Perspectives

Démocrates et républicains votent un budget qui prépare les États-Unis à la guerre

Le projet de loi budgétaire bipartite adopté par le Congrès et signé par le président Trump vendredi matin marque une nouvelle étape dans la course de la classe dirigeante américaine à la contre-révolution sociale et à la domination militaire mondiale.

L’accord, qui est arrivé sur le bureau de Trump uniquement grâce au soutien des Démocrates du Congrès, exprime le caractère oligarchique de la société américaine. Derrière les accusations fractionnelles et les récriminations mutuelles entre les Démocrates, les Républicains et Trump, ce sont les grandes entreprises, les agences de renseignement et l’armée qui dictent la politique du gouvernement. Toutes les sections de l’aristocratie financière sont d’accord : les besoins sociaux désespérés des travailleurs doivent être subordonnés au profit privé et à la préparation de la machine militaire américaine pour une guerre majeure.

L’accord budgétaire prévoit 1400 milliards de dollars pour les militaires au cours des deux prochaines années, une augmentation de 13 pour cent par rapport à 2017 et de 7 pour cent de plus que ce que demandait la Maison-Blanche. Rien que l’augmentation d’une année sur l’autre – 80 milliards de dollars – est plus importante que les dépenses militaires annuelles totales de n’importe quel autre pays du monde à l’exception de la Chine.

Un montant supplémentaire de 71 milliards de dollars est prévu pour les opérations en cours à l’étranger, indiquant des plans pour poursuivre indéfiniment la guerre qui dure depuis 17 ans en Afghanistan et intensifier la guerre en Syrie, où les frappes aériennes et d’artillerie américaine ont tué plus de 100 soldats du gouvernement syrien mercredi.

En prévision de l’éventualité d’une intensification des opérations militaires américaines à l’étranger pouvant entraîner des conflits avec des puissances nucléaires tels que la Russie ou la Chine, ce budget fournit à l’armée les ressources nécessaires pour remplacer tout son arsenal nucléaire. Il met fin aux limites imposées aux dépenses militaires en 2013 dans le cadre d’un accord bipartite visant à plafonner les dépenses sociales nationales, ouvrant la voie à des augmentations encore plus astronomiques du financement du Pentagone.

Le rôle des Démocrates dans l’accord qui a permis de voter cette loi expose le caractère de droite de leur opposition à Trump. Ce sont les Démocrates qui ont assuré qu’il y aurait suffisamment de votes pour faire adopter le projet de loi dans les deux chambres du Congrès après qu’une fraction des Républicains opposée au déficit à la Chambre des représentants a annoncé son intention de voter contre. Au Sénat, les démocrates ont voté, par un rapport de quatre contre un, pour le projet de loi, en fournissant plus de « oui » et moins de votes « non » que les républicains. À la Chambre, 73 Démocrates ont voté pour l’accord. Sans leurs votes, une majorité importante aurait voté contre le projet de loi.

Après que les démocrates eurent sauvegardé le projet de loi sur le budget, Trump le signa, tweetant : « Je viens de signer la Loi. Nos militaires seront maintenant plus forts que jamais. » Le chef de la majorité au Sénat Démocrate, Charles Schumer, a fait écho à Trump en louant l’accord, affirmant qu’il « donne à nos forces combattantes les ressources dont elles ont besoin pour assurer la sécurité de notre pays ».

Dans un effort pour donner à ce budget de guerre un vernis démocratique, Schumer prétendait que cela augmentait les dépenses sociales. En réalité, la majeure partie des dépenses non militaires provient de l’expansion limitée de plusieurs programmes déjà existants, tels que le système du Centre de santé communautaire (CHC) et le Programme d’assurance maladie pour enfants (CHIP). Avant ce budget, 54 pour cent des dépenses discrétionnaires fédérales, à l’exception des régimes d’avantages sociaux comme l’assurance maladie et la sécurité sociale, étaient versées à l’armée. Maintenant, ce rapport va augmenter à 59 pour cent.

Une petite partie des nouvelles dépenses parviendra aux personnes dans le besoin. Par exemple, 2 maigres milliards de dollars seront mis à disposition pour réparer le réseau électrique à Porto Rico, où un tiers de la population reste sans électricité plus de quatre mois après l’ouragan Maria. En revanche, le projet de loi prévoit 2,3 milliards pour l’indemnisation de l’industrie des agrumes en Floride. Porto Rico a estimé que la réparation de son réseau coûterait 17 milliards de dollars.
Six milliards de dollars sont alloués à la crise des opioïdes, un facteur majeur de la baisse continue de l’espérance de vie aux États-Unis. C’est beaucoup moins que les 45 milliards de dollars proposés dans le débat sur les soins de santé du Congrès en 2017, que les principaux partisans d’un grand effort en ce sens ont qualifié de « terriblement, terriblement insuffisant ».

