La crise politique qui s’emballe au Brésil : peine de prison pour l’ex-président Lula, du Parti des travailleurs

L’ancien président brésilien Luiz Inácio Lula da Silva, du Parti des travailleurs (PT), a été condamné mercredi à une peine de prison de neuf ans et demi pour des faits de corruption. Il ne sera pas incarcéré avant que son appel soit entendu et, théoriquement, il pourrait encore présenter sa candidature à l’élection présidentielle de 2018.

L’action judiciaire contre Lula intervient en pleine crise du pouvoir bourgeois au Brésil qui se détériore rapidement.

Cela survient moins d’un an après la destitution de Dilma Roussef, que Lula lui-même avait désigné comme son successeur, mise en cause par des accusations fabriquées de manipulations budgétaires. Son ancien vice-président et l’actuel chef de l’État, Michel Temer du Parti du mouvement démocratique brésilien (PMDB), est également confronté à des accusations pénales et à une rébellion croissante de sa base de droite au congrès brésilien qui pourrait entraîner son départ.

La cote d’approbation de Temer est tombée à 7 pour cent, alors que tous les grands partis politiques et institutions de l’État brésilien ont été discrédités par les révélations incessantes de corruption issues de l’enquête dite « Opération de lavage express » (Lava Jato) qui dure depuis trois ans. Cette crise politique se déroule e, même temps qu’une attaque à grande échelle de la classe dirigeante contre les droits fondamentaux et les conditions sociales de la classe ouvrière, qui a débuté par des « réformes » du droit du travail et des retraites.

La condamnation de Lula est le premier verdict dans une série d’affaires de corruption en cours contre l’ancien président. Il s’agissait du scandale dit « triplex », dans lequel les procureurs l’accusaient d’avoir accepté 1,2 million de dollars de pot-de-vin sous forme d’un appartement de trois étages avec vue sur la mer et de rénovations de celui-ci fournies par la société d’ingénierie OAS. Il a été allégué que la société a fourni ces faveurs en contrepartie d’aide pour obtenir des contrats lucratifs avec le géant énergétique brésilien Petrobras.

Le scandale était une petite partie d’environ 2 milliards de dollars d’actifs extraits de la société d’État dans une combine d’importants pots-de-vin qui implique tous les grands partis politiques et toutes les personnalités politiques de premier plan du pays.

L’avocat qui défend Lula, Cristiano Zanin Martins, a déclaré que le juge chargé de l’enquête « Opération lavage express », Sergio Moro, avait « ignoré les preuves d’innocence » et avait « utilisé la procédure dans le but d’une persécution politique ».

La réalité, cependant, est que l’ensemble du Parti des travailleurs est saturé de corruption. Le PT a été fondé en 1980 à la suite d’une vague de grèves et de manifestations de masse d’étudiants qui avaient fatalement sapé la dictature militaire de 20 ans soutenue par les États-Unis. Le parti, soutenu par la fédération syndicale avec laquelle il est affilié, le CUT, a depuis ses origines servi d’instrument politique pour détourner les luttes révolutionnaires de la classe ouvrière brésilienne et la ramener sous la domination de l’État bourgeois.

Au cours de sa douzaine d’années au pouvoir, le PT est apparu comme le principal parti du capitalisme brésilien, défendant les intérêts d’une oligarchie financière et de la grande entreprise tant au pays qu’à l’étranger. Il a utilisé le pouvoir de l’État pour promouvoir la croissance et les bénéfices d’une couche de sociétés transnationales brésiliennes dirigées par des milliardaires, comme Odebrecht, OAS et JBS. Ces entreprises, à leur tour, ont reversé de l’argent dans les caisses du PT et d’autres partis, ainsi que dans les poches personnelles des principaux politiciens.

Le PT et Lula ont pu survivre aux révélations précédentes de cette opération de corruption (qui comprenait le soi-disant scandale mensalao il y a dix ans, dans lequel le PT versait des cachets mensuels aux députés du congrès pour obtenir leur vote en faveur de la loi soutenue par le gouvernement). Cela se passait dans des conditions dans lesquelles l’économie continuait à croître, alimentée par le boom des denrées de base et la demande croissante de la Chine qui sous-tendaient tous les projets politiques des soi-disant gouvernements de gauche de l’Amérique latine.

