Les médias espagnols font la promotion de la campagne « retour à la rue » d’Anticapitalistas et Podemos

Une grande campagne a émergé dans les médias bourgeois espagnols autour du membre d’Anticapitalistas (parti pabliste espagnol lié au Nouveau Parti anticapitaliste français) et député européen pour Podemos Miguel Urbán. Il a été interviewé dans les journaux El País, Europa Press et El Español et dans de nombreuses chaînes de télévision et de radio et a été autorisé à publier des manifestes dans El País et Público

Pourquoi, on peut se demander, la faction Anticapitalistas de Podemos, soi-disant d'« extrême gauche », est promue par des journaux de droite comme El Español ou des porte-parole de longue date du PSOE comme El País ? La réponse se trouve dans les tensions politiques croissantes et la colère sociale en Espagne et à travers l’Europe à huit ans d’austérité, de politiques policières et de paupérisation des travailleurs et des jeunes. Le gouvernement minoritaire du Parti populaire (PP) de droite, installé cet automne avec le soutien du PSOE, est profondément impopulaire.

Podemos a réagi à l’installation du gouvernement PP en appelant une campagne de « retour à la rue » et en organisant quelques interventions médiatiques, étroitement coordonnées avec le PP, le PSOE, les syndicats et les médias pro-PP ou pro-PSOE, dans des luttes ouvrières. Cela présente faussement comme des opposants Podemos et les syndicats, qui n’ont organisé aucune opposition aux mesures d’austérité antérieures du PP et du PSOE. La campagne vise à piéger la colère sociale croissante derrière une perspective nationale creuse de soutien à Podemos et bloque l’émergence d’un mouvement politiquement indépendant pour le socialisme dans la classe ouvrière.

C’est pourquoi El País a publié une chronique d’Urbán et de Teresa Rodriguez, dirigeante de Podemos en Andalousie, intitulée « Le Podemos que nous voulons ». Elle commence par saluer le manifeste signé par ces pablistes dirigeants de Podemos, « Pour une marée de changement ». Il prône « l’horizontalisme, la démocratie, la décentralisation, la pluralité et le pluralisme » au sein de Podemos au prochain congrès national en février ou mars 2017.

L’objectif, selon Urbán et Rodriguez, est de retrouver « l’ouverture et la spontanéité des origines » de Podemos. « Nous avons la possibilité de construire un Podemos dont les processus internes permettent et reflètent la pluralité des voix et des idées qui existent » à l’intérieur de Podemos, déclarent-ils.

Derrière la rhétorique de pseudo-gauche, utilisant des mots de code tels que l’horizontalisme, la décentralisation et le pluralisme, longtemps associés dans les milieux de la politique petite-bourgeoise européenne à l’opposition à la construction d’un parti d’avant-garde marxiste dans la classe ouvrière, il y a une tentative de fomenter des illusions par rapport à Podemos, un parti qui a fait ses preuves en tant que parti de la classe dirigeante. Podemos s’engage envers l’OTAN et l’Union européenne (UE). Il défend les mesures brutales d’austérité de l’UE imposées au peuple grec par un gouvernement dirigé par son parti frère, Syriza.

La fiction selon laquelle des factions de Podemos ont quelque perspective que ce soit à proposer aux protestations des travailleurs et des jeunes contre le gouvernement du PP est une fraude politique. Ils parlent pour des couches à l’intérieur de l’élite dirigeante espagnole qui ont démontré leur hostilité de classe aux travailleurs. 

En alliance avec diverses organisations politiques locales, des membres de Podemos gouvernent de grandes villes comme Madrid, Barcelone, Cádiz, Saragosse, Valence et Saint-Jacques-de-Compostelle. Ils ont détourné 2,3 milliards d’euros au service de la dette pour rembourser les banques. La maire de Barcelone, Ada Colau, a attaqué les vendeurs ambulants et a brutalement brisé une grève des travailleurs du métro.

Podemos a truffé ses listes électorales d’anciens policiers, militaires, juges et autres membres de l’appareil d’État. Sa figure la plus notoire est l’ancien chef de l’état-major espagnol de Défense Julio Rodríguez, qui a commandé les forces espagnoles dans la guerre menée par les États-Unis en Libye en 2011. 

Au niveau régional, Podemos a soutenu les gouvernements dirigés par le PSOE à Valence, ainsi qu’en Aragon, Castille-La Manche, Estrémadure et Asturies. Certains des premiers ministres de ces régions, comme Guillermo Fernández Vara (Estrémadure), Ximo Puig (Valence) et Emiliano García-Page (Castille-laManche) ont été à l’avant-garde de l’éviction du dirigeant du PSOE Pedro Sánchez et de la suppression des derniers obstacles à l’installation d’un gouvernement PP minoritaire tacitement soutenu par le PSOE.

Le fait qu’Anticapitalistas ait maintenant accès à la page éditoriale d’El País indique par lui-même les intérêts de classe que leur politique sert. El País est le journal le plus lu d’Espagne et la voix principale de l’impérialisme espagnol depuis la chute de la dictature fasciste de Franco en 1978. Il est détenu par Prisa Group, l’un des plus grands conglomérats de médias espagnols, propriétaire de nombreuses chaînes télévisuelles et radiophoniques, de maisons de presse et d’édition, et dirigé par José Luís Cebrián, dont le père Vicente était un haut fonctionnaire du régime franquiste et le directeur de la principale publication de la Falange fasciste, Arriba.

