Québec solidaire prépare une fusion avec des nationalistes de droite

Le congrès annuel de Québec solidaire (QS), qui s’est tenu à Montréal du 19 au 22 mai, a été la scène d’âpres discussions concernant un pacte électoral avec le Parti québécois (PQ) pro-patronal, sous le prétexte de «chasser les libéraux du pouvoir» aux élections provinciales de 2018.

Malgré ses prétentions «de gauche», QS est un parti des classes moyennes aisées qui est hostile à la lutte des classes et s’est pleinement intégré aux milieux «souverainistes» historiquement dominés par le PQ. Ces milieux servent de tremplin politique à une section de la classe dirigeante québécoise qui réclame plus de pouvoirs étatiques, pouvant aller jusqu’à la séparation avec le Canada. Le contenu essentiel d’un tel programme est d’isoler et diviser les travailleurs du Québec de leurs frères et sœurs de classe dans le reste du Canada; de renforcer la position géo-stratégique du grand capital québécois; et d’accélérer le démantèlement des services publics.

Lors du congrès, la haute direction de QS a plaidé en faveur d’un pacte électoral avec le PQ, où les deux partis se seraient engagés par exemple à ne présenter qu’un seul candidat dans une trentaine de circonscriptions pour éviter une «division du vote souverainiste».

Cet appel a été finalement rejeté par le congrès. Pour une majorité de délégués, QS sortirait discrédité d’une alliance formelle avec un parti de la grande entreprise qui s’est tourné vers le chauvinisme anti-immigrants et qui a imposé les plus féroces mesures d’austérité capitaliste chaque fois qu’il est passé au pouvoir.

Cette décision est un rejet tactique, dans les circonstances actuelles, d’un rapprochement ouvert avec le Parti québécois. Ce n’est pas une rupture avec l’orientation fondamentale de Québec solidaire vers le PQ, qui fait partie de ses efforts de longue date pour se tailler une place au sein de l’establishment dirigeant comme une force «respectable» – par exemple en tant que partenaire dans un éventuel gouvernement «souverainiste».

Dans une décision qui souligne le tournant de QS vers une forme aiguë de nationalisme «indépendantiste», le congrès a voté pour lancer des négociations en vue d’une fusion avec Option nationale. Ce petit parti nationaliste de droite, formé à l’initiative d’anciens leaders péquistes déçus par le manque de chaleur du PQ pour l’indépendance, critique régulièrement QS pour ses timides promesses réformistes qui mettent «trop d’accent» sur les questions sociales et lui demande de se concentrer plutôt sur l’indépendance du Québec comme unique objectif.

La direction de QS a cherché à inscrire le rejet temporaire d’une entente formelle avec le PQ – en dépit de ses propres recommandations – dans le cadre des «mouvements de gauche» qui «sortent des vieux partis, de la vieille façon de faire de la politique», en citant comme exemples Bernie Sanders aux États-Unis et Jean-Luc Mélanchon en France.

Cela fait partie des efforts de QS pour se donner un air «radical» afin de mieux bloquer une véritable rupture des travailleurs et des jeunes avec le système capitaliste et avec les mécanismes politiques qui assurent sa survie – le mouvement souverainiste et le PQ dans le cas du Québec.

C’est justement un tel rôle qu’ont joué Sanders et Mélanchon. Le premier a ramené le sentiment de rébellion anti-capitaliste de millions de jeunes Américains derrière le parti démocrate pro-patronal. Le second, lui-même ex-dirigeant du Parti socialiste (PS), a fourni une caution «de gauche» à Emmanuel Macron, porté au pouvoir pour intensifier l’attaque frontale lancée par le gouvernement PS précédent de François Hollande sur les droits démocratiques et sociaux des travailleurs français.

Québec solidaire a une longue expérience en la matière. Lors de la grève étudiante québécoise de 2012, QS a aidé la bureaucratie syndicale à canaliser vers le PQ une révolte des jeunes qui menaçait de déclencher un mouvement des travailleurs contre le programme d’austérité des libéraux de Jean Charest. Les dirigeants de QS se sont engagés à soutenir sans conditions, pendant au moins un an, un éventuel gouvernement péquiste minoritaire.

Même sans entente formelle avec le PQ, c’est cette orientation que va continuer Québec solidaire. Le congrès de mai 2017 était à peine terminé que les deux porte-parole nouvellement élus de Québec solidaire, Manon Massé et Gabriel Nadeau-Dubois (leader de la grève étudiante québécoise de 2012), tendaient de nouveau la main au Parti québécois.

«C’est une période où on va avoir à retisser des liens, apprendre à se faire confiance», a déclaré Manon Massé dans une entrevue au quotidien Le Devoir, proche des milieux souverainistes.