Une grande partie des 6 milliards de dollars servira à armer la police et à poursuivre les usagers de drogues. Un responsable anonyme de la Maison-Blanche a déclaré jeudi à CNN que les dépenses sur les opioïdes « sont une question d’application de la loi. » Jeudi, le procureur général Jeff Sessions a blâmé les victimes de la crise des opioïdes, qui a tué 63 000 personnes en 2016. « Bien entendu, les gens ont besoin de prendre de l’aspirine parfois », a déclaré Sessions en concluant : « Il faut Tenir bon. »

L’accord budgétaire prévoit seulement 20 milliards de dollars pour les dépenses d’infrastructure. Selon la Federal Highway Administration, 328 milliards de dollars sont nécessaires rien que pour réparer les ponts qui s’effondrent aux États-Unis.

En plus de la réduction d’impôt de plusieurs milliards de dollars pour les riches adoptée en décembre, à laquelle les Démocrates ne se sont jamais sérieusement opposés, l’augmentation massive des dépenses militaires amènera le déficit budgétaire fédéral à 1000 milliards de dollars ou plus pour les années à venir. La volonté d’utiliser l’augmentation résultante de la dette américaine comme justification du démantèlement des principaux programmes sociaux issus des années 1930 et 1960 – Sécurité sociale, Medicare et Medicaid – a déjà commencé.

Lors de sa conférence de presse hebdomadaire, le président républicain de la Chambre, Paul Ryan, a réitéré son engagement à mener une guerre contre ces programmes d’allocations sociales. « L’armée n’est pas la raison pour laquelle nous avons des problèmes fiscaux. [La raison] c’est les programmes sociaux », a-t-il déclaré.

Après avoir signé le projet de loi vendredi, Trump a déclaré que les dépenses sociales dans l’accord étaient du « gaspillage ». Il a ajouté que « les coûts sur les lignes non militaires ne baisseront jamais si nous n’élisons pas plus de Républicains aux élections de 2018 et au-delà. »

Le point le plus cynique du théâtre politique entourant l’adoption du projet de loi était le discours de huit heures de Nancy Pelosi, chef de la minorité démocrate, qui lisait les histoires de jeunes sans-papiers, amenés aux États-Unis lorsqu’ils étaient enfants, dans le cadre du programme d’action différée pour les arrivées d’enfants (DACA). Le projet de loi ne prévoit aucune protection pour les 800 000 bénéficiaires du DACA qui risquent d’être expulsés à partir du 5 mars, date d’expiration du programme DACA.

Le coup de Pelosi, qui intervenait après l’annonce d’un accord budgétaire bipartite au Sénat, était une tentative très travaillée de fournir une couverture politique au Parti démocrate, qui avait déjà accepté en coulisse de fournir les voix nécessaires pour adopter la mesure à la Chambre. De manière typique, un certain nombre de démocrates ont été autorisés à voter « non », sans que leur nombre ne représente un danger pour ce budget, pour préserver leur étiquette de « progressiste » pour les futures élections.

Les Démocrates n’ont que du dédain pour ceux qui tentent de faire pression sur eux depuis la gauche. Le sénateur Sherrod Brown de l’Ohio a dit des électeurs qui l’ont appelé à voter contre l’accord budgétaire, « si l’on sous-entend que je sois effrayé par eux ou bien qu’ils influencent mes votes, la réponse est bien sûr : non. »

L’adoption du projet de loi d’exécution du budget montre le caractère social et le rôle politique du Parti démocrate. C’est autant un parti pro-guerre, pro-entreprise que son homologue Républicain. Il partage les objectifs de l’Administration Trump d’accroître la « sécurité frontalière », de réduire les impôts des riches, de stimuler les bénéfices des entreprises et de préparer les militaires à la guerre totale, avec sa composante domestique de répression interne.

Les principales divergences du Parti démocrate avec Trump sont de caractère droitier, visant principalement à forcer Trump à adopter une politique plus belliqueuse contre la Russie en Europe de l’Est et au Moyen-Orient. L’hystérie inspirée par le Parti démocrate contre « l’ingérence russe », y compris l’enquête Mueller cousue de fil blanc sur la complicité de Trump avec les Russes, est un élément central de cette campagne. Il s’accompagne de la campagne réactionnaire contre les « fausses nouvelles » sur les médias sociaux, visant à créer un cadre pour la censure sur Internet et une attaque croissante contre la liberté d’expression.

Dans la classe ouvrière, il y a une large opposition d’un tout autre caractère, fondée sur la colère contre la pauvreté, l’inégalité sociale, la violence policière, l’eau empoisonnée, les dettes étudiantes, les coûts de la santé et la peur de la déportation. Il faut réveiller cet énorme pouvoir social latent et lui donner une direction socialiste indépendante. C’est seulement sur cette base que les plans de guerre catastrophiques de l’impérialisme américain peuvent être stoppés.

(Article paru d’abord en anglais le 10 février 2018)

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