegelOnline a publié un commentaire rédigé par son correspondant bruxellois sous le titre « Trump peut être une chance pour l’Europe ». Il a présenté l’isolationnisme de Trump comme offrant de nouvelles possibilités pour le commerce européen, et a poursuivi en écrivant qu’« une opportunité encore plus durable pour l’Europe » était la « mise en danger imminente de l’autorité morale des États-Unis. [italique dans l’original] »

Cela explique pourquoi Schulz est considéré comme un candidat approprié pour la mise en œuvre de cette politique. Il s’est prononcé relativement clairement contre Trump et envisage maintenant d’exploiter l’indignation généralisée contre la politique raciste et autoritaire de Trump pour promouvoir les intérêts de l’impérialisme allemand en présentant l’Allemagne comme l’incarnation des « valeurs occidentales ».

La chancelière Angela Merkel, qui a travaillé en étroite collaboration avec l’ancien président du Parlement européen, Schulz, a également pris ses distances par rapport à Trump, mais son propre parti, l’Union chrétienne-démocrate (CDU), est profondément divisé sur la question des réfugiés et du nationalisme. Son parti frère en Bavière, l’Union chrétienne-sociale (CSU), coopère avec des partis ultranationalistes tels le parti hongrois Fidesz et a exprimé une certaine sympathie pour Trump.

Dans le but de regagner les électeurs perdus du SPD, Schulz a promis de promouvoir lors de la prochaine campagne électorale la « justice sociale » et de se tourner vers les gens qui « travaillent dur ». Mais, mis à part quelques coups de griffe symbolique contre les fraudeurs fiscaux et les dirigeants hautement rémunérés tels l’ancien patron de Volkswagen Martin Winterkorn, il n’a rien d’autre à offrir. Ces dénonciations creuses ne lui coûtent rien, et Winterkorn a de plus cessé d’exercer ses fonctions. Dans le même temps, Schulz défend les lois anti-ouvrières Hartz comme étant des « réformes nécessaires » et il n’est pas prêt à vouloir augmenter le salaire minimum misérable qui ne permet pas de vivre décemment.

Il a peu de chance de reconquérir les millions d’anciens électeurs du SPD qui, en raison de l’agenda 2010 du chancelier allemand Gerhard Schröder, sont maintenant obligés de vivre d’emplois précaires et mal payés. Son appel s’adresse à des permanents syndicaux et à des salariés de partis politiques bien rémunérés ainsi qu’à des sections de la classe moyenne qui sont tout à fait disposées à se ranger derrière les ambitions de grande puissance de l’Allemagne en échange de quelques phrases moralisatrices. Schulz serait prêt à gouverner dans une coalition incluant les Verts et le parti Die Linke.

Samedi dernier, la version papier du magazine Der Spiegel a publié un long article émaillé de données économiques qui a formulé de manière claire et sans équivoque les objectifs de la politique étrangère de l’impérialisme allemand. L’article invoque une « rupture radicale » des relations transatlantiques entre l’Allemagne et les États-Unis et « peut-être même la mutation d’ami en ennemi ». Il a poursuivi en conseillant « de planifier des mesures de riposte » et « de recherche des alliés, en Asie, par exemple ».

Selon l’article, le gouvernement fédéral projette un « éventail d’accords commerciaux » qui « donnera aux entreprises allemandes l’accès à la région très dynamique du Pacifique ». Il précise que le gouvernement allemand s’attend toutefois à ce que le « plus grand effet » soit toutefois produit par « les meilleures relations avec la Chine » en ajoutant qu’« un nouvel axe Berlin-Pékin pourrait remplacer du moins partiellement l’ancien ordre transatlantique. »

Cette perspective est un mélange de mégalomanie et de folie. Contrairement à ce qu’écrivent la plupart des médias allemands, sous Trump, les États-Unis ne vont pas se replier dans l’isolationnisme, mais plutôt remplacer les méthodes économiques de la domination impérialiste par la pure force militaire.

La signature par Trump, lors de sa première visite au Pentagone, non seulement d’un décret interdisant l’entrée des immigrés au pays, mais aussi d’un décret ordonnant la « reconstruction des forces armées américaines » a été à peine mentionnée dans les médias. Suite à la décision du gouvernement Obama de mettre à jour l’arsenal nucléaire américain au prix de mille milliards de dollars, la « reconstruction » de Trump fera passer les dépenses militaires annuelles de 600 à 700 milliards de dollars.

De hauts responsables du gouvernement Trump ont menacé la Chine d’instaurer un blocus des îles de la Mer de Chine méridionale – ce qui équivaudrait à une déclaration de guerre. Le gouvernement Trump ne restera pas inactif si l’Allemagne et l’Europe décident de pénétrer plus agressivement l’Asie aux dépens des États-Unis.

La politique étrangère exposée par Gabriel et Schulz ainsi que la mutation des États-Unis qui « d’amis deviennent ennemis » fixent le cap d’une confrontation militaire avec la plus grande puissance nucléaire du monde, contre laquelle l’Allemagne a mené deux guerres mondiales au cours du siècle dernier.

(Article original paru le 1ᵉʳ février 2017)

 

 

 

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