Espagne : le gouvernement du Parti populaire tombe après un vote de censure

Le premier ministre Mariano Rajoy a perdu un vote de censure – 180 contre 169 et une abstention – au Parlement espagnol le 1er juin, conduisant à la chute de son gouvernement minoritaire du Parti populaire (PP). Le leader du Parti socialiste (PSOE) Pedro Sanchez est le nouveau Premier ministre.

La motion de censure déposée par le PSOE a été soutenue par la coalition des staliniens et du parti pseudo de gauche Unidos Podemos et les partis régionaux nationalistes dont La Gauche républicaine de Catalogne (ERC), le Parti européen démocratique catalan (pdecat), le Parti nationaliste basque (PNV) et EH Bildu, du Pays Basque, Compromis de Valence et le Parti nouveau des Iles Canaries.

C’est la première fois dans les 40 ans de régime démocratique depuis la fin du régime de Franco qu’un vote de censure réussit. Ce fait sans précédent est un signe de la crise profonde que connaît le pays. En 2011, le PP avait remporté une victoire écrasante aux élections générales avec 45% des voix et 186 sièges. Mais en octobre 2016, il avait dû, après 10 mois d'impasse, former un gouvernement minoritaire avec le soutien du parti néo-libéral de droite Ciudadanos (Citoyens) et l'abstention du PSOE. Aucun parti n'avait réussi à remporter une victoire absolue lors des élections de décembre 2015, ou de celles qui ont suivi, en juin 2016.

Le World Socialist Web Site écrivait alors qu'à la suite de l’accord pourri du PSOE: « Le nouveau gouvernement est le plus faible depuis la fin de la dictature franquiste dans les années 1970, et gouverne dans des conditions où les arrangements bipartites grâce auxquels le pouvoir alternait entre le PP de droite et le PSOE de «centre-gauche» depuis quatre décennies ont été entièrement démasqués par le programme d'austérité poursuivi par les deux partis ».

Aujourd'hui, les sondages donnent au PP environ 20% de soutien en raison de l'impact combiné de ses mesures d'austérité et de l'intervention répressive en Catalogne.

En réponse à la déclaration d'indépendance unilatérale d'octobre dernier par les partis séparatistes, catalans, Rajoy avait envoyé des milliers de policiers anti-émeute et pris l'initiative sans précédent d'utiliser l'article 155 de la Constitution espagnole pour destituer le président régional Carles Puigdemont et son gouvernement, et prendre le contrôle direct de la Catalogne.

Il comptait provoquer une vague de xénophobie populiste pour réaffirmer la position dominante de son parti. Mais cela s'est retourné contre lui ; il y eut une opposition substantielle de la classe ouvrière à son attaque, même si cette opposition n'a pu s’exprimer politiquement.

Les élections régionales que Rajoy a convoquées le 21 décembre ont été remportées par les partis séparatistes, tandis que le PP, obtenant seulement 4% des voix, a été éclipsé par le Parti des Citoyens en tant que principal défenseur de l'unité du pays.

Bien que Rajoy cherche l'extradition de Puigdemont et d'autres ministres ayant cherché refuge ailleurs en Europe et bien qu’en Catalogne des dizaines de militants continuent d’être arrêtés, sa stratégie est considérée de tous côtés comme un échec.

Ciudadanos représentant des sections franquistes de l'élite dirigeante qui exigent une épreuve de force décisive avec les séparatistes, on a persuadé le leader du PSOE, Sánchez, de rechercher un mode de travail avec les séparatistes afin de stabiliser le régime bourgeois et de se préparer à venir à bout de la classe ouvrière.

Sanchez a signalé sa volonté de s'engager dans un « dialogue » avec le gouvernement pro-indépendance de Catalogne, dirigé par le nouveau premier ministre régional, Quim Torra. « La Catalogne est un problème politique qui doit être résolu », a-t-il dit, tout en insistant sur le fait que toute négociation devait respecter la Constitution et « l'unité indissoluble de la nation espagnole ».

