Alors que le sommet de l’UE sur les réfugiés vire à l’échec

L’Italie abandonne le bateau de sauvetage «Lifeline»

Samedi, le gouvernement italien a abandonné au large de ses côtes le bateau de sauvetage allemand Lifeline qui a 239 réfugiés à son bord, tandis que s’intensifient les conflits au sein de l’Union européenne (UE). La situation du navire était toujours incertaine dimanche, dans les eaux à l’ouest de Malte, qui a fait parvenir de l’eau et de la nourriture aux réfugiés, mais qui n’a pas permis que le «Lifeline» accoste sur son territoire.

Maintenant, deux semaines après que Rome a renvoyé le bateau de sauvetage français Aquarius, abandonnant à leur sort 629 réfugiés qui manquent d’eau et de nourriture, les réfugiés du Lifeline, dont 14 femmes et 4 bébés, sont pris en otage dans des conditions inhumaines par les diktats des puissances de l’UE.

Et ce n’est qu’une des scènes d’horreur à se dérouler dans les eaux de la Méditerranée entre l’Italie et la Libye. L’UE tente de bloquer la migration des réfugiés et refuse le droit d’asile à des masses de gens qui espèrent fuir la guerre au Moyen-Orient et en Afrique vers l’Europe en passant par la Libye. Jeudi dernier, le haut-commissaire aux réfugiés de l’ONU a rapporté que 220 réfugiés s’étaient noyés dans cette région en trois jours.

Dimanche, la garde côtière libyenne, qui a l’appui de l’UE, a intercepté deux bateaux ayant à leur bord 460 migrants, dont 110 femmes et 70 enfants, et les ont emmenés à une base navale près de Tripoli et ensuite à un camp de réfugiés dans la ville de Khoms. Ce camp est utilisé depuis la guerre de l’OTAN de 2011 qui a détruit le gouvernement libyen et plongé le pays dans une guerre civile qui fait rage entre milices islamiques rivales. Un rapport de Human Rights Watch (HRW) a fait référence à ce camp en 2014, affirmant que les autorités libyennes, appuyées par l’OTAN, torturaient les demandeurs d’asile en leur infligeant de «terribles coups de fouet, corrections et décharges électriques».

La crise qui prend place dans les eaux de la Méditerranée centrale est la preuve irréfutable de la barbarie de l’UE, dont les États membres planifient d’intensifier considérablement les attaques contre les migrants à travers l’Europe et la Méditerranée. Le ministre italien de l’Intérieur d’extrême droite Matteo Salvini, qui en arrivant à son poste a juré de déporter d’Italie des centaines de milliers d’immigrants, a ordonné le recensement des Roms en Italie. Les Roms se voient ainsi menacés d’être expulsés du pays.

Dimanche, à Bruxelles, un mini-sommet de l’UE sur l’immigration visant à préparer la réunion du Conseil de l’UE du 28-29 juin s’est soldé en échec. Les pays participants ont été incapables de s’entendre sur une déclaration commune, les hauts représentants et chefs d’État de l’UE se lançant publiquement des insultes au sujet de la crise des réfugiés.

À la veille de la rencontre, la chancelière allemande Angela Merkel a tenté de minimiser les attentes de ce que le sommet pourrait réaliser, avertissant qu’il n’y aurait pas d’entente à la grandeur de l’UE sur l’immigration. Qualifiant le sommet de «ni plus ni moins qu’une rencontre de travail et de consultation», Merkel a affirmé que «l’on ne parviendra pas à une solution jeudi et vendredi pour les 28 États membres … sur la question générale de l’immigration». Elle a dit qu’il pourrait plutôt y avoir des ententes «bilatérales, trilatérales et multilatérales» entre divers États membres de l’UE.

En effet, le mini-sommet a bien failli ne pas avoir lieu. Il a finalement pris place, mais aucun accord n’en est ressorti. Deux semaines après l’échec sans précédent des pourparlers du G7, où le président américain Donald Trump a opposé son veto à la proposition finale de communiqué qu’avaient appuyée les puissances de l’UE, l’UE elle-même est au bord de l’éclatement, les conflits nationalistes et xénophobes s’intensifiant entre les grandes puissances de l’UE.

