Royaume-Uni: Le remaniement ministériel laisse le gouvernement May impuissant et divisé

Les médias britanniques sont obsédés depuis des jours par le remaniement ministériel de la première ministre Theresa May. Certains l'ont qualifié de «massif», et d'autres ont indiqué que cela allait «marquer son autorité» de chef en rendant la direction du parti moins «blanche, mâle et vieille».

Au lieu de cela, May a confirmé la faiblesse de son poste de première ministre en raison des conflits difficiles à résoudre sur la sortie de Grande-Bretagne de l’Union européenne (UE). Tant et si bien qu’au moins autant d’attention s’est portée sur la possibilité que le Parti travailliste, sous la direction de Jeremy Corbyn, puisse offrir un gouvernement alternatif qui renverserait ou du moins améliorerait l’impact du Brexit sur les fortunes économiques de l’impérialisme britannique.

Avant même les deux jours d’annonces de May, elle avait précisé que les changements envisagés – censés faire en sorte que les ministres plus favorables à un accord avec l’UE soient en meilleure position – ne pouvaient que se faire au prix d’un conflit ouvert avec l’aile pro-Brexit du parti.

May était contre le Brexit avant de devenir première ministre. Ce remaniement a été rendu nécessaire en partie par la perte d’alliés clés Damian Green, son vice-premier ministre, et le secrétaire à la Défense, Sir Michael Fallon, tous deux en raison d’allégations d’inconduite sexuelle. Green a été remplacé par le loyaliste de May, David Lidington. L’allié de May, Brandon Lewis, est devenu président du Parti conservateur.

Cependant, May a été contrainte de laisser des positions clés dans les mains des différentes fractions pro-Brexit: le ministre des Finances Philip Hammond et le ministre de l’Intérieur Amber Rudd, partisans d’un Brexit «doux» d’un côté, et les partisans d’un Brexit «dur», le ministre des Affaires étrangères Boris Johnson et le ministre du Brexit, David Davis, de l’autre.

Certains de ses autres changements de cabinet prévus se sont effondrés après que Jeremy Hunt, un ancien opposant du Brexit qui se présente maintenant comme un ardent critique de l’UE, a refusé de quitter son poste de secrétaire d’État à la santé. Son intransigeance, au cœur de la plus grave crise jamais vécue par le Service national de santé dont il est responsable, a été récompensée par un changement de titre: il est maintenant secrétaire à la santé et aux services sociaux.

Le sort heureux de Hunt contrastait avec celui de Justine Greening, qui a démissionné après avoir refusé de démissionner de son poste de secrétaire à l’éducation pour devenir secrétaire à l'emploi et aux retraites. May a adopté la ligne dure contre quelqu’un en faveur d'un «Brexit pragmatique» et qui représente une circonscription qui est massivement contre le Brexit.

Pour ce qui est de présenter un visage plus «représentatif», il y a maintenant plus de ministres provenant d’une élite éduquée dans des écoles privées que dans le cabinet original de May – 34 % par rapport à 30 % avant, tandis que le nombre de diplômés d’Oxford et de Cambridge a augmenté de 4 % pour atteindre 48 %.

Tandis que les sièges du cabinet étaient remaniés, la comparaison avec les chaises longues sur le Titanic a été soulignée par l’escalade de la crise à l’intérieur et à l’extérieur de Westminster au sujet du Brexit.

Les ministres du cabinet se sont entretenus lundi avec Dominic Grieve, le principal député conservateur en vue qui fait campagne contre le Brexit. Grieve va proposer des amendements au projet de loi sur le retrait de l’UE. Le but du cabinet est d’éviter une répétition de la défaite parlementaire de décembre due à une rébellion des députés conservateurs. Les modifications proposées comprennent la limitation de la portée des pouvoirs «Henri VIII», qui permettent de modifier les lois sans examen parlementaire complet, et une prolongation de trois mois après la date du Brexit, au cours de laquelle des poursuites en justice qui portent sur des violations présumées des principes généraux du droit européen peuvent être intentées.

Mercredi, Hammond et Davis se sont unis pour lancer un appel aux chefs d’entreprise allemands pour qu’ils soutiennent un accord commercial post-Brexit qui protégerait l’industrie britannique des services financiers – un accord sur mesure qui serait «le plus ambitieux au monde», couvrant «nos économies tout entières».

Mettant en garde contre une catastrophe financière pour l’Europe dans un article du Frankfurter Allgemeine, Hammond et Davis ont expliqué que «la contagion peut se propager d’une économie à l’autre si des garanties mondiales et régionales ne sont pas mises en place», surtout étant donné que la ville de Londres est la capitale financière de l’Europe. Ils ont souligné l'importance des intérêts économiques mutuels basés sur le commerce entre le Royaume-Uni et l’UE, d’une valeur de 750 milliards d’euros par an, et un quart des exportations européennes vers la Grande-Bretagne, d’une valeur de 113 milliards d’euros, venant d'Allemagne.