L'administration directe de la Catalogne par Madrid a pris fin hier, suite à la décision de Torra d'abandonner les tentatives de nommer des membres du cabinet de Puigdemont emprisonnés ou fugitifs dans son nouveau gouvernement. Une fois son cabinet assermenté, l'article 155 sera caduc.

Sanchez a également obtenu le soutien du PNV, de droite, dont les cinq voix, il y a une semaine, avaient maintenu Rajoy au pouvoir en acceptant son budget longtemps repoussé. En retour, Sánchez a déclaré qu'en honorant le budget de Rajoy, le PSOE donnerait au Pays Basque les 540 millions d'euros d'investissements y figurant. Il a également suggéré des réformes du système de financement régional.

Quelles que soient les concessions qu’on offrira aux séparatistes et malgré la rhétorique anti-austérité peu sincère, la classe ouvrière ne sera pas épargnée.

Sanchez a clairement fait savoir aux cercles dirigeants qu'il allait mettre en œuvre les propositions budgétaires du PP et que l'éviction de l'administration PP discréditée – utilisant le prétexte des condamnations prononcées contre des cadres du PP dans l'affaire de corruption Gürtel – était un moyen de poursuivre l'austérité et de supprimer le mécontentement social croissant.

C'est rendu d’autant plus nécessaire qu’il y a une montée significative de la lutte des classes – manifestée par les grèves d'Amazon, des aiguilleurs du ciel et du secteur de l'énergie – et de la contestation sociale comme le montrent les récentes manifestations contre l’attaque des retraites.

S'exprimant lors du débat sur la motion de censure, Sánchez a déclaré que son plan de gouvernement serait basé sur un maintien de la «stabilité institutionnelle, budgétaire, sociale et territoriale» avant de convoquer de nouvelles élections. Aux rugissements d'approbation du groupe PP, qui ont même surpris le chef du PSOE, Sanchez a insisté pour dire que son gouvernement «préserverait le budget général de l'État approuvé par cette Chambre».

Ce budget prévoit d'importantes augmentations des dépenses de l'armée, de la police et des services de renseignement, tandis que sont réduites d'autres dépenses publiques: 13% de moins pour la santé, 27% de moins pour la recherche et le développement technologique, 70% de moins pour l'accès au logement, 35% de moins pour la culture, 58% de moins pour les investissements dans l'infrastructure et zéro financement pour les projets de "mémoire historique" de la Guerre civile.

Podemos a joué le rôle politique clé dans l'accession au pouvoir du PSOE. Son leader, Pablo Iglesias, s'était positionné en tant que meneur de jeu en prônant un règlement politique en Catalogne l'année dernière tout en s'orientant loyalement vers le PSOE alors même que ce dernier soutenait pleinement la répression du PP. Iglesias a exhorté Sanchez à rechercher une «alliance progressiste» avec Podemos et les nationalistes.

Pendant le débat, Iglesias a déclaré: « Merci, Monsieur Sanchez, merci pour le ton d’abord, vous avez fait quelque chose de très courageux ... Vous honore aussi le fait que vous n'ayez pas soutenu le gouvernement PP. Je vous demande de parler de ce que [le leader du parti travailliste Jeremy] Corbyn propose au Royaume-Uni ou [Bernie] Sanders aux États-Unis ... Nous avons travaillé ensemble dans les gouvernements régionaux et les conseils municipaux et ça va bien. Je pense que ce que nous devons faire, c'est gagner les prochaines élections générales ensemble. »

Les affirmations selon lesquelles il y aurait quelque chose de progressiste à une telle alliance ont été réfutées presque immédiatement quand Sanchez a remercié Iglesias pour son soutien « généreux » de la motion « sans avoir négocié quoi que ce soit » – et quand il a fait sa première annonce: un engagement au budget PP auquel Podemos s'opposait! Rajoy a dit que Podemos devrait à présent « manger » le budget du PP avec des frites.

Le PSOE est maintenant à la tête d'un régime minoritaire instable, soutenu par Podemos et les séparatistes et qui se heurtera certainement à la classe ouvrière quand il voudra imposer ses mesures d'austérité radicales et impopulaires.

(Article paru en anglais le 2 juin 2018)

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