Au cours de la période récente, El País a le plus notoirement pris la direction d’une campagne d’appels à la démission du dirigeant du PSOE, Pedro Sánchez, après qu’il s’était opposé aux tentatives d’installer un gouvernement minoritaire du PP. Le fait qu’il affiche actuellement des positions de Urban et Anticapitalistas ne fait que souligner que ces initiatives sont étroitement coordonnées avec les agences de renseignement, le PSOE et le PP, qui étaient en contact étroit avec El País et l’ancien Premier ministre du PSOE, Felipe González.

Urbain et Rodriguez considèrent les luttes ouvrières comme des événements qui doivent être attelés aux démarches de Podemos pour augmenter son influence par rapport aux autres partis au sein de la machine d’État espagnole. Ils continuent : « Le retour à la mobilisation sociale devient une condition indispensable pour surmonter le blocus institutionnel actuel et incliner l’équilibre vers la voie du changement politique et social, permettant le développement de processus constitutifs qui profiteront à la majorité sociale ». 

En fait, Anticapitalistas œuvre à travers Podemos, en alliance avec les syndicats et le PSOE, à bloquer l’opposition sociale dans la classe ouvrière. Le numéro un de Podemos, Pablo Iglesias, a frénétiquement assisté à une lutte ouvrière après l’autre : les travailleurs des télécommunications, les nettoyeurs, les employés de Coca-cola et de Movistar. Iglesias et Urbán ont conjointement participé à l’occupation d’un hôpital à Madrid contre la précarité et l’insécurité de l’emploi dans la santé publique.

Podemos et la Gauche unie dominée par les staliniens, ont également participé à une manifestation syndicale organisée à Madrid à la mi-décembre. Le but n’était pas de mobiliser les travailleurs dans la rue pour faire tomber le gouvernement du PP, mais de promouvoir le « dialogue social » pour négocier la nature des coupes sociales futures avec le gouvernement du PP. Ils n’ont même pas pris la peine de mobiliser tous les membres des syndicats et ont amené 30 000 personnes dans la rue, alors que les syndicats prétendent avoir 2 millions de membres ; Podemos 441,151 membres ; et la Gauche unie 71.578 adhérents. 

Tel est le caractère cynique de la manifestation que le PSOE, dont l’abstention en octobre a permis au PP de revenir au gouvernement, a envoyé son porte-parole parlementaire Mario Jiménez pour y participer. Cela s’est produit quelques jours après avoir soutenu la limite budgétaire du PP, ouvrant la porte à un programme d’austérité de 5 milliards d’euros pour 2017.

Urbán et Rodríguez dissimulent désespérément le rôle réactionnaire de Podemos et son alliance avec Syriza. Ils disent : « À partir de l’expérience grecque, il est urgent de repenser l’Europe dont nous avons besoin. Une Europe qui ne se replie pas dans les identités de l’extrême droite xénophobe et qui rompe avec la gouvernance et l’austérité néo-libérales. Pour aller précisément vers une autre idée de l’Europe, nous aurons besoin de la force et de la volonté pour désobéir aux institutions européennes et aux puissances financières sur lesquelles elle s’est construite ». 

Ici la réalité est de nouveau inversée. Après son élection aux élections grecques de janvier 2015, Syriza a formé immédiatement un gouvernement de coalition avec les Grecs indépendants (Anel), un parti de droite, xénophobe et antisémite. Depuis lors, le gouvernement d’Alexis Tsipras a imposé l’austérité et a assumé le rôle garde-frontière de l’Union européenne et gardien de prison contre les réfugiés. Naturellement, Podemos a continué à collaborer étroitement avec Syriza.

Urbán et Rodríguez finissent par appeler à un Podemos « différent », « engagé dans une voie cohérente, avec un programme qui lutte pour la démocratie dans l’économie, récupérant des idées-forces telles que le revenu de base ou la récupération pour le bien commun des grands monopoles électriques ou financiers. Avec le peuple au centre, il est temps de se préparer à vaincre la grande coalition [PP-PSOE] ».

En d’autres termes, les auteurs appellent Podemos à revenir à une politique cynique d’avancer des revendications qu’ils ont abandonnées dans une période antérieure, afin de maintenir la prétention qu’ils sont une alternative aux partis de l’establishment. Selon eux, cela est essentiel pour maîtriser l’opposition sociale, tout comme Syriza s’est engagé, avant son élection, à renverser les privatisations et les mesures d’austérité de l’UE tout en s’engageant à rembourser les dettes grecques à l’UE et aux banques.

En promouvant Urbán, la classe dirigeante sait très bien que ces revendications ne sont que de la rhétorique creuse, visant à bloquer l’opposition sociale et à faire appel à sa base sociale dans la classe moyenne supérieure.

(Article paru en anglais le 4 janvier 2017)

 

 

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