L’élection britannique sous la menace croissante de la répression d’État

Le commentaire le plus remarquable des élections générales au Royaume-Uni a été prononcé par la Première ministre Theresa May mardi. Annonçant son plan en quatre points pour sévir contre le terrorisme, elle a promis : « Si nos lois sur les droits de l’homme nous empêchent de le faire, nous modifierons les lois afin que nous puissions le faire. »

Cette menace dépasse même les implications réactionnaires du programme antiterroriste dont elle a donné les grandes lignes. Ces mesures comprennent la fin des « espaces sûrs » sur Internet par la censure et l’obligation pour les fournisseurs d’accès (FAI) de faciliter la surveillance de masse de l’État en abandonnant le cryptage. Elles visent également ce que May appelle le « monde réel », en particulier le secteur public, où les enseignants, les médecins et d’autres professionnels seront transformés en un réseau d’informateurs de la police tant pour lutter contre la pensée « extrémiste » que contre tout mouvement désigné comme tel par l’État.

Martha Spurrier, la directrice de Liberty (ONG pour les droits de l’Homme), a déclaré à propos de la déclaration de May : « Ce qu’elle veut dire, c’est ceci : si le droit à la liberté, à un procès équitable ou à ne pas être torturé posent problème, alors elle va tout simplement les détruire, se débarrassant avec désinvolture des valeurs établies pour arrêter la tyrannie après les horreurs de la Seconde Guerre mondiale. »

Le plus remarquable dans tout cela, c’est ce que le Guardian a relevé : déchirer les lois sur les droits de l’Homme « impliquerait de déclarer un état d’urgence. »

Le secrétaire d’État au travail et aux retraites de May, Damian Green, a déclaré que les modifications apportées aux lois sur les droits de l’homme impliqueraient une « dérogation » à la Convention européenne des droits de l’Homme. Une fiche d’information de la Cour européenne des droits de l’Homme souligne que « le droit de dérogation ne peut être invoqué qu’en temps de guerre ou autre situation d’urgence publique menaçant la vie de la nation ». Le fait que les conservateurs prévoient d’instaurer l’état d’urgence a été confirmé par Green, qui a cité la déclaration de la France après les attentats terroristes de novembre 2015 à Paris ; des attentats-suicides et des fusillades de masse qui avaient fait 130 victimes au théâtre du Bataclan.

La « mesure exceptionnelle » en France qui interdit les rassemblements publics ou à des individus de participer aux manifestations a depuis été renouvelée à cinq reprises et a été utilisée majoritairement contre la classe ouvrière. Un rapport d’Amnesty International note qu’entre novembre 2015 et le 5 mai 2017, 155 décrets ont été émis sous l’état d’urgence, interdisant des rassemblements publics, et 639 empêchant des individus d’y participer. La grande majorité a visé des manifestations contre la Loi travail réactionnaire et a affecté « des centaines de militants, d’écologistes et défenseurs des droits du travail ». Ce rapport cite, l’emploi d’une « force inutile ou excessive » contre des manifestants pacifiques « qui ne semblaient pas menacer l’ordre public ».

La présence massive de policiers armés est une occurrence quotidienne dans les rues de Paris. Rien que cette semaine, des milliers de policiers ont été mobilisés après qu’un seul individu a attaqué des policiers au marteau. À la suite de l’attaque, le président nouvellement élu, Emmanuel Macron, peut donner libre cours à une rhétorique du tout sécuritaire dans sa campagne pour les élections législatives des 11 et 18 juin.

Les parallèles avec la Grande-Bretagne sont à la fois évidents et sinistres.

Les conservateurs ont utilisé les attentats de Manchester et Londres pour mettre au centre du débat électoral des accusations selon lesquelles le chef du Parti travailliste Jeremy Corbyn est un « ami » du terrorisme, un ennemi de la Grande-Bretagne et une menace pour la sécurité nationale.

Le ton hystérique du gouvernement a été donné par le ministre des affaires étrangères, Boris Johnson, qui a déclaré : « Depuis 30 ans, il [Corbyn] a été indulgent et brouillon à l’égard du terrorisme. Il a été indulgent et brouillon à l’égard de la défense nationale, où il a pris parti pour quasiment tous les adversaires que ce pays a connus durant mon existence. »

Ce message a été amplifié par une couverture médiatique hystérique. Le Daily Mail a consacré 13 pages à des attaques sur Corbyn, sa ministre fantôme de l’intérieur, Diane Abbott, et John McDonnell le ministre fantôme de l’économie : « Des apologistes du terrorisme […] fréquentant ceux qui détestent notre pays, tout en accablant de mépris les services de police et de sécurité, et s’opposant à la législation antiterroriste encore et encore. »