Finalement, seuls 16 des 28 pays membres ont participé au mini-sommet. Les pays du groupe de Visegrad (Hongrie, Pologne, Slovaquie et la République tchèque) ont boycotté la rencontre en guise de protestation contre la possibilité que l’UE décide à ce sommet d’envoyer des réfugiés dans leurs pays. Le premier ministre italien Giuseppe Conte a menacé de ne pas participer après la circulation mercredi d’un projet de déclaration de l’UE qui allait être discuté lors du sommet.

La déclaration, appuyée par le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker, exigeait un immense renforcement de la police frontalière de l’UE Frontex. C’est la stratégie qui est favorisée par Merkel pour réprimer les migrants et bloquer leur entrée en Europe. Son gouvernement est en ce moment contesté par le ministre allemand de l’Intérieur Horst Seehofer qui menace de défier son autorité et de rétablir unilatéralement le contrôle de ses frontières par l’Allemagne pour empêcher les réfugiés qui sont déjà en Europe d’entrer au pays.

Conte a présenté ce qu’il qualifiait de «toute nouvelle proposition», baptisée «Stratégie européenne multiniveaux pour l’immigration». Conte a affirmé que cette proposition allait «remplacer complètement» l’accord de Dublin de l’UE sur le traitement des demandes d’asile, qui dicte que les réfugiés devraient d’abord être traités par le premier pays où ils sont arrivés en territoire de l’UE. Cet accord fait en sorte que l’Italie est responsable d’un grand nombre d’immigrants venant d’Afrique qui se voient refuser l’entrée par la France et d’autres pays de l’UE sur leur territoire.

Au même moment, le gouvernement italien a déversé un torrent de propos dégoûtants à l’égard des réfugiés du Lifeline. Salvini a entre autres qualifié les centaines de personnes désespérées, piégées à l’intérieur du navire, de «chair humaine».

L’équipage du Lifeline a répliqué sur Twitter: «Cher Matteo Salvini, nous n’avons pas de viande à bord, seulement des humains. Nous vous invitons cordialement à vous convaincre que ce sont des êtres humains que nous sauvons de la noyade. Venez voir, vous êtes le bienvenu!» Le petit navire a aussi indiqué qu’il espérait croiser le porte-conteneurs Alexander Maersk, qui pourrait aider à protéger le Lifeline advenant de fortes tempêtes.

Divers chefs d’État et de gouvernement de l’UE ont chacun fait connaître leurs propositions réactionnaires visant à attaquer les réfugiés. Le président français Emmanuel Macron et le premier ministre espagnol Pedro Sanchez exigent des «centres de détention fermés» au sein de l’Europe. Essentiellement, ces centres seraient des camps de concentration.

Salvini a réagi en dénonçant l’hypocrisie de Macron et en exigeant que la France en fasse davantage. «Il y a eu 650.000 arrivées en quatre ans, 430.000 demandes» de statut de réfugié en Italie, s’est-il plaint, «170.000 présumés réfugiés qui vivent dans des hôtels, des édifices et des appartements à un coût qui dépasse les 5 milliards d’euros. Si ce n’est pas un problème pour le président arrogant Macron, nous l’invitons à cesser de nous insulter et à faire preuve de générosité en ouvrant les nombreux ports français et en arrêtant de renvoyer les réfugiés femmes, enfants et hommes» à travers la frontière franco-italienne à Ventimiglia.

Macron n’allait toutefois pas modifier sa politique, dont sa loi qui attaque de manière draconienne le droit d’asile et ses expulsions de Roms de la France. Il a plutôt répliqué en menaçant de sanctions les pays de l’UE qui refusent d’accueillir les réfugiés, dont les pays du groupe de Visegrad et apparemment l’Italie, et en déclarant que la France «n’a de leçons à recevoir de personne».

Le chancelier autrichien Sebastian Kurz a quant à lui a averti que si Seehofer mettait en place des contrôles frontaliers pour empêcher les réfugiés d’entrer en Allemagne, il ferait la même chose en Autriche.

Finalement, les gouvernements présents au sommet de l’immigration de l’UE ont été incapables de se mettre d’accord sur une déclaration commune, et Juncker et la Commission de l’UE ont abandonné leur proposition de résolution. Conte a réagi en disant qu’il était «très satisfait» du résultat.

(Article paru en anglais le 25 juin 2018)

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