France : fin de l’état d’urgence, mais l’état policier reste

Le 1ᵉʳ novembre, près de deux ans après son imposition à la suite des attentats terroristes du 13 novembre 2015 à Paris, l’état d’urgence français a officiellement expiré. Ce fut de loin la plus longue période de suspension des droits démocratiques en France depuis que l’état d’urgence a été inscrit dans la loi et puis imposé en 1955, au milieu de la guerre d’indépendance algérienne contre la France.

Le passage de la date butoir du 1ᵉʳ novembre ne signifie cependant pas que les masses françaises peuvent désormais jouir en toute liberté des droits démocratiques et sociaux formellement garantis par la constitution de l’après-Seconde Guerre mondiale. Cela ne signifie même pas un retour aux conditions qui existaient avant les attentats terroristes de 2015 perpétrés par l’État islamique (ÉI) à Paris. Au contraire, il est de plus en plus clair que l’état d’urgence en France faisait partie d’un glissement politique fondamental et international de la classe capitaliste vers la dictature.

L’état d’urgence français s’est révélé être le premier d’une série d’attaques croissantes contre les droits démocratiques par les gouvernements de l’OTAN, ciblant de plus en plus directement l’opposition populaire à la guerre et à l’austérité. De l’autre côté des Pyrénées, Madrid impose l’article 155 de la constitution espagnole pour suspendre le gouvernement élu de la Catalogne et, après la répression brutale par la police lors du référendum sur l’indépendance catalane du 1ᵉʳ octobre, imposer un régime militaire direct dans la province.

Alors que l’état d’urgence expirait en France, les responsables américains des services de renseignement témoignaient devant le Congrès américain que les sociétés de médias sociaux censurent les opinions contestataires, qu’ils dénonçaient à la manière de McCarthy comme des outils de la subversion étrangère. « Nous devons tous agir maintenant, sur le champ de bataille des médias sociaux, pour réprimer les rébellions sur l’information qui peuvent rapidement conduire à des affrontements violents et faire facilement de nous des États-Divisés d’Amérique », a déclaré l’un d’eux.

En France, les hommes politiques et les médias se targuent de pouvoir réimposer l’état d’urgence à tout moment. Le ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, a déclaré : « Il se peut que nous devions le remettre en place, nous nous assurerons de pouvoir gérer les situations de crise. Si les choses devenaient dramatiques, nous pourrions revenir à l’état d’urgence. »

De plus, le président français Emmanuel Macron pousse à une attaque encore plus profonde contre les droits démocratiques que ce que fit l’état d’urgence il y a deux ans. Avant l’expiration de l’état d’urgence, il a instauré un état d’urgence permanent sous la forme d’une loi antiterroriste draconienne signée le 30 octobre. Celle-ci écarte de manière permanente des droits démocratiques fondamentaux et prolonge les pouvoirs de police les plus largement utilisés dans l’état d’urgence. Elle permet aux forces de sécurité :

  • D’effectuer des fouilles et des saisies arbitraires dans des domiciles privés ou dans toute zone déclarée « zone de sécurité » ;
  • D’imposer l’assignation à résidence et le contrôle électronique des individus pour une période maximale d’un an ;
  • D’effectuer des contrôles d’identité sans avoir à se justifier dans les zones frontalières, les gares et les aéroports dans lesquels vivent les deux tiers de la population française ;
  • De collecter et stocker toutes les données électroniques, téléphoniques et par e-mail de toute personne qui, selon la police, pourrait être liée dans le présent ou l’avenir à un « crime grave ». 

La loi institue également des restrictions draconiennes à la liberté de conscience et d’expression. Elle permet à l’État de licencier les travailleurs du secteur public dont les convictions sont déclarées « incompatibles » avec leurs devoirs. Elle permet également aux forces de sécurité de fermer tout lieu de culte dont les « idées ou théories » sont considérées comme incitant au terrorisme, à la haine ou à la discrimination.

Deux ans après l’instauration de l’état d’urgence, il est impossible de prétendre qu’il s’agissait simplement d’une réaction aux attentats de l’ÉI, comme les atrocités du 7 janvier et du 13 novembre 2015 à Paris, dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme ». Au contraire, c’était la réponse de la classe dirigeante à une crise mortelle du capitalisme. Elle a utilisé ces attaques pour réagir à l’escalade des tensions de classe durant le quart de siècle de guerres impérialistes et d’austérité sociale qui a suivi la dissolution stalinienne de l’Union soviétique en 1991 par un tournant vers la dictature et la légitimation du néo-fascisme.