Elle a ensuite répondu favorablement au PQ qui exigeait que la direction de QS «se dissocie» des critiques lancées à son égard sur le plancher du congrès – le fait que certains délégués aient rappelé les dures mesures d’austérité des gouvernements péquistes et les appels anti-musulmans lancés par le PQ lors du débat sur sa Charte des valeurs québécoises. Tout en disant «comprendre» les critiques formulées par des membres de sa propre organisation, Massé a cherché à les minimiser en déclarant que «le Parti québécois n’est pas raciste, c’est clair».

Quant à Nadeau-Dubois, il a vite pris ses distances envers toute critique du PQ. «J’invite tous les indépendantistes, tous les progressistes à se concentrer sur le parti au pouvoir qui est celui qui a affaibli le Québec dans les 15 dernières années», a-t-il déclaré après avoir été élu député QS dans la circonscription montréalaise de Gouin, suite à l’élection partielle du 29 mai.

Dans un point de presse le 8 juin, il affirmait que la décision prise au congrès de QS était de présenter des candidats dans toutes les circonscriptions, «pas de ne pas travailler avec le Parti québécois dans aucun contexte et sous aucune condition».

La présidente de Québec solidaire, Nika Deslauriers, abondait dans le même sens en déclarant après le congrès de QS: «Nous tenons à réaffirmer que nous continuerons à collaborer aux travaux du OUI-Québec au moment opportun».

OUI-Québec (Organisations unies pour l’indépendance) constitue depuis des années le forum par lequel Québec solidaire tisse et maintient des liens étroits avec l’ensemble du mouvement souverainiste québécois. Cela comprend la bureaucratie syndicale qui étouffe depuis des décennies l’opposition des travailleurs aux attaques patronales, tout en les subordonnant politiquement au PQ. Un exemple récent est le soutien à peine voilé accordé au PQ par Jacques Létourneau, président nouvellement réélu de la Confédération des syndicats nationaux (CSN), qui a menacé d’«appeler nos membres à sortir les libéraux de Philippe Couillard de l’Assemblée nationale».

C’est dans le cadre du OUI-Québec que QS signait en avril dernier une «entente de principe» avec Option nationale, le Parti québécois et le Bloc québécois (le parti frère du PQ sur la scène fédérale canadienne). Cette entente, qui portait sur les «modalités» de l’accession du Québec à l’indépendance, fut tenue secrète à la demande de Québec solidaire.

De telles manœuvres ne peuvent cacher le contenu profondément réactionnaire du tournant de QS vers une promotion plus agressive de l’indépendance du Québec – c’est-à-dire la formation d’une république capitaliste du Québec.

La décision de préparer une fusion avec Option nationale vise d’abord à faciliter un rapprochement subséquent avec le Parti québécois.

«Les négociations pour la feuille de route des OUI-Québec devront aboutir, car les indépendantistes auront plus que jamais besoin d’une stratégie commune», écrivait récemment le chef d’Option nationale, Sol Zanetti. Il devait ensuite conclure sur cette note: «QS et le PQ devront envisager l’idée de pactes électoraux temporaires à l’aune de la nouvelle conjoncture».

Mais la fusion envisagée a une signification plus fondamentale. Malgré l’étiquette «progressiste», voire «de gauche», que lui collent d’innombrables organisations petites-bourgeoises de la pseudo-gauche qui se sont dissoutes en son sein, Québec solidaire se voit démasqué comme étant, au même titre qu’Option nationale, un parti nationaliste de droite.

Le contenu anti-ouvrier du programme indépendantiste a été ouvertement articulé par Jean-Martin Aussant, le banquier d'affaires qui a fondé Option nationale avec le soutien politique de Jacques Parizeau – un leader historique du PQ qui était vu jusqu’à sa mort en 2015 comme le chef de file des «purs et durs» qui exigent une rupture nette avec l’État fédéral canadien.

«L’indépendance va nous permettre de mieux gérer tous les autres dossiers: la santé, l’éducation, les infrastructures, le développement économique», affirmait Aussant en 2012. Cela fut suivi d’une explication qui démasque la fraude réactionnaire de QS voulant que l’indépendance du Québec soit un projet démocratique, porteur de progrès social.

«Quand on parle de restructurer les commissions scolaires et les agences de la santé, de rationalisation de l’État», soutenait le fondateur d’Option nationale, «c’est plutôt associé à une certaine droite sur le plan administratif et économique».

Autrement dit, la réorganisation de l’appareil d’État qu’exigerait la réalisation de l’indépendance du Québec serait utilisée par la classe dirigeante pour lancer un assaut tous azimuts sur ce qui reste des services publics et une attaque en règle sur tous les acquis sociaux des travailleurs. La bourgeoisie québécoise s’en servirait également pour rechercher un nouveau «deal» avec Washington au détriment d’Ottawa.

Tel est le contenu réel du programme indépendantiste dont Québec solidaire se fait aujourd’hui le principal porte-parole – en préparant une fusion avec Option nationale et éventuellement de nouvelles négociations avec le PQ.

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