Le Sun dans son éditorial a affirmé que, « Votre vote serait d’installer le premier gouvernement marxiste britannique […] Ce serait l’erreur la plus grave que ce pays ait jamais faite. Jeremy Corbyn et John McDonnell se sont présentés comme calmes et respectables afin de se faire élire. C’est une fraude monstrueuse. Ce sont de mauvais hommes qui ont passé leur vie en compagnie de personnes vraiment malfaisantes. »

Corbyn a répondu à une salve d’attaques contre lui en renonçant à chaque position qu’il avait autrefois déclarée être un principe, sans y rechigner. Il s’est engagé à soutenir l’OTAN, les armes nucléaires Trident et des fonds supplémentaires pour l’armée, le MI5 et le MI6. Il a déclaré cette semaine : « Nous protégerons les gens de ce pays de toute menace qu’ils rencontrent partout dans le monde. Nous investirons correctement dans notre service de police, nous investirons correctement dans nos forces armées – les effectifs des forces armées ont diminués, la marine réclame désespérément de nouveaux navires, de même l’armée de l’air pour des avions de surveillance. Nous les financerons correctement pour réaliser tout cela. »

De manière cruciale, Corbyn a concentré toute son attention depuis l’attentat de Manchester pour dénoncer les réductions de 20 000 postes de police par Theresa May et promettre que le Parti travailliste embauchera 10 000 policiers supplémentaires. Ceci dans les conditions où sa déclaration antérieure – reliant la menace terroriste aux guerres britanniques pour le changement de régime en Irak, en Libye et en Syrie – a été confirmée d’une manière qui aurait dû sceller le sort du gouvernement conservateur.

Il a été établi sans aucun doute que le MI5 et la police connaissaient si bien le kamikaze de Manchester, Salman Abedi, que celui-ci n’a pu agir comme il l’a fait que parce qu’il était un agent protégé. Au cours des derniers jours, il s’est avéré que la police et les services secrets avaient également connaissance des trois terroristes qui ont tué huit personnes à Londres.

Le chef de bande, Khuram Butt, avait été signalé aux autorités à de nombreuses reprises et a même été, l’an dernier, le sujet d’un documentaire de Channel 4, The Jihadis Next Door (Les voisins jihadistes). La police a déclaré lundi que Butt avait été l’objet d’intenses enquêtes en 2015, mais cela a été « abandonné ». Hier, cependant, « des sources britanniques de lutte contre le terrorisme » ont déclaré à CNN qu’il était encore « mentionné dans l’une des 500 enquêtes actives contre le terrorisme […] ».

En mars 2016, Youssef Zaghba, âgé de 22 ans, a été arrêté quand il tentait de se rendre en Syrie depuis l’Italie et a déclaré à la police : « Je serai un terroriste ». Son nom a été ajouté à la liste du Système d’information de Schengen, qui avertit automatiquement d’autres nations européennes si les criminels tentent d’entrer dans le pays. Mais quand Zaghba est arrivé à l’aéroport de Stansted en Grande-Bretagne cette année, son entrée a été autorisée.

Selon des sources dans les services de sécurité irlandais, Rachid Redouane était également connu de la police au Royaume-Uni et était autrefois « observé ». Il a été arrêté en 2009 en Écosse, après avoir tenté de voyager en Irlande du Nord par ferry en possession d’un faux passeport. Il s’est vu refuser l’asile en Grande-Bretagne cette année-là, mais a reçu une carte de résident à la suite de son mariage avec une femme anglaise en Irlande en 2012.

Ce n’est que grâce à l’autocensure de Corbyn que May, qui fut ministre de l’Intérieur et puis Premier ministre tout au long de cette période, peut prétendre se faire passer pour quelqu’un qui défend la sécurité de la population. Mais les implications vont au-delà de la possible victoire des conservateurs apportée sur un plateau aujourd’hui.

Corbyn ne peut pas et ne voudra pas soulever ces questions parce qu’il a l’intention de diriger un gouvernement qui soit acceptable pour la classe dirigeante britannique et qui mérite sa confiance pour protéger ses intérêts. Mais l’effet net de ses retraites et de ses dérobades est de fourvoyer, désarmer et démobiliser les millions de travailleurs et de jeunes qui se sont tournés vers lui pour une direction politique, et d’ouvrir la voie à une descente plus raide dans l’austérité brutale, des formes autoritaires de gouvernement, le militarisme et la guerre.

(Article paru en anglais le 8 juin 2017)

 

 

 

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