La conscription ressuscitée en Allemagne

Les politiciens et les médias allemands ont réagi aux révélations d’une cellule néonazie au sein de l’armée (Bundeswehr) en réclamant le rétablissement du service militaire obligatoire

Le député chrétien-démocrate (CDU), Patrick Sensburg, a dit jeudi aux journaux du groupe de médias allemand Funke (Funke Mediengruppe basé à Essen) que le citoyen en uniforme était «un système fiable d'alerte précoce pour la reconnaissance de l'extrémisme tant de gauche que de droite». Non seulement le rétablissement de la conscription est nécessaire du point de vue de la sécurité, mais la population civile est aussi «le système immunitaire contre l'hostilité à l’égard de la démocratie».

Début mai, l'historien Michael Wolffsohn avait déclaré dans une interview accordée au journal Tagesspiegel que la principale cause du scandale dans l'armée était «la suppression du service militaire obligatoire». Le fait qu’il «manque actuellement à l’armée des citoyens tout à fait ordinaires est attribuable» à cette décision politique. Ceci avait «ouvert les portes à l'afflux de personnel extrémiste désireux d’avoir un accès facile à des armes et à une formation militaire. Les poètes ne s’enrôlent pas volontairement dans l'armée.»

L’argumentation avancée par Sensburg et Wolffsohn, qui tous deux entretiennent des liens étroits avec l'armée, est cynique et fausse. L'histoire allemande montre justement que la conscription n'a absolument rien à voir avec la lutte pour la démocratie et contre l'extrémisme. Bien au contraire, le rétablissement de la conscription avant la Seconde Guerre mondiale au moyen de la loi sur l’organisation de la Wehrmacht promulguée le 16 mars 1935 a marqué un tournant dans le réarmement de l'impérialisme allemand sous Hitler.

Un commentaire paru dans l’hebdomadaire Stern intitulé «Réinstaurez le service militaire obligatoire» montre que la classe dirigeante poursuit les mêmes objectifs aujourd’hui comme alors. Ce qui est impliqué, c'est le réarmement massif de l'armée et le recrutement de chair à canon pour de nouvelles guerres encore plus importantes.

«Nous ne pouvons cependant pas confier notre sécurité à une troupe qui doit accepter ceux qui se présentent à elle et qui ne peut pas vraiment faire appel à ceux dont elle a besoin», a écrit Stern. «La doctrine de la sécurité de l'Allemagne est en train de changer radicalement, notamment aussi parce la Russie de Poutine est en train de poursuivre une politique agressive de grande puissance. Le budget de la défense est augmenté, les unités de l'armée sont de nouveau élargies, les détachements de chars et d'artillerie, qui pendant longtemps avaient été jugés obsolètes, doivent être reconstruits. Ceci ne sera pas praticable avec une force basée sur le seul volontariat.»

La tentative de célébrer la conscription comme un instrument de la démocratie ou d’une manière de garantir le nettoyage des néonazis de l'armée était dès le départ un mensonge. À sa fondation, le 12 novembre 1955, la Bundeswehr s'appelait encore «nouvelle Wehrmacht» (elle ne fut officiellement rebaptisée Bundeswehr qu’en 1956), et son nom d'origine, malgré la conscription, fut son programme dès le début.

Voici quelques faits et chiffres. Les 44 généraux et les amiraux nommés avant 1957 étaient tous issus de la Wehrmacht de Hitler, et ce majoritairement de l'état-major général de l'armée. En 1959, 12.350 anciens officiers de la Wehrmacht se trouvaient parmi les 14.900 militaires de carrière, dont 300 provenant des corps dirigeants des SS.

Dans une étude intitulée «Le militarisme en Allemagne: histoire d'une culture guerrière», l'historien Wolfram Wette a écrit, «Cette continuité du personnel représentait un lourd fardeau pour la vie interne de l'armée.» Wette a ajouté: «Pendant longtemps, il a existé au sein du corps d'officiers de l’armée de la République fédérale la tendance prédominante, mais non généralisée, de s’axer sur les traditions antérieures à 1945.»

Avec la réunification de l'Allemagne il y a 25 ans, cette «tendance prédominante» a encore été renforcée. La restructuration systématique de l'armée en une force d'intervention capable de mener une guerre qui défendrait les intérêts impérialistes allemands dans le monde, rendait de plus en plus nécessaire la relance des anciennes traditions militaristes de la Reichswehr, l'armée sous le Kaiser, et de la Wehrmacht à l’intérieur de la Bundeswehr.

Dès 1991 et avant la première intervention étrangère de l'armée, un général avait déclaré: «Tout, la formation, l'équipement et la structure, doit se concentrer à assurer l’aptitude guerrière de l'armée. L'éthique, l'éducation et la motivation doivent être prises en compte.»

En 2004, avant d'occuper le poste d'inspecteur de l'armée, le lieutenant-général Hans-Otto Budde avait préconisé un nouveau type de soldat, ou plutôt, «Le citoyen en uniforme est dépassé... nous avons besoin du combattant archaïque, et de ceux capables de mener une guerre de haute technologie.»

Depuis que l'ancien président fédéral allemand Joachim Gauck et le gouvernement ont officiellement annoncé lors de la Conférence de Munich sur la sécurité en 2014 le retour du militarisme allemand, des commentaires apparaissent régulièrement dans des volumes officiels sur la politique étrangère allemande appelant, dans la plus pure tradition de la Wehrmacht, à la guerre et à la violence.

Dans un volume intitulé «La nouvelle responsabilité de l'Allemagne» contenant des articles du président Frank-Walter Steinmeier (SPD), du ministre des Finances Wolfgang Schäuble, de la ministre de la Défense Ursula Von der Leyen (tous deux CDU) et des politiciens du parti des Verts et du parti Die Linke (La Gauche), l’on déplorait amèrement qu’en Allemagne, «L’obsession qui vise à rester “moralement propre”» imprègne presque tous les débats sur la politique intérieure et étrangère.

«Celui qui part en guerre doit généralement être responsable de la mort d’hommes, y compris la mort des non-participants et des innocents», peut-on y lire. C’est précisément «en période de nouvelle incertitude stratégique», qu’il est nécessaire de mettre en évidence [à nouveau] l'armée, non seulement parce qu'elle impose aux sociétés des épreuves si dures, mais parce qu'en définitive elle reste la discipline la plus importante en termes de conséquences et donc la plus exigeante et peut-être même la discipline reine de la politique étrangère.»

Il a poursuivi en indiquant que dans les années à venir, l'Allemagne devrait «aller sensiblement plus loin politiquement et militairement» en devant faire face «à des questions de politique étrangère et à des défis sécuritaires que le pays n’ose pas imaginer aujourd’hui dans ses rêves. Peut-être même pas dans ses pires cauchemars.»

Avec la conspiration néonazie au sein de l'armée et des appels lancés pour le retour du service militaire, ces «cauchemars» sont en train de prendre une forme menaçante. Ces cauchemars ne peuvent être bannis que par la construction d'un mouvement antiguerre international. Le Sozialistische Gleichheitspartei (SGP) lutte en Allemagne afin d'armer l'opposition généralisée au retour du militarisme avec un programme révolutionnaire et socialiste et de mettre fin à l'offensive de la classe dirigeante pour le fascisme et la guerre.

(Article paru en anglais le 13 mai 2017)

 

 

 

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