Le Jour du souvenir au Sri Lanka montre l'impasse du nationalisme tamoul

Le 18 mai, cinq mille personnes ont assisté à la commémoration du neuvième anniversaire du massacre perpétré par l’armée sri-lankaise à Mullivaikal. Ils ont pleuré le massacre impitoyable de plus de 40.000 Tamouls, parmi lesquels des civils, des combattants des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE) et toute la direction des LTTE par lequel s’est terminé une guerre civile sri-lankaise longue de 26 ans.

Ce qui éclipse cet événement, près d’une décennie après la fin de la guerre, ce sont les épreuves qui continuent à être endurées par la population du nord du Sri Lanka. La region est encore sous occupation militaire, les prisonniers politiques n’ont toujours pas été libérés et les capitalistes du Sri Lanka et de l’étranger la considèrent comme un havre sécurisé contrôlé par l’armée et les mesures d’austérité du FMI où trouver de la main-d’œuvre bon marché. Alors que les proches des victimes et les parents d’enfants enlevés par l’État portaient le deuil, l’armée a envoyé des agents du renseignement pour bloquer la distribution de nourriture et de boisson et harceler les personnes en deuil.

L’événement montre la banqueroute politique du nationalisme tamoul. Alors que le Parti de l’égalité socialiste (Sri Lanka) s’oppose sans relâche au régime de Colombo, luttant pour unir la classe ouvrière à travers le Sri Lanka et le sous-continent indien dans les luttes, les groupes nationalistes tamouls servent maintenant d’accessoires de Washington et de l’élite dirigeante de Colombo.

Il y a une large désaffection et une colère explosive dans le nord du Sri Lanka vis-à-vis de l’Alliance nationale tamoule (TNA) et du Conseil provincial du Nord (NPC) dirigé par la TNA et leur collaboration avec le gouvernement sri-lankais et l’impérialisme américain. Les dirigeants de la TNA, Mavai Senathirajah et Sritharan, ainsi que d’autres membres du Parlement de la NPC, ont été exclus de l’événement principal. Des manifestants ont formé une barrière humaine bloquant le chemin vers le podium des discours et ont exigé qu’ils quittent la manifestation immédiatement.

Le Syndicat des étudiants de l’Université de Jaffna s’est opposé à ce que le Conseil provincial du Nord (NPC) dirigé par la TNA soit seul à organiser l’événement. Mais, se joignant à l’événement, ils ont déclarés avoir « confiance » dans le ministre en chef de la province du Nord, C. Wigneswaran « en ce qui concerne le génocide et les aspirations politiques du peuple tamoul ». Wigneswaran avait été choisi parce qu’il était le seul orateur acceptable pour les participants, en raison de ses critiques occasionnelles de la TNA.

Toutefois, le discours de Wigneswaran fut l’écho fidèle de la TNA, qui collabore avec l’austérité du FMI et le « pivot vers l’Asie » de l’impérialisme américain visant à isoler la Chine, ce qu’il présenta cyniquement comme un moyen d’obtenir de l’aide de la « communauté internationale ».

Wigneswaran est resté silencieux sur le danger de guerre et le soutien de la TNA à l’austérité du FMI contre les travailleurs de tout le Sri Lanka — cinghalais, tamouls et musulmans. Il a critiqué les promesses non tenues de Colombo aux victimes de la guerre et son mépris pour les résolutions de l’ONU, et a présenté cinq propositions, dont trois étaient des appels à la « communauté internationale » pour intervenir et servir de médiateur avec Colombo.

Expliquant sa politique, il a déclaré : « Toute personne qui connaît l’histoire de cette île au cours des 70 dernières années est consciente que, sans la pression de la communauté internationale ou la pression politique interne, aucun gouvernement n’est prêt à avancer vers une solution politique pour la question nationale. J’ai ici l’audace d’appeler la communauté internationale à cette occasion à prendre la résolution d’exercer des pressions politiques sur notre gouvernement sri-lankais pour qu’elle l’oblige à s’acquitter de ses obligations ».

L’appel « audacieux » de Wigneswaran à la « communauté internationale » n’est qu’une impasse, et fait partie de la politique du nationalisme tamoul depuis l’indépendance formelle de l’île de la Grande-Bretagne il y a 70 ans. À cette époque, c’était la ligne de la bourgeoisie pro-britannique tamoule dans ses manœuvres parlementaires avec les partis bourgeois cinghalais.

Il y a des échos précis de cette politique dans le rôle de la TNA aujourd’hui. Après une opération de changement de régime soutenue par les États-Unis, le président Mathisha Sirisena a adopté en 2015 un programme visant à aligner le Sri Lanka sur le « pivot vers l’Asie » contre la Chine, la TNA a soutenu le régime Sirisena depuis les bancs de l’opposition. Elle a abandonné toute lutte pour la libération des prisonniers politiques tamouls et n’a organisé aucune opposition aux mesures d’austérité de Sirisena et du FMI malgré les protestations croissantes et l’opposition populaire. Elle s’est montrée très hostile aux droits démocratiques et à la classe ouvrière.

