Accusations d’antisémitisme chez les travaillistes britanniques animées par un front de conservateurs et de blairistes

Le débat à la Chambre des communes le 17 avril sur l’antisémitisme a été préparé comme une attaque coordonnée contre le chef du parti travailliste Jeremy Corbyn par l’aile droite du parti, en alliance avec le gouvernement conservateur.

Après des semaines de dénonciation de quiconque soulève le caractère politiquement motivé de l’attaque contre Corbyn comme relevant de l’antisémitisme, les députés tories et blairistes se sont relayés pour le dépeindre comme un antisémite, sur fond d’une avalanche de calomnies, d’allégations non fondées, dont plusieurs incroyables, et de désinformation.

Son objectif politique a été souligné par le gouvernement qui a inscrit le débat à l’ordre du jour immédiatement après une motion sur les frappes aériennes menées par les États-Unis sur la Syrie et le refus de la première ministre Theresa May de convoquer le parlement à l’avance.

Quelque 54 députés travaillistes se sont abstenus lors d’un vote sur la proposition de Corbyn que le parlement « reprenne le contrôle » des affaires militaires en adoptant une loi sur les pouvoirs militaires exigeant que le gouvernement demande l’approbation du parlement avant de lancer une action militaire à l’étranger.

Ayant soutenu la campagne de guerre des conservateurs au Moyen-Orient, les blairistes ont continué dans cette voie en lançant une autre attaque brutale contre les partisans de Corbyn et contre la « gauche » plus largement.

En ouvrant le débat, Sajid Javid, secrétaire d’État aux communautés du gouvernement conservateur, a accusé Corbyn de faire preuve d’un « manque inquiétant d’autorité et de clarté morale » sur l’antisémitisme.

Il a affirmé qu’il y avait eu 1 346 « incidents » antisémites en Grande-Bretagne en 2017, le bilan le plus élevé enregistré, citant le Community Security Trust. C’est une organisation dont la direction et le financement ne sont ni transparents ni responsables, selon un chroniqueur de la Jewish Chronicle. Javid n’a fourni aucune information sur la nature, les sources ou la vérification de ces incidents. Il n’a pas non plus expliqué comment et pourquoi Corbyn devrait être tenu responsable de ces actes.

Il a ensuite attiré l’attention sur l’adoption en décembre 2016 par la Grande-Bretagne de la définition de l’antisémitisme de l’Alliance Internationale du Souvenir de l’Holocauste (IHRA). Cette redéfinition vise spécifiquement à assimiler la critique de l’État d’Israël, en particulier le traitement des Palestiniens, avec l’antisémitisme.

Ciblant les positions antisionistes de la gauche, Javid a déclaré que les critiques du gouvernement israélien étaient tout simplement « un masque pour un sentiment anti-juif et raciste ».

Cela a ouvert la voie pour que plusieurs députés puissent se concentrer sur le soutien de Corbyn aux Palestiniens et ses apparitions sur des tribunes avec des orateurs des groupes islamistes nationalistes bourgeois, le Hamas palestinien et le Hezbollah libanais, où il a exhorté à un règlement négocié. Ceci a été utilisé comme preuve de l’antisémitisme de Corbyn.

Le député travailliste John Mann, président du Groupe parlementaire multipartite contre l’antisémitisme, a utilisé le privilège parlementaire pour accuser le groupe Momentum, pro-Corbyn, d’être impliqué dans une campagne contre sa famille. Ce groupe, a-t-il dit, ciblait explicitement les membres juifs du Parti travailliste parlementaire en tant que juifs et impliquait qu’il était responsable du fait que sa femme ait reçu un « oiseau mort par la poste » d’un « marxiste antisémite travailliste » et ait été « menacée de viol » par un autre « antisémite de gauche ». Il n’a présenté aucune preuve de ses graves allégations. Il est à noter que le fondateur de Momentum, Jon Lansman, est juif.

Roger Dyas-Elliott a reçu une ordonnance restrictive pour avoir envoyé l’oiseau mort à l’épouse de Mann en 2012, trois ans avant la création de Momentum et avant la première candidature de Corbyn à la direction du parti travailliste. Selon le Worksop Guardian, « Dyas-Elliot a dit qu’il avait envoyé le colis parce qu’il était “amer” après que sa demande de se présenter comme conseiller travailliste eut été refusée par le Comité de sélection des candidats de Bassetlaw [qui comprenait l’épouse de Mann] en raison de son « apparence négligée" ».

Il n’est pas établi que des accusations ont été portées contre une personne identifiée pour la menace de viol.

La députée travailliste Luciana Berger a rapporté qu’elle avait subi un torrent d’abus antisémites depuis qu’elle était étudiante. Mais elle a dû reconnaître que les quatre personnes condamnées depuis 2013 pour abus et harcèlement antisémites dirigés contre elle, dont trois ont été emprisonnées, venaient de l’extrême droite.

