Un rapport d'Amnesty International trouve que les États-Unis sont coupables de crimes de guerre en Syrie

Selon des preuves recueillies et publiés dans un rapport mardi par le groupe de défense des droits de l'homme Amnesty International, les États-Unis ont commis des crimes de guerre durant le siège de quatre mois qu’ils ont fait de la ville syrienne de Raqqa l'an dernier,.

Le rapport porte le titre de « Guerre d'annihilation », reprenant la description même faite par le secrétaire américain à la Défense James Mattis des tactiques à employer pour la prise de la ville à l'État islamique (EI). Le rapport conclut que « l'impact sur les civils a été catastrophique».

« Il y a des preuves solides que les frappes aériennes et d'artillerie de la coalition [américaine] ont tué et blessé des milliers de civils, dont des attaques disproportionnées ou aveugles violant le droit humanitaire international et qui sont des crimes de guerre potentiels », a déclaré Amnesty International.

Alors que le Pentagone a utilisé des troupes par procuration au sol durant le siège, organisées dans les prétendues Forces syriennes démocratiques (FSD) et composées presque entièrement des milices YPG kurdes syriennes, leur avance n'a été rendue possible que par un bombardement implacable par des avions de guerre et des unités d'artillerie américains.

Le rapport d'Amnesty cite le sergent-major John Wayne Troxell, qui déclare: « En cinq mois, [les Marines américaines] ont tiré 30 000 obus d'artillerie sur des cibles de l'Etat islamique. ... Ils ont tiré plus de munitions en cinq mois à Raqqa, en Syrie, que tout autre bataillon de la marine ou de l'armée, depuis la guerre du Vietnam. ... Chaque minute de chaque heure, nous étions en train de tirer sur l'EI à Raqqa, que ce soit des mortiers, de l'artillerie, des roquettes, des missiles Hellfire, des drones armés, la totale ».

Utilisant des images de satellites et des témoignages directs, le rapport réfute de manière décisive l'affirmation du commandant des forces américaines pour l'opération, le général Stephen Townsend, selon qui l'offensive américaine sur Raqqa avait été « La campagne aérienne la plus précise de l'histoire. »

« Les affirmations de la Coalition selon lesquelles sa campagne aérienne de précision a permis de chasser l’EI de Raqqa en faisant très peu de victimes civiles, ne résistent pas à un examen minutieux », a déclaré Donatella Rovera, conseillère principale d'intervention de crise d'Amnesty International. « Sur le terrain à Raqqa, nous avons assisté à un niveau de destruction comparable à tout ce que nous avons vu sur des décennies dans notre couverture de l'impact des guerres . »

Les reportages provenant de Raqqa ont établi que jusqu'à 80% de la ville a été rasée, avec 11 000 bâtiments endommagés ou détruits. La population restante a été privée de nourriture, d'électricité ou d'eau courante et de moyens pour enlever les explosifs qui continuent encore de faire des morts ou les corps encore enterrés dans les décombres.

Les affirmations du général Townsend vont de pair avec celles publiées dans un rapport présenté par le Pentagone vendredi dernier au Congrès américain reconnaissant des « informations crédibles d'environ 499 civils tués et environ 169 civils blessés au cours de 2017 » par des opérations militaires américaines en Irak, en Syrie, en Afghanistan et auYémen.

Ce rapport, mandaté en vertu d'un décret signé par le président Barack Obama, devait être publié le 1er mai, mais il est sorti avec un mois de retard. Il est clairement absurde. La preuve fournie par Amnesty établit que le nombre de morts à Raqqa à lui seul, a dépassé de loin le nombre total de victimes fournies par le Pentagone. En outre, la destruction de la ville syrienne a suivi celle de Mossoul, centre urbain encore plus grand, en Irak, où un rapport des services de renseignement kurdes a estimé le nombre de morts à 40.000.

Le Pentagone n'a donné qu’un nombre total de 499 morts civils, ne fournissant aucune évaluation d’attaques individuelles pour aucun pays. Au lieu de cela, il a répété à n’en plus finir des affirmations que l'armée américaine se conformait aux « meilleures pratiques » et utilisait «des munitions de précision » dans ses campagnes de bombardement, tout en affirmant que «malheureusement, malgré tous les efforts des forces américaines, les victimes civiles sont une conséquence tragique mais inévitable parfois des opérations de combat ». Il poursuit en blâmant les adversaires pour ces pertes « qui utilisent les civils comme boucliers ».

Le rapport reconnaît que « plus de 450 signalements de victimes civiles de 2017 restaient encore à évaluer » et attribue la grande disparité entre les estimations du Pentagone et celles de victimes civiles bien plus élevées des groupes de surveillance défense et de droits de l'homme aux «différents types d'informations et différentes méthodes utilisés afin d'évaluer si des victimes civiles se sont produites. »

Comme le souligne le rapport d'Amnesty, les «méthodes» utilisées par le Pentagone comprennent l'absence de visites sur les sites des frappes aériennes américaines pour évaluer leur impact et le déni systématique de victimes civiles avant toute enquête.