L’alternative historique à la banqueroute du nationalisme tamoul est l’internationalisme prolétarien du SEP. La perspective de la lutte armée par les nationalistes bourgeois tamouls a surgi dans les années 1970, en raison de la trahison pabliste du trotskysme par le Parti Lanka Sama Samaja (LSSP). Mais alors que le SEP et son prédécesseur, la Ligue Communiste Révolutionnaire (RCL), s’opposaient à la trahison du LSSP par la gauche, basée sur une défense du trotskysme et une lutte pour l’unité de la classe ouvrière, les nationalistes tamouls attaquèrent le LSSP par la droite.

Après l’indépendance, le LSSP avait gagné un large soutien dans les masses ouvrières et travailleuses, y compris parmi les Tamouls, malgré les attaques anticommunistes véhémentes des nationalistes tamouls. Mais en 1964, rompant avec le trotskysme et la perspective de la Révolution d’octobre, il entra dans le gouvernement bourgeois de Sirimavo Bandaranaike et continua à soutenir une constitution cinghalaise chauvine. C’était une capitulation devant la bourgeoisie et sa stratégie consistant à utiliser des attaques racistes et des appels pour tourner les travailleurs cinghalais, tamouls et musulmans les uns contre les autres.

Ce fut un coup terrible pour la classe ouvrière — ouvrant la voie aux staliniens, aux maoïstes et aux nationalistes bourgeois pour dominer dans la classe ouvrière de toute la région, y compris chez les Tamouls, et menant finalement à l’éclatement d’une guerre civile sanglante au Sri Lanka.

Dès le début, la stratégie militaire du LTTE visait à amener la « communauté internationale » à forcer Colombo à la table des négociations. Pendant un temps, avant la dissolution stalinienne de l’Union soviétique et l’ouverture de l’Inde au capital financer en 1991, des couches au sein du mouvement nationaliste tamoul pouvaient présenter cela comme une alliance « socialiste » avec des États progressistes.

Mais un quart de siècle après la dissolution de l’URSS et après une décennie de paix répressive, l’orientation pro-capitaliste et pro-impérialiste du nationalisme tamoul ne peut plus être dissimulée. Chaque visite de l’ambassadeur américain ou des responsables navals américains à la TNA ou à Wigneswaran souligne le lien étroit entre la stratégie militaire américaine en Asie et les tentatives des nationalistes Tamouls d’exploiter la position stratégique du Sri Lanka sur les principales voies maritimes de l’Océan Indien.

La force motrice du nationalisme tamoul est l’intérêt de classe d’une couche minuscule de capitalistes tamouls. Wigneswaran l’a précisé dans une déclaration qu’il a publiée le lendemain de son discours. Il s’est plaint :« L’économie libérale de J.R. a créé des développements économiques et des opportunités énormes. De nombreux hommes d’affaires tamouls avaient l’intention de retourner au pays pour démarrer une affaire, mais que s’est-il passé ? »

J.R. Jayewardene, ayant remporté les élections de 1977, introduisit des réformes économiques pour promouvoir une « économie libérale », créant des zones de libre-échange qui faisaient des concessions substantielles aux capitaux internationaux et permettaient une exploitation illimitée de la classe ouvrière. Confrontés à une opposition massive des travailleurs, dont une grève massive du secteur public en 1980, le gouvernement Jayewardene et l’UNP ont organisé le pogrom de juillet 1983 contre les Tamouls. Cela a déclenché la guerre civile au Sri Lanka.

Revenant sur le bilan de Jayewardene, cependant, la principale plainte de Wigneswaran n’est pas sa politique d’attaques racistes contre les Tamouls, mais que les hommes d’affaires tamouls n’ont pas eu leur part des profits réalisés par Jayewardene en attaquant les travailleurs sri-lankais.

L’opposition populaire croissante à la TNA et au régime de Colombo confirme la justesse de la lutte de la RCL et de son successeur, le SEP, pour le trotskysme. La RCL-SEP a un bilan irréprochable de lutte pour les droits sociaux et démocratiques de toute la population, y compris la minorité tamoule. Au milieu de la désintégration politique de la TNA, le SEP réaffirme la théorie de la révolution permanente de Trotsky : les droits démocratiques des masses et les réformes agraires ne peuvent être accomplis que sous la direction de la classe ouvrière luttant pour le pouvoir dans une révolution socialiste internationale.

La sortie de l’impasse du nationalisme tamoul pour les travailleurs et les jeunes est la lutte pour construire le SEP et l’« International Youth and Students for Social Equality » (Étudiants et jeunes internationalistes pour l’égalité sociale — IYSSE).

(Article paru d’abord en anglais le 1 juin 2018)

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