La ministre de la Défense Von der Leyen minimise l’importance de la cellule terroriste d’extrême droite au sein de l’armée allemande

La Commission de la Défense du parlement allemand s’est réunie mercredi en urgence avec la ministre de la Défense, Ursula Von der Leyen après que davantage d'informations a été rendu publique mardi sur l'existence d'une cellule terroriste néonazie dans l'armée allemande (Bundeswehr).

À l’issue de la réunion de la Commission qui délibère à huis clos, Von der Leyen a annoncé quelques réformes cosmétiques visant à minimiser l'affaire. Elle entend vouloir assurer l'éducation politique des soldats, a-t-elle déclaré, et rendre plus rapide et plus efficace le dispositif de signalement des incidents au sein de l'armée. En outre, elle a l'intention d’inclure au «Traditionserlass» (décret portant sur la tradition) de la Bundeswehr de 1982 un langage visant à se distancier explicitement de la Wehrmacht, l’armée allemande sous le régime nazi.

Les sociaux-démocrates (SPD) ont également tout fait pour minimiser l'ampleur des événements. Le porte-parole pour la Défense du groupe parlementaire SPD, Rainer Arnold, a même attaqué par la droite la ministre de la Défense. Il l'a accusé de créer un climat d'incertitude et de défiance envers les troupes en suscitant en l’absence de preuves concrètes des soupçons quant à l'existence d'un réseau terroriste d'extrême droite dans l'armée.

Ni le SPD ni les membres d'opposition des Verts ou du parti Die Linke (La Gauche) n’ont demandé la démission de la ministre qui dirige le ministère de la Défense depuis trois ans et demi et assume l’entière responsabilité de l'armée en étant son commandant suprême.

Compte tenu de l'ampleur des événements, la proposition de Von der Leyen de réagir au moyen d’un programme éducatif et une révision du décret portant sur la tradition est étrange. Il a désormais été confirmé qu'il existe une cellule terroriste d’extrême droite au sein de l'armée qui planifiait des attentats contre des politiciens de haut rang et des représentants de l'État, des organisations juives et musulmanes ainsi que des militants de gauche.

Deux officiers et un étudiant ont été arrêtés jusqu'ici pour avoir accumulé des armes et des munitions, préparé des listes de cibles potentielles et pris des dispositions complexes pour attribuer les attaques à des réfugiés. Le lieutenant Franco A., qui fut le premier à être arrêté, s’était, avec l'aide du Lieutenant Maximilian T. qui a également été interpellé, enregistré avec une fausse identité en tant que réfugié syrien.

Imaginez seulement quelle aurait été la réaction si des projets d’attentats comparables avaient été découverts chez des organisations islamistes. Le pays aurait été mis sous état d'urgence.

L’on n’a toujours aucune idée de l’ampleur de la cellule terroriste au sein de l'armée ou si Franco A. et Maximilian T. avaient d’autres co-comploteurs ou complices ou même s’ils ont agi sur les instructions de tierces personnes. Ce qui ne fait aucun doute c’est que les idées néonazies sont connues depuis longtemps et qu’elles ont été systématiquement couvertes par leurs supérieurs et le service de contre-espionnage militaire allemand (MAD). Des enquêtes les concernant furent souvent suspendues ou retardées.

Les dernières informations rendues publiques sont celles disant qu’un supérieur de Franco A. avait demandé en février 2016 qu’il soit soumis à une enquête de sécurité étant donné qu’il était affecté à un nouveau «poste sensible en matière de sécurité». Il ne fut nullement tenu compte du fait que A. n’avait fourni qu’en novembre le document de consentement requis après avoir occupé ce poste depuis un certain temps. Un porte-parole du ministère de la Défense a déclaré au magazine Stern que l’étude du dossier n'était «pas encore terminée».

À la lumière du nombre de cas où de présumés terroristes d’extrême droite ont été dissimulés, il n'est plus possible de parler d’«erreurs», comme c’est le cas aujourd'hui dans de nombreux articles. En réalité, il est de plus en plus évident que le service de renseignement de l'armée, qui est responsable du contrôle des soldats, est un foyer d'extrémistes de droite et de néonazis.

Dernièrement, un officier du MAD, qui siège également pour le parti d’extrême droite AfD au conseil municipal de Cologne en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, a été dénoncé au parquet de Cologne pour avoir tweeté le slogan interdit de la SA (milice paramilitaire nazie) «Allemagne réveille-toi!» Ceci se serait passé en janvier, mais est resté lettre morte à ce jour. Le compte Twitter a été supprimé entretemps.

Il devient évident que la cellule terroriste a pu prospérer dans l'armée sur la base de vastes réseaux extrémistes de droite qui s’étendent jusqu’aux plus hauts échelons du commandement de l'armée.

La chaîne de télévision WDR a mené une entrevue avec Christian Weißgerber, qui était actif dans la mouvance d’extrême droite dans le cadre des Nationalistes autonomes, et qui avait rejoint l'armée en 2008. Il a expliqué que l'armée était fortement peuplée de «personnes nationalistes conservatrices et racistes». Dans son groupe de 12 recrues, il y avait au moins trois personnes qui s'identifiaient comme des extrémistes de droite.

