Québec: Une grève des grutiers paralyse d’importants chantiers de construction

Malgré les menaces du gouvernement, une campagne frénétique des médias et les appels des syndicats de retour au travail, les grutiers du Québec ont poursuivi leur grève «illégale» durant le week-end. Depuis plus d’une semaine maintenant, de grands chantiers de construction sont paralysés à travers la province par l’arrêt de travail de quelque 1500 grutiers qui protestent contre les récents changements apportés aux règles touchant la formation de leur métier.

Le gouvernement libéral du Québec a rapidement indiqué qu’une grève dans la construction, «irresponsable et inacceptable», ne serait pas tolérée et qu’il appuierait la Commission de la construction du Québec (CCQ) – le chien de garde de l’industrie – en mobilisant l’appareil de répression étatique pour casser toute opposition des travailleurs.

L’absence de grutiers sur les chantiers a ralenti ou carrément paralysé plusieurs grands projets de construction la semaine dernière, dont celui du mégahôpital du CHU de Québec et de l’échangeur Turcot à Montréal. Les grutiers travaillant sur le pont Champlain, reliant Montréal à sa banlieue sud, avaient déjà refusé d’entrer au travail la semaine précédente.

Dès mardi, le premier ministre Philippe Couillard sommait les grutiers de retourner au travail en les menaçant de sanctions. Vendredi, alors que les grutiers continuaient de faire grève, le premier ministre a adopté un ton encore plus agressif: «Le gouvernement sera très ferme, très ferme dans l’application des lois. (Les sanctions) vont s’appliquer, ça va coûter très cher.»

Le même jour, la direction juridique du Ministère des Transports a envoyé une mise en demeure aux quatre syndicats représentant les grutiers pour leur réclamer «tout dommage» généré par la grève. « Vos actions causent inévitablement des coûts supplémentaires de plusieurs millions de dollars. Le Ministère n'entend pas assumer ces coûts ou refiler la facture aux contribuables» était-il écrit dans une missive de deux pages.

Jeudi, le Tribunal administratif du travail a accueilli la demande d'ordonnance provisoire déposée par la CCQ et enjoint les grutiers à «offrir immédiatement leur prestation normale et habituelle de travail». Dans un communiqué, la CCQ a rappelé que les personnes qui défieraient l’ordonnance seraient passibles d’outrage au tribunal et s’exposent à «des amendes de 10.000 $, ou 100.000 $ pour une personne morale, et même une peine d’emprisonnement».

Plus tôt cette semaine, la présidente de la CCQ Diane Lemieux a indiqué que la Commission s'apprêtait à poursuivre 150 individus en justice en lien avec les débrayages et menaçait d’en poursuivre des centaines d’autres. «Ça, c’est juste pour les deux premiers jours de grève. Faites une règle de trois», avait-elle déclaré en entrevue.

Les syndicats touchés par l’ordonnance, y compris la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ) et le Conseil provincial du Québec des métiers de la construction, ont rapidement obéi aux exigences du tribunal et ordonné à leurs membres de retourner sur les chantiers. Apparemment, les grutiers ont décidé de défier l’ordre de retour au travail et les demandes des syndicats. Selon les inspecteurs de la CCQ, il n’y a toujours aucun grutier sur les chantiers touchés.

La grève est jugée illégale, car elle prend place durant la période de la «convention collective» 2017-2021. En fait, il n’y a jamais eu de véritables conventions négociées «librement», le gouvernement étant intervenu pour criminaliser la dernière grève de la construction de 175.000 travailleurs en mai 2017. Sous la menace de l’arbitrage, certaines conventions collectives avaient été acceptées par les syndicats, mais d’autres ont été imposées par l’arbitre désigné du gouvernement.

La grève est motivée par une opposition aux nouvelles règles exigées par les patrons de l’industrie et adoptées par le gouvernement libéral en mai dernier. Mais plus fondamentalement, elle exprime la colère grandissante parmi les ouvriers de la construction qui fois après fois se sont fait imposer des reculs dans leurs conditions de travail et ont vu leur droit de grève bafoué.

