L’élite dirigeante française appelle à la guerre en Syrie au milieu des menaces américano-britanniques contre la Russie

Alors que la Première ministre britannique, Theresa May, décide de rompre les relations avec la Russie après l’empoisonnement mystérieux de l’ancien espion britannique, Sergei Skripal, un débat sur la politique de guerre éclate au sein de l’élite dirigeante française.

Ce débat constitue un avertissement pour les jeunes et les travailleurs en France et à l’international. Alors que le président français, Emmanuel Macron, réclame le retour de la conscription, l’OTAN crée des conditions propices aux guerres dans lesquelles de grandes armées de conscrits pourraient être déployées. Et comme le montrent les menaces de May, les événements mènent non seulement à la guerre au Moyen-Orient, mais aussi à un affrontement avec un adversaire nucléaire, la Russie.

Le débat en France souligne également les problèmes politiques qui se cachent derrière la décision de May de faire monter la pression sur la Russie avant toute enquête sérieuse sur l’affaire Skripal. Derrière la ruée vers le jugement dans cette affaire encore non clarifiée, de puissantes factions de la classe dirigeante européenne travaillent sur la façon de provoquer une escalade militaire visant la Russie, la Turquie et la Syrie.

Le premier signal est venu lundi soir de l’ex-président François Hollande, qui avait réclamé une guerre de l’OTAN avec la Syrie en 2013 malgré l’opposition russe, avant de faire une marche en arrière humiliante après que Washington a décidé de ne pas attaquer. Ayant abandonné la vie publique l’année dernière, après avoir pris la décision sans précédent de ne pas se faire réélire en raison de son impopularité, il est sorti de sa retraite pour appeler à la guerre dans Le Monde.

Hollande a présenté une liste impressionnante de cibles. Critiquant sans le dire la politique de Macron, il a mis en garde contre la Russie et ses liens avec la Turquie et la Syrie: «La Russie se réarme depuis plusieurs années, et si elle est menaçante, elle doit être menacée. En permettant à Ankara de bombarder nos alliés kurdes en Syrie, Moscou encourage aussi la division de l’OTAN… Il y a à peine un an [le président russe] Vladimir Poutine ne trouvait pas de mots assez durs pour le président turc Recep Tayyip Erdogan. Maintenant, ces deux pays ont convenu d'une partition de la Syrie».

Hollande a souligné que ce qui est en jeu n'est pas seulement la Syrie, mais l'ordre mondial et la position de l'impérialisme français: «La question est de savoir comment répondre à Vladimir Poutine, et non comment répondre au président syrien Bachar al-Assad… Il faut que l’Occident se rende compte de ce qu’est le danger». Hollande a ajouté que «parler à Poutine» ne devrait pas signifier «le laisser avancer ses pions sans réagir», et que puisque Trump est imprévisible, «c’est donc à la France, à l’Europe, à l’OTAN de se mettre en mouvement».

Au-delà de la Russie, il a appelé à la mise en place de zones d’exclusion aérienne en Syrie contre les avions syriens et turcs à Ghouta et Afrin – c’est-à-dire les abattre s’ils se trouvaient dans ces zones – demandant «quel type d’alliée est la Turquie à lancer des frappes contre nos propres alliés»? Ciblant Macron, il a ajouté: «Si je soutenais les Kurdes dans le contexte de notre coalition, ce n’est pas pour les laisser dans leur situation actuelle. Si j’étais très dur avec le régime de Bachar al-Assad et que j’étais constamment dur, ce n’était pas pour le laisser liquider l’opposition politique et massacrer son propre peuple».

Les commentaires de Hollande ont suscité une réplique amère de Macron défendant son bilan depuis son élection: «Depuis mai dernier, la France a poursuivi une politique consistante et cohérente, sans être complice, mais en essayant d’être efficace, en restaurant le dialogue. Ces dernières années en Syrie, l’absence de dialogue complet avec la Russie nous a-t-elle permis de progresser davantage?»

Sans nommer Hollande, Macron l’a attaqué pour avoir appelé à déployer des troupes sur le terrain quand Hollande ne l’a pas fait lui-même en 2013: «Il faut être clair, la France n’interviendra pas militairement sur le terrain en Syrie. Je le dis très fermement. Et je crois que certaines personnes qui donnent des leçons aujourd’hui ont pris les mêmes décisions».

