Réplique à un commentaire paru dans le New York Times: racialisme et «esprit critique»

En réponse à un article du New York Times («Ce que Beyoncé a gagné est plus grand qu'un Grammy», 14 février 2017) par Myles E. Johnson, le WSWS a publié un commentaire de Davis Walsh rejetant l'approche racialiste de l'auteur.

Un lecteur du WSWS a ensuite envoyé l'article à Johnson, qui a répliqué par Twitter. Le lecteur a combiné les tweets et les a copiés dans la section des commentaires au bas de l'article du WSWS. Nous republions ci-dessous les commentaires de Johnson et la réplique de Walsh.

* * * * *

Myles E. Johnson:

Je lisais l'article et je riais devant son ridicule juste avant de recevoir les fleurs envoyées par Beyoncé. C'est pourquoi je mentionne la race, parce que cette opposition à mon article est racialisée. Prenons cet extrait de son article «socialiste»:

«En saluant avec admiration les succès de Beyoncé, Johnson révèle son côté profondément conformiste et conventionnel. Qu'il en soit conscient ou non, il est épris non par sa musique et son spectacle, qui sont tout deux assez fades, mais par sa célébrité et son argent.»

Voyez-vous la façon dont il questionne mon agencement intellectuel avec son «qu'il en soit conscient ou non». Comme cet homme blanc m'infantilise. Le plus drôle c'est que [je suis] un penseur critique et [j'ai] été un penseur critique. J'ai critiqué la relation entre Beyoncé et le capitalisme. L'homme blanc qui a écrit ceci, par contre était a) trop paresseux pour se documenter sur la personne dont il parlait, [et] b) était incapable de transcender une dichotomie. Il ne pouvait pas concevoir que je puisse aimer Beyoncé et tout de même avoir des critiques ou questions au sujet de son art et la façon dont elle fonctionne dans notre culture.

Et pourquoi...hmmm? Pourquoi présumait-il cela? Pourquoi était-il si paresseux? Parce que mon nom commence avec un M? Ou pour une autre raison. Exactement. C'est parce que je suis nègre, et il a présumé connaître mes limites à partir d'un seul article, mais si j'avais été un homme blanc «neutre», il se serait documenté. C'est racial. C’est une question de race. Je ne racialise rien. La domination racialise tout. Je ne peux simplement pas me permettre de l'ignorer.

David Walsh réplique:

La réponse de Myles Johnson sur Twitter fait plus que confirmer les points soulevés dans le commentaire initial.

M. Johnson soutient que je «questionne» son «agencement intellectuel» en suggérant qu'il était plus impressionné par la richesse et la célébrité de la chanteuse Beyoncé que par sa musique. J'aurais affirmé ceci par «paresse» parce que je ne me suis pas donné la peine de faire des recherches et de trouver des exemples parmi ses articles plus «critiques» sur «la relation entre Beyoncé et le capitalisme». Je suis censé avoir traité son article avec désinvolture parce qu'il est noir, alors que j'aurais pris au sérieux le travail d'un écrivain blanc. Et ceci justifie sa propre réponse «racialisée».

Ces arguments sont absurdes et insultants, et facilement réfutés.

Monsieur Johnson a peut-être ri du ridicule de mon commentaire, mais il ne s'amusait apparemment pas assez pour le lire jusqu'à la fin. Il suggère que j'ai été paresseux et que je ne me suis pas documenté. Au contraire, j'ai lu plusieurs articles de M. Johnson, critiques de film et essais, dont j'ai, en fait, cité un paragraphe près de la conclusion.

Le passage que j'ai cité provient d'un essai intitulé «Les "alliés" blancs et la tradition américaine de s’apitoyer sur le sort des Noirs». Une autre de ses expressions que j'ai citée, «la patriarchie capitaliste suprémaciste blanche impérialiste, est tirée de «Désengagement de la dystopie: Confronter Beyoncé de façon critique, Your Heartbeat, & d'autres choses qui nous sont précieuses».

Dans ce dernier article, M. Johnson écrit ceci: «Bien que Beyoncé n'ait jamais été perçue dans le passé comme une artiste entièrement décolonisée, elle est le symbole d'un type de pouvoir et de succès qui est possible pour les personnes marginalisées, même au sein de la patriarchie capitaliste suprémaciste blanche impérialiste. À bien des égards, Beyoncé est un symbole pour les plus opprimés aux États-Unis.»

Je ne sais pas si c'est ce qu’il veut dire par critique de «la relation entre Beyoncé et le capitalisme», mais ça me semble tout aussi révérencieux que son article plus récent dans le New York Times.

Si je n'ai pas davantage cité ses divers commentaires politiques, c'était par souci de brièveté mais aussi parce que, franchement, lire (ou citer) un article de M. Johnson revient à les lire (ou citer) tous. Tous ses articles que j’ai lus étaient caractérisés par ce que j'ai qualifié de racialisme, occasionnellement ornementé de phrases «de gauche» vides de sens.