Weißgerber a signalé en détail l’existence de tendances extrémistes de droite dans les rangs des officiers. Il a discuté avec un officier des francs-maçons, des illuminatis et d'autres groupes secrets imprégnés de théories antisémites. Mais il ne s’agissait pas de la seule occasion impliquant l’un de ses supérieurs.

«J'avais une serviette de toilette noire, blanche et rouge, qui était visible», a déclaré Weißgerber. «Mais le supérieur hiérarchique a simplement dit, “Étends-la encore demain quand mon collègue passera en revue la chambrée. Ça va lui faire plaisir.” Je l'ai fait et il était vraiment content.» Les couleurs noir, blanc et rouge sont les couleurs impériales du Kaiser et des nazis, et sont utilisées par des groupes extrémistes de droite.

Le portail web bento a interviewé un soldat nommé Dominik qui avait été dans l'armée de 2004 à 2013 et qui avait fait ses études à l'Université Helmut Schmidt à Hambourg. Sa thèse de maîtrise s’était concentrée sur l’idéologie politique des gradés de l’armée. Essentiellement, tous les entretiens qu'il a menés dans le cadre de son travail aboutissaient au même résultat: «Les personnes interrogées se considèrent comme faisant partie d'une élite, comme des héros, qui iront au combat et si nécessaire, sacrifieront leur vie.»

La majorité des officiers avaient une vision extrêmement conservatrice et pouvaient facilement s'identifier aux idées nationalistes, en particulier en ce qui concerne leur conception de l'histoire. «Le Blitzkrieg contre la Pologne pendant la Seconde Guerre mondiale était apprécié par beaucoup de mes collègues comme un exploit militaire majeur,» a déclaré Dominik.

Selon ses propres dires, le MAD étudie actuellement 275 cas relevant de la catégorie extrémisme de droite. Ce ne sont là que les cas où les autorités ne pouvaient se soustraire à procéder à des enquêtes officielles. Le mémoire néonazi de Franco A. de l’année 2013, qui était connu de ses supérieurs et du magistrat responsable de la discipline militaire, n’a par exemple pas été inclus dans ce nombre.

En 2016, les «recherches» entreprises par le MAD n’ont révélé que trois cas dans lesquels des extrémistes de droite étaient impliqués.

Au cours de la semaine dernière, des questions posées par le groupe parlementaire du parti Die Linke (La Gauche) au Bundestag (parlement) ont révélé que plusieurs soldats avaient pu poursuivre leur service et avoir accès aux armes après avoir fait l’objet d’une enquête du MAD pour avoir crié «Sieg Heil» ou fait le salut nazi.

Le renforcement d’éléments extrémistes de droite dans l'armée est étroitement lié à la politique militariste et au réarmement qui sont poursuivis avec détermination par la ministre de la Défense.

Dans les prochaines années, l'armée doit être considérablement modernisée conformément aux lignes directrices du profil de capacité opérationnelle future de l'armée établi par son ministère. Elle doit être pleinement apte à intervenir sur terre, en mer, dans les airs, dans l'espace et le cyberespace.

Les sept brigades de l'armée doivent être portées à trois divisions avec huit à dix brigades. La semaine dernière seulement, un contrat a été signé avec la société d'armements Kraussman-Maffei Wegmann pour la modernisation de 104 chars Leopard II. Au cours des six prochaines années, le nombre total de chars passera de 244 à 328.

L'armée de l'air devra avoir la capacité de diriger une force multinationale capable de réaliser jusqu'à 350 missions de reconnaissance et de combat par jour. À cette fin, les avions de combat Tornado et les hélicoptères de transport CH53 seront remplacés par des aéronefs plus récents. De plus, des drones, des avions de transport C130 Hercules, des avions de transport A400M supplémentaires et des hélicoptères de transport lourd seront achetés. De nouveaux navires seront également achetés pour la marine.

L'expansion de la Bundeswehr en une armée capable de combattre et de tuer dans le monde entier va nécessairement de pair avec la renaissance des traditions de la Wehrmacht en créant des conditions idéales pour des structures néonazies.

Le Frankfurter Allgemeine Zeitung, qui depuis longtemps est le fer de lance de la propagande militariste, l’avait fait savoir sans équivoque. En ce qui concerne le FAZ, même les mesures proposées par Von der Leyen pour couvrir l'affaire vont trop loin. Dans un commentaire publié mardi, le journal a décrit «la fouille de tous les bâtiments et casernes de l’armée en quête de symboles qui seraient anticonstitutionnels» comme de l’«exorcisme embarrassant», qui nettoiera la commandante en chef, mais salira les soldats».

L'armée, selon le FAZ, «a été construite par des officiers de la Wehrmacht qui ont utilisé et développé pendant des décennies leurs armes et leurs principes d'entraînement.» Le journal incite ouvertement les généraux à résister à leurs commandants civils: «Si seule la résistance est créatrice de tradition, pourquoi les généraux acceptent-ils alors ces inepties?»

(Article paru en anglais le 12 mai 2017)

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