Aujourd’hui, le Brésil est en proie à la pire des crises économiques du pays depuis la Grande Dépression des années 1930. Les prévisions au début de cette année de croissance renouvelée n’ont pas tenu leurs promesses, et le chômage continue d’augmenter, atteignant 13,3 % en mai. Le véritable taux de chômage, en intégrant les travailleurs « découragés » qui ont cessé de chercher des emplois de toutes façons inexistants, s’élève en toute probabilité à près d’un quart de la main-d’œuvre.

Sans perspectives de croissance de l’investissement étranger ni de renouvellement de l’augmentation des exportations qui ont prédominé pendant la présidence de Lula, la bourgeoisie et tous ses partis politiques, y compris le PT, se positionnent pour une attaque en règle contre la classe ouvrière.

Mardi, le Sénat brésilien a approuvé une « réforme » du droit du travail qui prive les travailleurs des allocations de chômage, réduit les temps de pause et réduit les droits aux congés annuels tout en facilitant la transformation complète de la main-d’œuvre en travailleurs vacataires, une main-d’œuvre précarisée, au bon vouloir des employeurs.

Alors que la loi est extrêmement impopulaire et a provoqué des manifestations et des grèves très suivies, les grandes fédérations syndicales ont saboté délibérément une grève générale qui avait été prévue pour le 30 juin contre la « réforme ».

Plutôt que de mobiliser la classe ouvrière contre le gouvernement de droite, les syndicats cherchaient à parvenir à un accord visant à modifier la loi dans le domaine qui leur importait le plus : une proposition visant à éliminer le prélèvement automatique des cotisations syndicales des salaires des travailleurs. Temer aurait accepté de proposer un amendement au projet de loi adopté par le Sénat pour assurer le flux de revenus des syndicats. L’accord souligne le caractère de ces organisations, qui représentent les intérêts non de la classe ouvrière, mais ceux des couches privilégiées de la classe moyenne supérieure de fonctionnaires et de bureaucrates liés à l’État capitaliste.

La présidence de Temer, cependant, ne tient qu’à un fil depuis que son nom a été cité dans un accord de négociation de peine conclu avec des dirigeants du conglomérat de JBS qui l’ont directement impliqué dans la corruption. Il a été formellement mis en accusation d’un chef de corruption et risque d’autres accusations.

Pour que les accusations soient jugées, le congrès doit voter pour envoyer la question à la Cour suprême du Brésil. Alors qu’il semblait au début que Temer prévaudrait dans un tel vote, il est maintenant signalé que le groupe de partis de droite qui composent le socle de soutien du gouvernement est prêt à l’abandonner en faveur du président de la chambre basse du congrès, Rodrigo Maia du DEM. Le DEM est le parti de droite qui a émergé comme successeur politique d’Arena, le parti officiel de la dictature militaire brésilienne.

Maia assumerait le poste de présidence intérimaire pendant la période de 180 jours donnée à la Cour suprême pour juger Temer. Si Temer est condamné, un vote indirect du congrès choisirait le prochain président, dont le candidat privilégié est apparemment Maia, qui est lui-même impliqué dans une affaire de sollicitation de dons de campagne électorale en échange de faveurs politiques pour la société OAS, la même société impliquée dans l’affaire où Lula a été condamné.

Au milieu de cette crise politique grandissante, Temer a prononcé un discours mercredi dans lequel il a représenté le coup d’État militaire au Brésil soutenu par les États-Unis en 1964 comme une manifestation de la « vision » du peuple brésilien comme « incompatible » avec le « système démocratique ».

« 1964 est arrivé et c’était le penchant du peuple brésilien pour la centralisation », a déclaré Temer. « Les gens aiment avoir un organisme chargé de tout, surtout ce qui repose sur une obéissance absolue à l’ordre judiciaire. »

Il a poursuivi en déplorant les « courants tumultueux » qui engloutissent son gouvernement, ajoutant qu’« un mépris absolu pour les institutions renaît d’une force stupéfiante et tout le monde commence à dire que nous devons changer. C’est très mauvais pour notre pays. »

Les remarques du président acculé se lisent comme un plaidoyer pour l’imposition d’une dictature dans des conditions où la bourgeoisie brésilienne ne peut pas imposer les politiques dont elle en a besoin par des moyens pacifiques.

(Article paru en anglais le 14 juillet 2017)

 

 

 

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