Le danger de l’éruption d’une guerre mondiale en Corée ébranle l’Europe

La réaction belliqueuse de Washington au dernier essai nucléaire du régime nord-coréen dimanche a mis le monde au bord d’une guerre mondiale qui submergerait rapidement l’Europe. Alors que les gouvernements européens dénoncent le régime nord-coréen à Pyongyang, Washington exige des actions agressives visant à renverser ce régime et provoquer une confrontation militaire avec ses voisins, la Russie et la Chine, qui pourrait provoquer une guerre nucléaire en Europe.

Selon l’ambassadrice américaine à l’ONU Nikki Haley, Pyongyang « veut la guerre », et Moscou et Beijing devraient couper leur commerce et leurs exportations de pétrole vers Pyonyang. Si cela se faisait, l’économie nord-coréenne s’effondrerait rapidement. Dans ce cas – ou si, après un refus russo-chinois, les Etats-Unis attaquaient la Corée du Nord – des troupes chinoises et russes dans leur pays et les forces américaines en Corée du Sud pourraient tous intervenir en Corée du Nord.

Interrogé sur la possibilité d’une intervention chinoise en Corée du Nord après une attaque américaine, le porte-parole du Ministère des Affaires Etrangères chinois Geng Shuang a refusé d’écarter cette possibilité. C’est « une question hypothétique à laquelle il est difficile de répondre », a-t-il dit, avant d’ajouter que ce n’était « pas sur la liste » de stratégies préférées par Beijing.

Sur fond de tensions explosives entre l’Otan et la Russie en Europe de l’Est depuis le putsch soutenu par l’Otan en 2014 à Kiev, l’Europe serait un théâtre du conflit que résulterait. Depuis lors, l’Otan a envoyé des dizaines de milliers de troupes en Europe de l’Est, près des frontières russes. De plus, selon le quotidien allemand Sueddeutsche Zeitung, Washington se prépare à dénoncer le traité de 1987 sur les armes nucléaires à moyenne portée afin de stationner davantage d’armes nucléaires en Europe pour menacer la Russie.

Le 5 septembre, les principales forces nucléaires stratégiques russes ont participé à des exercices majeurs de Tver, près de la frontière européenne, à Irkoutsk près de la Mongolie. « Onze régiments armés de missiles Topol, Topol-M et Yars patrouillent actuellement dans des zones de Tver a Irkoutsk. Un tiers d’entre elles participent à des manœuvres intensives », a déclaré le ministère de la Défense russie. « L’exercice se déroule sur 20 régions du pays. »

Au sommet BRICS (Brésil-Russie-Inde-Chine-Afrique du Sud) à Xiamen, le président russe Vladimir Poutine a dit qu’une agression contre la Corée du Nord risquerait de provoquer une guerre mondiale : « Attiser l’hystérie militaire dans de telles conditions, c’est insensé, c’est une impasse. Cela pourrait provoquer une catastrophe planétaire et une vaste perte de vies humaines. Hors le dialogue pacifique, il n’y a pas de solution de la crise nucléaire nord-coréenne. »

Poutine a indiqué que le programme nucléaire de Pyongyang est une tentative désespérée et téméraire de contrecarrer une attaque telle que la guerre américaine en Irak de 2003 ou la guerre de l’Otan en Libye en 2011, dans laquelle la France a joué un rôle-clé.

Il a dit, « Nous nous rappelons tous ce qui s’est passé avec l’Irak et Saddam Hosseïn. On a tué ses enfants, on a fusillé son petit-fils je crois, le pays a été détruit et Saddam Hosseïn pendu … On sait que ça s’est passé, les Nord-coréens se rappellent très bien ce qui s’est passé en Irak. Ils mangeront de l’herbe mais ils ne mettront pas fin à leur programme tant qu’ils ne se sentiront pas en sécurité. »

La crise coréenne est le produit d’un quart de siècle de guerres impérialistes menées par Washington et ses alliés européens depuis la dissolution de l’Union soviétique par la bureaucratie stalinienne en 1991. En rejoignant la Guerre du Golfe contre l’Irak cette année-là, les puissances européennes ont signalé qu’elles réagiraient aussi à la disparition de l’ennemi militaire soviétique en menant des guerres néocoloniales. Pyongyang a manifestement conclu que seule la possession d’un arsenal nucléaire lui donnera une certaine protection contre le danger de finir comme Saddam Hosseïn.