L’appel a été lancé en réponse à des notes envoyées par Bruxelles à 15 industries en novembre et décembre, mettant en garde contre «un trou noir réglementaire» si le Royaume-Uni quittait l’UE sans accord, ce qui a provoqué une colère de Davis. Le négociateur en chef du Brexit, Michel Barnier, a également publiquement insisté sur le fait qu’il n’y avait pas de place dans un accord commercial pour les services financiers y compris l’invention d’un «passeport» qui permettrait à Londres de faire des affaires dans le marché unique ou bien «un système d’équivalence généralisée» dont pourrait bénéficier le Royaume-Uni.

Les relations deviennent si tendues que May a été contrainte de repousser les demandes des extrémistes du Brexit pour la création d’un poste ministériel spécial pour superviser le Brexit sans un accord avec l’UE. Ses opposants ont exprimé leur consternation publiquement en même temps que la nouvelle ministre junior pour le Brexit, Suella Fernandes, dans son premier commentaire public, a pris la position qu’un Brexit sans accord serait «formidable» pour la Grande-Bretagne.

Avec l’impossibilité croissante de s’opposer au Brexit dans le cadre du Parti conservateur de May, l’offensive en cours visant à façonner le Parti travailliste en tant que leader d’un bloc parlementaire anti-Brexit s’intensifie.

Le mois dernier, Andrew Adonis, leader des blairistes, a démissionné de la Commission nationale des Infrastructures (NIC) de May, déclarant: «Le projet de loi de retrait de l’Union européenne est la pire législation que j'ai vue de ma vie. Il sera bientôt à la Chambre des Lords et je me sens obligé de m'y opposer sans répit avec le Parti travailliste.»

Pendant une interview dans l’Independent du 7 janvier, Adonis a exhorté Jeremy Corbyn à demander un deuxième référendum sur un accord final du Brexit, soulignant qu’il deviendrait «de plus en plus difficile» pour lui de rester «côte à côte» avec May «quand le niveau de vie des Britanniques ordinaires qui travaillent dur est saccagé».

Ses propos étaient destinés à renforcer l’intervention de son ancien premier ministre, Tony Blair, qui a également demandé au parti travailliste de proposer un deuxième référendum pour «faire du Brexit, le Brexit conservateur».

The Independent a cité une enquête YouGov pour le Daily Mirror et la campagne pro-UE, «Best of Britain», affirmant que huit membres travaillistes sur dix sont d’accord ou fortement d’accord pour un second vote et que près de 60 % des électeurs travaillistes changeraient d’allégeance si Corbyn appuyait la sortie de l'UE sans un vote.

Sur ce total, cependant, seulement 38 % sont complètement ou principalement contre le Brexit, tandis que 21 % le soutiennent. Un autre sondage récent a révélé que 87 % des 600.000 membres du Parti travailliste veulent rester dans le marché unique et l’union douanière de l’UE. Les divisions dans le pays sont beaucoup plus serrées: 51 % veulent rester dans l’UE, contre 41 % pour le Brexit et 10 % d'indécis.

Les blairistes ayant essuyé un revers majeur en raison de la bonne performance du Parti travailliste lors des élections générales de l’année dernière, Adonis a pris la peine d’affirmer: «À mesure que la position du gouvernement s’aggrave, l’alternative travailliste semble de plus en plus forte... Jeremy semble très bon comparé à ce gouvernement très peu impressionnant que nous avons en ce moment.»

Mais toutes ces professions de paix sont conditionnelles à ce que Corbyn continue d’accéder aux exigences de la droite comme: les armes nucléaires Trident, l’adhésion à l’OTAN, l’opposition aux rejets et bien d’autres choses.

Corbyn et ses principaux alliés tels que le chancelier fantôme, John McDonnell, ont jusqu’ici maintenu une position d’«ambiguïté constructive», insistant sur le fait que le parti partage la volonté de la City de Londres (l’industrie financière) et des entreprises d’avoir un accès négocié aux marchés de l’UE. Il a réitéré cette position lors d’une réunion à huis clos du Parti travailliste parlementaire lundi soir. L’adhésion au marché unique revenait à rester dans l’UE, et les gens ont voté pour quitter l’UE et donc le marché unique, a déclaré M. Corbyn.

Corbyn a également rejeté une invitation à assister à un «sommet» d'opposants à un Brexit «dur», impliquant des dirigeants et des députés du Parti national écossais, des démocrates libéraux, du nationaliste gallois Plaid Cymru et des Verts à la Chambre des communes. Le même soir, 40 députés travaillistes se sont rebellés lors d’un vote pour bloquer le projet de la loi cruciale sur la fiscalité du commerce transfrontalier qui prévoit accorder le pouvoir de percevoir des taxes sur les importations de l’UE après le Brexit au service des douanes et de l’accise de Sa Majesté.

(Article paru d’abord en anglais le 11 janvier 2018)

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