En effet, avant qu’Amnesty ait même publié son rapport, un porte-parole de l'armée américaine, le colonel Sean Ryan, a publié une réfutation, invitant le directeur du groupe des droits de l'homme à «se rendre compte personnellement des efforts rigoureux et de la collecte de renseignements que la coalition fait avant toute frappe pour détruire avec efficacité le groupe EI en minimisant le mal causé aux populations civiles. » Le Colonel Ryan a décrit les comptes-rendus d'Amnesty de bombardements aveugles de cibles civiles comme « plus ou moins hypothétiques ».

Le rapport d'Amnesty était basé sur des visites de chercheurs sur les sites de 42 frappes aériennes américaines à travers la ville démolie de Raqqa et sur des entretiens avec 112 survivants qui avaient perdu des membres de leurs familles dans la campagne de bombardement.

Le rapport cite le cas de la famille Badran, dont 39 membres et 10 voisins sont morts au cours de quatre frappes américaines séparées alors qu'ils tentaient de fuir d'un endroit à l'autre à la recherche d'un abri contre les bombes.

Tout d'abord, neuf hommes de la famille ont été tués le 18 juillet 2017 dans une frappe aérienne, alors qu'ils tentaient désespérément de faire sortir leurs proches d'un quartier attaqué. Puis, le 20 août, les avions de guerre américains ont frappé deux maisons voisines où logeaient les membres survivants de la famille.

Rasha, qui a survécu à la frappe aérienne, mais a perdu sa fille de deux ans, Tulip, sous les bombes américaines, a déclaré à Amnesty: « Presque tout le monde a été tué. Seuls moi, mon mari et son frère et son cousin avons survécu. La frappe a eu lieu vers 19 heures. Je me suis évanouie et quand j'ai repris connaissance, j'ai entendu le cousin de mon mari, Mohammed, qui criait. Je ne pouvais ni bouger ni parler. Puis mon mari et son frère m'ont trouvée. Mon mari était le plus gravement blessé [des survivants] – il avait une blessure à la tête et le sang coulait de ses oreilles. Il faisait nuit et nous ne pouvions rien voir. Nous avons appelé mais personne d'autre n'a répondu; personne n'a bougé, Il y avait un silence complet sauf les avions qui tournaient au-dessus de nous. Nous nous sommes cachés dans les décombres jusqu'au matin parce que les avions tournaient au-dessus de nos têtes. Dans la matinée, nous avons trouvé le corps de Tulip; notre bébé était mort. Nous l'avons enterrée près d'un arbre ».

L'histoire de la famille Badran n'est qu’une des nombreuses histoires documentées dans le rapport.

Celui-ci attire aussi l'attention sur la poursuite des frappes aériennes contre Raqqa, alors que les Etats-Unis et leurs forces par procuration des Forces syriennes démocratiques négociaient un cessez-le-feu avec l’EI «dont les termes permettaient aux combattants de l'EI un passage sûr hors de la ville. »

Le rapport, qui confirme des reportages antérieurs de la BBC et d'autres agences de presse, déclare: « Dans le cadre de l'accord, un convoi de bus organisé par les FSD a emmené les combattants de l’EI et leurs familles hors de la ville vers les zones à l'est de Raqqa qui étaient encore sous contrôle de l’EI. A ce jour, la Coalition n'a pas expliqué pourquoi elle a continué à lancer des frappes qui ont tué tant de civils alors qu'un accord donnant l'impunité aux combattants de l'EI et le passage sûr de la ville était envisagé et négocié. De nombreux survivants des frappes de la Coalition interrogés par Amnesty International ont demandé pourquoi les forces de la Coalition avaient besoin de détruire une ville entière et de tuer tant de civils avec des bombardement ciblant prétendument les combattants de l’EI pour permettre ensuite à ces combattants de quitter la ville sains et saufs ».

L'accord conclu entre l'armée américaine et l'Etat islamique visait à promouvoir les intérêts stratégiques américains en Syrie, centrés sur la prise de contrôle des champs de pétrole et de gaz du pays, à l'est de l'Euphrate. Avec plus de 2 000 soldats américains des forces spéciales occupant toujours la région, l'objectif de Washington est de nier ces ressources au gouvernement de Damas afin d'empêcher la reconstruction du pays et de continuer une guerre de changement de régime qui dévaste la Syrie depuis 2011. En acheminant les combattants de l’EI vers l'est, le Pentagone a cherché à les utiliser pour bloquer l'avancée des forces gouvernementales syriennes cherchant à reprendre les réserves d'énergie du pays.

Bien que menée au nom d'une campagne contre l’EI, le véritable but de l'intervention américaine en Syrie est de poursuivre la poussée de l'impérialisme américain pour imposer sa domination sur un Moyen-Orient riche en pétrole et pour contrer l'influence des principaux obstacles à l'hégémonie régionale de Washington, l'Iran et la Russie.

Les mêmes médias américains qui ont fourni une couverture en continu aux allégations frauduleuses d'une attaque d'armes chimiques par le gouvernement syrien en avril dernier ont largement ignoré les dernières révélations des crimes de guerre américains à Raqqa, dont les victimes se comptent par milliers.

Derrière ce silence coupable se cachent des inquiétudes au sein de l'armée et des services de renseignement américains concernant le sentiment anti-guerre croissant dans la grande majorité de la population américaine, et mondiale, alors même que Washington se prépare à des guerres bien plus sanglantes encore.

(Article paru en anglais le 6 juin 2018)

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