Efforts concertés pour sauver le gouvernement May et les chances pour un «Brexit doux»

Dans une pléthore de déclarations de personnalités de premier plan soutenant la première ministre Theresa May et s’opposant à tout défi à son leadership, la déclaration la plus importante a peut-être été celle du négociateur en chef de l'Union européenne, Michel Barnier.

S'exprimant à New York alors qu'il assistait au Conseil des relations extérieures (Council of Foreign Relations), Barnier a clairement exprimé le souci des puissances européennes d'éviter si possible que May ne soit décapitée par l'aile eurosceptique des conservateurs.

Après avoir tourné en ridicule la suggestion que l'UE accepterait un arrangement où le Royaume-Uni sélectionnerait uniquement les éléments qui lui conviennent, M. Barnier a déclaré ,« nous avons convenu de 80 pour cent des négociations » et qu'il était déterminé à se mettre d'accord sur les 20 pour cent restants.

« Une absence d’accord est la pire solution pour tout le monde. Ce serait un énorme problème économique pour le Royaume-Uni et aussi pour l'UE », a-t-il ajouté.

Barnier a souligné la position de l'UE selon laquelle les « quatre libertés de circulation des personnes, des biens, des services et des capitaux, » étaient « indivisibles » et que « à la fin de cette négociation la meilleure situation, la meilleure relation avec l'UE, sera de rester membre ». Mais il a insisté pour dire: « Je ne négocierai qu’avec le gouvernement britannique [...] donc nos prochaines négociations seront lundi prochain avec la délégation britannique désignée par Mme May ».

Il est cependant clair que l'UE calcule que la possibilité d'inverser le Brexit à ce stade arrive en seconde position des priorités derrière le besoin d'empêcher un durcissement des positions anti-Brexit suite à la démission du secrétaire du Brexit David Davis, de son ministre Stephen Baker et du ministre des Affaires étrangères Boris Johnson .

Ces préoccupations auront été mises en évidence par la démission de deux vice-présidents du Parti conservateur, Ben Bradley et Maria Caulfield, quelques minutes seulement avant que May commence une conférence de presse conjointe avec la chancelière allemande Angela Merkel au sommet de l'UE sur les Balkans occidentaux à Londres, dominé par des questions sur le Brexit.

C'est une mesure de la crise de May qu'elle ait dit à Merkel de ne pas répondre aux questions de la presse britannique et de prendre seulement une question d'un journaliste allemand, ce qui a provoqué la surprise évidente de la chancelière.

Les craintes européennes auront été fortement accentuées par les commentaires du président américain Donald Trump, faits à la Maison Blanche avant d'aller au sommet de l'OTAN, juste deux jours avant son arrivée au Royaume-Uni.

Trump n'a pas caché son hostilité à l'UE et son désir d'affaiblir ce qu'il considère comme un bloc commercial concurrent, et qui vont jusqu’au soutien au Brexit et à l’imposition de sanctions.

Il a dit qu'il s'attendait à voir à son arrivée au Royaume-Uni un pays dans la «tourmente» et qu'il considérait Johnson comme «un de ses amis», qui avait été «très gentil» et «d’un grand soutien».

« J'ai donc l'OTAN, j'ai le Royaume-Uni où règne un certain chaos, et j'ai [le président russe Vladimir] Poutine. Franchement, Poutine est peut-être le plus facile de tous », a-t-il déclaré.

Lorsqu'on lui a demandé si May devait rester au pouvoir, Trump a dit: « C'est au peuple de décider, pas à moi. »

A maintes reprises, les alliés conservateurs de May, dont des personnalités et des journaux étroitement associés à la campagne pour quitter l'UE, ont surtout, pour s’opposer aux Brexiteers (pro-Brexit), lancé des mises en garde que ceux-ci ne feront qu'accélérer l'élection d'un gouvernement travailliste dirigé par Jeremy Corbyn.

Brexiteer de premier plan et ancien chef du Parti conservateur, Lord Michael Howard a déclaré à l'émission Today de BBC Radio 4, « Je pense que ce serait très stupide et extrêmement malavisé que quiconque envoie des lettres pour organiser une motion de confiance contre la première ministre ».

Se référant directement à la lettre de démission de Johnson, il a ajouté: «Je ne crois pas que le rêve du Brexit soit en train de mourir ».

William Hague, un autre ex-chef de file du parti et un pro-rester qui s’est déclaré pro-Brexit suite au référendum, a écrit dans le Daily Telegraph, l’organe des Tory de droite, qualifiant Johnson et Davis de « romantiques » qui risquaient de saborder le Brexit.

Les députés conservateurs « leurs stylos en suspens au-dessus de lettres exigeant un vote de confiance » pourraient se retrouver avec un Brexit encore plus doux ou pas de Brexit du tout en sapant le gouvernement. « Les chances que ces démissions mènent au genre de Brexit qu'ils désirent sont quasi nulles, mais la possibilité qu'elles donnent un nouvel élan à la demande d’un second référendum ou qu'elles affaiblissent encore la position de négociation du Royaume-Uni, est grande», a-t-il souligné.

Dans le Daily Mail, Stephen Glover avertit de sa crainte que «cette orgie de luttes intestines signifie que l'ère cauchemardesque de Corbyn est presque venue».

Cet «ère cauchemardesque», a-t-il expliqué, serait « un désastre dont le pire résultat possible sur le Brexit deviendrait pratiquement insignifiant. Nationalisations massives, taxes spoliatrices, flambée des dépenses publiques, dirigeants syndicaux de la gauche dure qui dictent la politique, l'étreinte de régimes étrangers odieux et le rude rejet d’alliés fiables comme les États-Unis: ce ne sont que quelques-unes des conséquences cauchemardesques qui suivraient presque inévitablement la victoire de Corbyn ».

Corbyn pourtant, l’objet de cette campagne alarmiste, est resté très discret dans ses déclarations lui qui n'a aucune intention de mettre en œuvre des nationalisations massives, des impôts sur les riches, ou toute autre mesure sérieuse contre le capitalisme. Son but est de convaincre l'élite dirigeante britannique qu'avec les travaillistes tout est en de bonnes mains, non seulement pour atténuer l'impact du Brexit, mais aussi pour « modérer », c'est-à-dire étouffer, les revendications de changement social et politique des travailleurs et des jeunes.

Avant tout, il ne fera rien qui menace l'unité avec l'aile droite de son parti. À cet égard, c’est le chef adjoint du Parti travailliste, Tom Watson, qui a fait la déclaration la plus révélatrice du soutien au gouvernement May.

Un deuxième référendum sur le Brexit pourrait devenir nécessaire, dit-il, mais seulement si un Parti conservateur de plus en plus divisé ne peut pas se mettre d'accord sur un plan viable de Brexit.

« Il est concevable qu’il n'y ait pas de position majoritaire pour un accord quelconque dans le cadre de l’actuel parlement», a-t-il dit, soulevant la « très, très, très improbable » perspective d'un « vote populaire » si « le parlement ne peut tout simplement pas prendre une décision à ce sujet … »

Il ajouté que les clivages au sein du Parti conservateur «pourraient aider [son] parti sur le plan électoral» mais celui-ci voulait « collaborer avec le gouvernement pour le meilleur accord possible».

« Il ne s'agit pas d'un effort des travaillistes pour faire tomber le gouvernement, il s'agit pour les travaillistes d'aider le gouvernement à obtenir un bon accord et de tenter d'empêcher que le gouvernement ne cause sa propre chute».

(Article paru en anglais le 11 juillet 2018)

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