Néanmoins, Macron se retrouva bientôt face à un avocat de la confrontation avec la Turquie dans son propre cabinet. Le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, qui était ministre de la Défense de Hollande, a critiqué l’intervention de la Turquie à Afrin, déclarant: «La lutte contre l’État islamique est la principale raison de notre intervention militaire au Levant. C’est une priorité de sécurité nationale, et nous craignons que l’action turque là-bas finisse par affaiblir la pression sur les forces restantes de l’EI en Syrie».

Et le Journal du Dimanche a réclamé une «réponse européenne» à l’affaire Skripal, appelant l’Union européenne (UE) à adopter la ligne de Londres contre Moscou. Paris et Berlin, a écrit le JDD, «dialoguent plutôt franchement» avec Vladimir Poutine et «ne peuvent se permettre de rester silencieux». Le journal a soutenu qu’il «ne faut pas laisser la Russie enfoncer davantage de coins au sein de l’Union face à ce genre de comportement. L’Italie, la Grèce, la Hongrie et d’autres petits pays sont courtisés par Moscou pour être plus indulgents. Si l’Europe veut se défendre, et pas seulement sur le plan de la défense cyber ou énergétique, il faut qu’elle le fasse dans l’unité».

Une bataille acharnée fait rage dans l'élite dirigeante. Avant-hier, l'ex-Premier ministre de droite Jean-Pierre Raffarin a critiqué May et mis en garde contre le risque d'escalade militaire.

Il a dit: «Je trouve que madame Theresa May est allée trop fort dans cette réaction, avant d’avoir les résultats de l’enquête, avant d’avoir des éléments très précis pour pouvoir mettre en accusation fermement... Quand madame Theresa May va faire appel à l’opinion publique anglaise pour l’alerter, pour dire: "Si l’on est attaqué on va riposter", naturellement les Russes répondront: "Si vous ripostez, on ripostera à la riposte". Ça s’appelle l’escalade, et c’est ça qui est dangereux».

Les jeunes et les travailleurs doivent être mis en garde: aucun des politiciens dans ce débat ne veut la paix. Tous sont prêts à envoyer des masses de gens se battre à l’étranger. Macron appelle à un retour à la conscription et à une intensification de la guerre au Mali; en tant que Premier ministre, Raffarin a supervisé les premières étapes de l’intervention de la France en Côte d’Ivoire et sa participation à l’occupation de l’Afghanistan par l’OTAN. Ils ne sont pas en désaccord sur le fait de mener des guerres impérialistes, mais sur la meilleure stratégie pour les mener.

Le débat reflète les conflits amers entre Washington et l’UE à propos des menaces américaines de guerre commerciale contre les produits de l’UE et des plans pour une armée de l’UE indépendante de l’OTAN et de Washington.

Les critiques de Hollande reflètent les vues des sections de la classe dirigeante qui craignent que le plan de Macron pour un axe franco-allemand à la tête de l’UE ne soit mal reçu par des alliés comme la Grande-Bretagne et les États-Unis. Macron parle pour ceux qui jugent dangereuse la politique américaine contre la Russie, y compris la menace d’armer les milices ukrainiennes pour attaquer les forces soutenues par la Russie dans l’est de l’Ukraine, et pensent que l’UE doit être capable de prendre des mesures militaires indépendantes.

Les obstacles aux projets de Macron pour un axe Berlin-Paris sont nombreux. On pourra en juger plus tard cette semaine, lorsque les responsables du gouvernement de la Grande coalition nouvellement installée en Allemagne visiteront Paris pour des discussions.

Macron a parlé hier à la Frankfurter Allgemeine Zeitung, appelant à l’aide de Berlin. «Si l’Allemagne ne bouge pas, une partie de mes plans sont condamnés à l’échec», a-t-il déclaré à la FAZ. «Nous dépendons totalement l’un de l’autre. Je ne crois pas une seconde qu’un projet européen puisse être couronné de succès sans ou contre l’Allemagne». Macron a également précisé qu’une UE dirigée par Berlin et Paris serait un bloc militariste, anti-réfugiés, déclarant: «Nous ne pouvons pas laisser entrer chaque année des centaines de milliers de migrants».

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