M. Johnson soutient que je l’ai «infantilisé» en suggérant que, «qu'il en soit conscient ou non», il est impressionné avant tout par l'argent et la célébrité de Beyoncé.

En avançant cette position, je partais du caractère égocentrique de la performance de Beyoncé aux Grammys, où elle a permis qu'on la traite comme une déesse, ainsi que du caractère généralement impersonnel et vide de sa musique. Tout comme Adèle, mais plus imbue d'elle-même, Beyoncé est une personne talentueuse qui interprète des pièces généralement banales, des chansons qui ne sont nullement stimulantes d’un point de vue musical ou social.

J'accusais M. Johnson d'être en admiration devant la célébrité et l'argent parce qu'il me semblait peu probable que la performance aux Grammys ait pu induire autant d'extase. J'avais peut-être tort. J'essayais de lui donner le bénéfice du doute artistique. Mais comme il ne peut s'empêcher de révéler qu'il lisait mon article «juste avant de recevoir les fleurs envoyées par Beyoncé», je suis forcé de retourner à mon diagnostic initial qu’on a affaire à un lèche-bottes.

La question la plus importante, à mon avis, est la tentative de M. Johonson de se faire passer pour «un penseur critique». (En suggérant que si je m’étais documenté j’en aurais trouvé des preuves ailleurs, il admet que l'article du Times était «non-critique» et idolâtre, mais il voudrait qu’on le prenne au mot lorsqu'il dit qu'il a été plus «critique» à d'autres occasions.)

M. Johnson est tout l'opposé d'un penseur critique. Tout ce qu'il écrit porte la marque de la combinaison toxique de la politique raciale/identitaire et du subjectivisme postmoderne qui exerce une emprise mortelle sur certaines sections de «gauche» des classes moyennes. Des expressions telles que «agencement intellectuel» et «infantilisation», ou telles que «transgressif», «altérité», «récits noirs», «regard du consommateur blanc» et ainsi de suite dans son article initial, font partie du jargon standard. M. Johnson appartient à cet univers sociopolitique et il écrit pour être reconnu dans ce milieu. C’est aujourd'hui une industrie qui ouvre la porte à des carrières lucratives.

La pensée réellement critique implique, avant tout, une prise en compte et une évaluation consciente des catégories utilisées, ainsi que de leurs contradictions inhérentes. M. Johnson travaille avec les catégories de la race, du sang, de l'ethnicité, c'est-à-dire les caractéristiques les plus accidentelles et superficielles de la vie, et les élève au rang de facteurs cruciaux et décisifs. Il travaille ainsi dans un cadre décidément conformiste et, de fait, profondément réactionnaire et irrationaliste, qu'il accepte sans poser de questions.

Le fait que M. Johnson assaisonne son racialisme de références occasionnelles et démagogiques au «capitalisme» et à «l'impérialisme» ne le rend pas plus progressiste. Rappelons qu'un mélange de racialisme rigide élevé au rang de facteur historique, de «matérialisme zoologique» (Trotsky) et d'«anti-capitalisme» définissait un autre mouvement politique aux conséquences horribles – le nazisme.

L'une des nombreuses questions qui ne semblent jamais être venues à l'esprit critique de M. Johnson est de savoir ce qui a poussé le New York Times à donner autant de visibilité à son commentaire. Ce n’est pas, pour emprunter l'un de ses mots, un espace «neutre».

Le Times est l'un des principaux porte-parole du capitalisme américain. Ce journal a menti et a fait de la propagande pour des guerres et des invasions au Moyen-Orient qui ont amené tueries, destruction et misère. Avec sa panoplie de journalistes et de chroniqueurs, ce journal fonctionne plus ou moins comme le mégaphone de la CIA. Le Times mène présentement une campagne féroce en faveur d’une confrontation avec la Russie, ce qui entraîne le danger d'une guerre entre puissances nucléaires et l'incinération de centaines de millions d'êtres humains.

Pourquoi le Times publie-t-il des commentaires comme ceux de M. Johnson? Parce que la politique de la race et du genre, qui occupe des portions de la classe moyenne supérieure et détourne l’attention de la guerre, de la pauvreté et des inégalités sociales, est essentielle à la stratégie de la section de l'impérialisme américain représentée par le Parti démocrate. Notre chroniqueur n'est qu'un parmi de nombreux contributeurs enthousiastes à la stratégie «diviser pour régner» de la classe dirigeante américaine.

Finalement, les références de M. Johnson à «cet homme blanc» et à «l'homme blanc qui a écrit ceci» font clairement de lui un réactionnaire en politique. Répétons-le, ce type de langage – en changeant ce qu’il faut changer – est celui utilisé par Gobineau, Chamberlain, les Nazis, les suprémacistes blancs et ainsi de suite. La classe ouvrière américaine et internationale ne pourra s’unir et vaincre ses ennemis que si elle est immunisée contre toutes les formes de poison chauvin et nationaliste.

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