Les députés conservateurs n’ont cessé de citer les opposants blairistes de Corbyn pour leur « position courageuse » contre l’antisémitisme travailliste. Les dénonciations de Corbyn ont été si virulentes que le vice-président du parlement qui présidait le débat s’est vu obligé de réprimander le conservateur Andrew Percy pour avoir fait référence à Corbyn directement avec le mot « vous », au mépris du protocole.

Corbyn est resté assis au cours d’une grande partie de cette diatribe, mais a donné le droit de réponse à Diane Abbott, la ministre de l’intérieur du cabinet fantôme. Abbott a affirmé dûment que les discours contre le Parti travailliste et Corbyn ne dissimulaient pas de motif politique plus large et a déclaré que le parti faisait tout son possible pour éradiquer l’antisémitisme.

Cette dérobade devant une cabale de droite n’a rien donné, car Abbott a été chahutée à tel point que le vice-président a dû à plusieurs reprises intervenir pour défendre son droit à la parole.

La ministre de l’intérieur Amber Rudd a conclu le débat en affirmant que les discours « n’étaient en aucune façon anti-travaillistes », en ajoutant des mots dégoulinants d’hypocrisie, « Le parti travailliste est un parti noble et honorable et il n’aurait absolument pas fallu que ce coin de l’antisémitisme ait été autorisé à prospérer. [Corbyn] a l’obligation d’agir. Nous n’en attendons rien de moins. »

Personne ne devinerait que ce parti apparemment férocement antisémite a organisé une élection pour sa direction en 2010 entre deux personnes d’origine juive.

Ces députés voudraient faire croire que les Juifs britanniques font face à une situation semblable à l’Allemagne hitlérienne, quand en effet, selon les sondages, l’antisémitisme en Grande-Bretagne est resté constamment autour de 7 %, parmi les plus bas d’Europe.

En 2016, Corbyn a commandé un rapport sur l’antisémitisme présidé par Shami Chakrabarti, un avocat des droits de l’homme et ancien directeur de l’organisation de défense des droits humains Liberty, qui a conclu sans surprise que le Parti travailliste n’était « pas envahi par l’antisémitisme, l’islamophobie ou d’autres formes de racisme. "

Lors de la conférence annuelle du Parti travailliste en septembre dernier, les délégués ont soutenu une résolution qui définissait l’antisémitisme et d’autres formes de discrimination comme une « conduite préjudiciable au parti ».

Les accusations d’antisémitisme sont une couverture pour le véritable agenda politique des adversaires de Corbyn :

  • Faire virer la politique étrangère du Parti travailliste encore plus vers la droite, en accord avec la politique agressive de Trump au Moyen-Orient, visant le régime d’Assad en Syrie et ses soutiens, la Russie et l’Iran, dans laquelle Israël joue un rôle clé.
  • Criminaliser la gauche en assimilant toute critique d’Israël à l’antisémitisme.
  • Faire avancer la campagne en cours pour discréditer Corbyn au profit des conservateurs dans l’espoir de le destituer de la direction du parti travailliste.

L’hypocrisie nauséabonde est incarnée par l’utilisation de balles réelles et de gaz lacrymogènes à maintes reprises contre des Palestiniens non armés à Gaza, qui protestent pour réclamer leur droit de retour dans leurs maisons ancestrales en Palestine d’où leurs parents et leurs grands-parents ont fui ou ont été chassés suite à la décision de l’ONU de partager la Palestine en 1947. L’armée israélienne a tué plus de 30 Palestiniens et grièvement blessé des centaines d’autres depuis le début des rassemblements de la Marche du retour qui ont commencé le 30 mars. Aucun des députés impliqués dans l’attaque de Corbyn n’a un mot à de critique de ce qui est, par définition, une attaque antisémite dirigée contre des hommes, des femmes et des enfants arabes.

La fureur antisémite survient quelques semaines avant les élections locales, où l’impopularité des conservateurs fait qu’ils risquent à perdre non seulement des quartiers marginaux comme Barnet, mais aussi, à la suite de l’incendie de Grenfell, des bastions traditionnels tels que Kensington, Chelsea et Wandsworth.

Les agresseurs de Corbyn se réfèrent constamment à des diatribes antisémites et à des menaces sur des médias sociaux d’origine inconnue et douteuse, qui confortent des demandes de censure d’Internet et des moyens de communication en ligne.

Pourtant, le dévouement de Corbyn à préserver « l’unité du parti travailliste », malgré ses décennies d’opposition à la guerre et au racisme sous toutes ses formes, et son soutien aux droits des Palestiniens, est tel qu’il est resté assis tranquillement tout le long du débat au lieu de le démasquer pour ce que c’était – une tentative flagrante de la part de scélérats de droite d’interdire toute opposition aux intérêts géostratégiques britanniques à l’étranger et à l’intérieur.

(Article paru en anglais le 24 avril 2018)

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