Les menaces de Washington contre la Corée du Nord dévoilent aussi les profondes divisions qui se développent entre Washington et ses « alliés européens ». Tout en dénonçant les essais nucléaires de Pyongyang, les puissances européennes ont refusé de donner un blanc-seing aux menaces de Trump contre la Corée du Nord. Elles maintiennent l’opposition à la politique américaine en Asie qu’elles ont développée lors du « pivot vers l’Asie » d’Obama, lancé en 2011, notamment en refusant en 2015 de boycotter la Banque asiatique pour l’investissement dans les infrastructures de Beijing.

A présent, tout en dénonçant Pyongyang, elles réclament des pourparlers pour désamorcer la crise coréenne. La chancelière allemande Angela Merkel et le président français Emmanuel Macron ont publié une déclaration conjointe qui dit : « La dernière provocation du dirigeant de Pyongyang atteint une nouvelle dimension … Le Conseil de Sécurité de l’ONU mais aussi l’Union européenne doivent agir immédiatement. La chancelière et le président ont exprimé leur soutien pour un renforcement des sanctions européennes contre la Corée du Nord. » Mais Merkel a déclaré au parlement allemand mardi qu’il n’y avait que des « solutions pacifiques, diplomatiques » à la crise.

De même, si Londres a exigé « des actions plus fermes pour forcer la Corée du Nord à abandonner cette activité dangereuse et déstabilisatrice », les porte-parole de la première ministre Theresa May ont proposé « d’intensifier les pressions et trouver une solution pacifique. … Au Royaume-Uni, on croit massivement que les moyens pacifiques et diplomatiques sont les meilleurs. »

La Suisse – où le président nord-coréen Kim Jong-Un a étudié, à Berne – tente une médiation. La présidente suisse Doris Leuthard a dit que les messages de Trump sur Twitter n’étaient pas « un outil adéquat » dans la diplomatie mondiale, et a déclaré : « Nous sommes prêts à offrir nos bons offices en tant que médiateurs. Je crois que dans les semaines à venir, beaucoup dépendra de comment les Etats-Unis et la Chine influenceront cette crise. C’est pourquoi je crois que la Suisse et la Suède peuvent jouer un rôle en coulisse. »

Ceci reflète non pas un désir de paix des bourgeoisies européennes, qui engagent toutes des escalades majeures de leurs efforts de défense, mais les rivalités croissantes entre l’impérialisme américain et européen. Depuis l’élection de Trump, après laquelle il a menacé les exportations d’automobiles allemandes d’une guerre commerciale, Merkel contacte régulièrement le président chinois Xi Jinping avant de rencontrer le président américain.

Dans les médias européens, on rencontre une large vague de commentaires critiques de la politique américaine en Corée, y compris certains qui exigent une réorientation stratégique de l’Europe.

La télévision allemande ZDF a interviewé le professeur Rüdiger Frank, un ex-citoyen de l’Allemagne de l’Est qui a étudié à Pyongyang, qui a dit qu’une « reconsidération radicale » était nécessaire. « Les sanctions les plus dures n’empêcheront pas la Corée du Nord de s’armer », a-t-il dit. Il a ajouté que Pyongyang avait pris « une décision stratégique » de continuer avec son programme nucléaire afin de forcer l’Administration Trump à négocier.

Frank a proposé d’entamer des pourparlers avec Pyongyang, sans lesquels on ne pourrait faire que de la « spéculation de café » sur ce qui se passerait. Il a réfuté l’idée que la Corée du Nord dirigeait le conflit : « Ils disent, si vous nous attaquez, par exemple si vous frappez notre chef, on réagira avec toutes nos armes, y compris nos armes nucléaires. Parce qu’ils savent assez bien en Corée du Nord que nous n’avons pas peur d’un million de fusils Kalachnikov. »

Quand Le Monde a interrogé Antoine Bondaz de la Fondation de Recherche Stratégique sur les commentaires de Trump sur Twitter à propos de la Corée du Nord, Bondaz a répondu : « ses sorties sont complètement contre-productives. Dire à la Corée du Nord qu’on peut la rayer de la carte en utilisant contre elle l’arme nucléaire, c’est légitimer en interne encore plus son programme. » Bondaz a proposé à l’Europe de « servir d’intermédiaire afin de faciliter le dialogue et d’éviter une escalade militaire qui aurait un impact dramatique pour les intérêts européens en Asie. »

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