Les cibles principales de l’état d’urgence n’étaient pas les réseaux islamistes qui ont mené les attentats de 2015. Il visait plutôt à terroriser les banlieues ouvrières en France et l’opposition populaire à des assauts toujours plus profonds de la part de l’Union européenne (UE) et de la classe dirigeante française sur les droits sociaux fondamentaux.

Pendant l’état d’urgence, il y a eu plus de 4300 fouilles et saisies extrajudiciaires et plus de 750 personnes ont été assignées à résidence, un peu moins de 1000 dossiers judiciaires ont été ouverts, 75 zones de sécurité ont été créées et 41 personnes sont toujours assignées à résidence en France. Cependant, l’état d’urgence a conduit à seulement 20 enquêtes portant sur des faites liés au terrorisme.

Ce nombre est dérisoire par rapport aux plus de 1700 combattants que les réseaux islamistes ont envoyés depuis la France vers la Syrie, sur un peu plus de 5000 européens qui se sont rendus en Syrie. La grande majorité de ceux qui passent par ces réseaux a longtemps bénéficié d’un soutien officiel tacite, alors que l’OTAN menait la guerre pour un changement de régime en Syrie. Les forces qui ont mené l’attentat du 7 janvier contre Charlie Hebdo et les attentats du 13 novembre ont pu planifier et mener ces attaques non pas parce qu’elles ont échappé à la détection, mais parce que les réseaux dont elles faisaient partie étaient protégés, parce qu’ils servaient cette politique de guerre.

Les deux attaques ont été préparées par des membres ou des associés bien connus du groupe des Buttes-Chaumont à Paris. C’est la cellule la plus célèbre d’Al-Qaïda en France, fondée par les vétérans de la guerre secrète de la CIA en Afghanistan contre l’URSS dans les années 1980 ; elle conserve des liens étroits avec Al-Qaïda dans la péninsule arabique et Al-Qaïda au Maghreb islamique et est étroitement surveillée par les services de renseignement français. Les deux frères Kouachi qui ont attaqué Charlie Hebdo, et Salim Benghalem, qui a aidé Abdelhamid Abaaoud à planifier les attentats du 13 novembre, étaient membres de cette cellule.

L’impérialisme français a réagi à ces attaques non pas en démantelant ces réseaux terroristes islamistes, mais en se servant des attentats pour pousser la politique loin vers la droite, dans un effondrement du vieux système politique français discrédité. Après les attentats terroristes de 2015, la dirigeante néo-fasciste Marine Le Pen a été invitée à plusieurs reprises au palais présidentiel de l’Élysée par le président de l’époque, François Hollande.

Le Pen est apparu comme une candidate présidentielle crédible dans des conditions où les informations sur les liens entre le renseignement et les assaillants islamistes étaient étouffées, et les magazines et les journaux mettaient faussement ces attentats sur le compte d’une guerre de religion qui, selon eux, était soutenue par une grande partie de la population française musulmane.

Un rôle clé a été joué par des groupes de pseudo-gauche comme le Nouveau Parti anticapitaliste. Après avoir soutenu la guerre en Syrie, ils se sont tus sur la complicité des services de sécurité avec les réseaux islamistes et ont implicitement soutenu la mascarade de la « guerre contre le terrorisme ». Alors que les deux principaux partis du système politique français de 1968, le Parti socialiste (PS) de Hollande, et les Républicains (LR) se sont effondrés, la pseudo-gauche a contribué à déplacer la politique bourgeoise française vers la droite.

Surtout, Hollande a profité de l’état d’urgence pour imposer les coupes sociales sans précédent exigées par les banques. Après une décennie d’austérité en Europe, la colère a explosé l’année dernière parmi la jeunesse et les sections de la classe ouvrière en France contre la Loi travail de François Hollande. L’état d’urgence a joué un rôle clé dans la répression policière violente contre les étudiants et les grévistes qui protestaient, et dans la création de conditions permettant à la bureaucratie syndicale d’endiguer les manifestations, après que le PS eût pris la décision sans précédent de les interdire.

Le recours de la classe dirigeante en France et dans d’autres pays à des mesures dictatoriales n’est cependant pas, en dernière analyse, un signe de force, mais d’une faiblesse désespérée. En faisant peser sur la classe ouvrière les dangers de la dictature et de la guerre à un point sans précédent depuis les années les plus sanglantes du XXᵉ siècle, la bourgeoisie révèle également la crise insoluble du régime capitaliste et fait exploser les mécanismes par lesquels elle contenait la lutte des classes.

La tâche du Parti de l’égalité socialiste et des autres sections du Comité international de la Quatrième Internationale est de donner une perspective révolutionnaire et socialiste aux luttes ouvrières qui se profilent à l’horizon pour défendre les droits sociaux et démocratiques fondamentaux.

(Article paru d’abord en anglais le 4 novembre 2017)

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