Au même moment, les grandes compagnies et leurs dirigeants empochent des profits monstres.

Dans le cas des grutiers, les nouvelles mesures vont permettre aux compagnies de donner elles-mêmes une formation de grutier de 150 heures, faisant en sorte que les apprentis grutiers ne seront plus dans l’obligation de compléter le diplôme d’études professionnelles (DEP) de 870 heures. L’assouplissement des règles permet aussi aux travailleurs qui ne sont pas des grutiers, mais qui ont complété une formation de 80 heures de manœuvrer des petits camions-flèches (boom trucks).

Les travailleurs ont justement expliqué qu’ils luttaient au nom de la sécurité des travailleurs et de la population. En effet, les grutiers opèrent fréquemment dans des endroits densément peuplés dans les grandes villes et les conséquences des accidents peuvent être fatales. Le directeur de l’Union des opérateurs grutiers a expliqué que les nouvelles règles «mèneront à une hausse des accidents et des morts». «C’est un énorme recul de 30 ans. On donne le droit d’apprendre sur le tas. Les gens qui vont donner les cours, ce ne sont pas de vrais professeurs» a-t-il ajouté.

Servant de porte-voix du gouvernement, les médias de la grande entreprise, avec en tête le Journal de Montréal, mènent une campagne hystérique depuis le début du conflit pour dénoncer les grutiers comme trop bien payés, les accuser de prendre la société et l’économie en «otage» et ouvrir la voie à la criminalisation de la grève par le gouvernement.

Toute la classe ouvrière doit se porter à la défense des grutiers et s’opposer à la campagne d’État qui vise leur lutte. Ces travailleurs ne sont que les plus récentes cibles d’une offensive généralisée de la classe dirigeante pour détruire tous les acquis des travailleurs et les droits les plus fondamentaux dont le droit de grève.

Au Canada, le droit de grève est essentiellement aboli. Les travailleurs des postes, d’Air Canada, du Canadien Pacifique, les cols bleus ou les enseignants ont tous été victimes de ces mesures antidémocratiques au cours des dernières années.

Pour faire avancer leur lutte, qui les oppose à l’ensemble du patronat, au gouvernement et à ses tribunaux, les grutiers se doivent de l’élargir en lançant un appel à tous les travailleurs de la construction, en rejetant les dernières conventions collectives bourrées de reculs qui leur ont été imposées. Un tel appel devrait être lié à la lutte pour développer une contre-offensive de toute la classe ouvrière au Québec et à travers le Canada contre l’austérité et toutes concessions. Cela trouverait un puissant écho parmi tous ces travailleurs.

Mais pour cela, il faut que les travailleurs rompent avec la bureaucratie syndicale, qui n’a fait que capituler maintes et maintes fois devant la menace d’une loi spéciale, dans tous les principaux conflits de travail au pays.

Même s’il semblerait que des sections de la bureaucratie syndicale aient initialement donné le feu vert aux débrayages actuels des grutiers, cela ne représente d’aucune façon une rupture avec leurs politiques propatronales. S’il y a eu une action de leur part, c’est bien parce que les nouvelles règles de formation menacent leurs propres intérêts au niveau des cotisations et de leur mainmise sur le placement des travailleurs.

Soulignant le véritable rôle que les syndicats jouent depuis plusieurs décennies en tant que force qui contrôle la classe ouvrière au bénéfice du patronat, Lemieux de la CCQ s’est directement adressée à eux pour étouffer la grève: «Moi je voyais il y a quelques mois le Syndicat canadien de la fonction publique qui a mis en tutelle le Syndicat des cols bleus de Montréal pour des questions internes. Où est la FTQ-Construction? Ils ont de leurs gens qui contreviennent à la loi, en donnant de fausses informations, et en donnant une justification à une grève illégale.»

Suite à cet appel, les syndicats se sont empressés d’accéder à la demande de Lemieux en ordonnant à leurs membres de mettre fin à la grève et de retourner au travail.

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