Au cours de la semaine dernière, le président équatorien Lenín Moreno et le ministre des Affaires étrangères José Valencia ont annoncé publiquement qu'ils étaient en négociation avec la première ministre britannique Theresa May sur le sort du rédacteur en chef de WikiLeaks, Julian Assange, qui a passé les six dernières années dans l'ambassade de l’Équateur à Londres, où il a demandé l'asile en juin 2012.
Le gouvernement Moreno a coupé l'accès d'Assange à Internet en mars et lui a interdit les appels téléphoniques et les visiteurs, en dehors de ses avocats, le laissant dans les faits en détention sans contact avec l’extérieur, en ayant moins de droits qu'un condamné.
Assange est confronté à un complot coordonné par Londres et Washington qui vise à le faire arrêter et extrader vers les États-Unis pour faire face à des accusations de trahison et d'espionnage – passibles de longues peines d'emprisonnement ou même de mort – pour avoir exposé, à travers WikiLeaks, les crimes de guerre commis en Irak et en Afghanistan, les complots du département d’État et la surveillance et la guerre électronique menées par la CIA.
Le 5 juillet, Moreno a déclaré lors d'une conférence de presse tenue à Quito pour les médias étrangers que son gouvernement est en pourparlers avec celui de May à Londres pour «résoudre» la question d'Assange.
Il a critiqué la décision d'accorder la nationalité équatorienne à Assange, qui a été rendue par l'ex-ministre équatorienne des Affaires étrangères, María Fernanda Espinosa, qui a depuis été remplacée par Valence, un diplomate éduqué aux États-Unis et étroitement lié à Washington.
«Ce fut une tentative ratée qui n'a mené à rien», a déclaré Moreno à propos de la décision de Fernanda Espinosa. «Au contraire, loin de résoudre le problème, cela ne l’a rendu que plus compliqué.»
Moreno a indiqué que Quito avait adopté une nouvelle stratégie concernant Assange. «Dans cette nouvelle étape, nous avons commencé là où nous aurions dû commencer: discuter avec les autorités en Angleterre».
«Nous avons engagé un dialogue très fructueux, dans lequel ils nous ont donné un certain type d'information à utiliser au profit du droit international, et au bénéfice des droits de la vie de M. Assange.»
Il a ajouté que ni le gouvernement équatorien ni Assange ne voulaient qu'il «demeure réfugié toute sa vie» et que «nous devons trouver une solution, et si nous le faisons avec le gouvernement anglais, tant mieux.» Le cas d'Assange, a-t-il conclu, pourrait être résolu à «moyen terme».
Les remarques de Moreno ont été suivies lundi par une déclaration du ministre des Affaires étrangères, Valencia, déplorant le fait que l'octroi de l'asile à Assange «ait nui» aux relations de Quito avec le Royaume-Uni.
Il insista cependant sur le fait que le gouvernement Moreno avait développé des «contacts de différentes sortes» avec Londres et que «nous espérons que dans le futur, la question de M. Assange soit résolue harmonieusement pour toutes les parties et que la relation avec la Grande-Bretagne soit renforcée encore plus».
Assange a d'abord demandé l'asile en 2012 dans des conditions où le gouvernement suédois exigeait son extradition vers la Suède pour qu’il réponde à des «questions» liées à des allégations, fausses, d'inconduite sexuelle qui n'ont jamais atteint le stade d’accusation criminelle. Il craignait, à juste titre, que le but réel de ce stratagème juridique fût de le faire arrêter puis extrader vers les États-Unis.
Alors que les autorités suédoises ont abandonné leur enquête sur Assange, le gouvernement britannique a clairement indiqué qu'il l'arrêterait dès sa sortie de l'ambassade pour violation de la liberté sous caution, ce qui l'exposera à nouveau à l'extradition et à subir des accusations de trahison et d’espionnage aux les États-Unis. Citoyen australien, Assange a été privé de l'aide qui lui est due de la part du gouvernement de l'Australie, qui est complice dans la conspiration de Washington contre lui.
Les déclarations de Moreno et Valencia sont inquiétantes. Tous deux indiquent que le gouvernement équatorien poursuit ses efforts pour «résoudre le problème d'Assange» non pas sur la base du droit international et du droit démocratique fondamental à l'asile, mais plutôt par opportunisme politique national et international, dans des conditions où le gouvernement de Quito vire brusquement à droite et subit une pression intense de la part de l'impérialisme américain et britannique.
Depuis sa prise de pouvoir en mai dernier, Moreno, le vice-président et successeur de l'ancien président Rafael Correa, a fortement accéléré le virage à droite qui avait déjà commencé sous Correa, un politicien bourgeois nationaliste qui avait précédemment utilisé la rhétorique du «socialisme du 21e siècle» et de la «révolution bolivarienne», initiée par Hugo Chávez du Venezuela.
Rompant avec le Parti de la révolution citoyenne de Correa, Moreno a soutenu les tractations judiciaires visant l'extradition de Correa de Belgique pour qu’il soit soumis à des accusations factices de complicité dans l'enlèvement raté d'un politicien équatorien de droite qui avait fui en Colombie après sa tentative de coup d'État en 2010.
Mettant en œuvre des politiques du FMI visant à subventionner les capitaux nationaux et étrangers au détriment de la classe ouvrière équatorienne, Moreno a également cherché à aligner la politique étrangère équatorienne sur celle de l'impérialisme américain qui vise l'hégémonie en Amérique latine.
Le mois dernier, le vice-président américain Mike Pence s'est rendu à Quito pour des entretiens avec Moreno, centrés, au moins publiquement, sur le soutien de l'Équateur à une escalade de la campagne de Washington pour isoler et étrangler économiquement le Venezuela. Cependant, avant que Pence ne quitte les États-Unis, un groupe de dix sénateurs démocrates a émis une déclaration exigeant que le vice-président fasse pression sur Moreno pour qu'il révoque l'asile d'Assange et l'expulse de l'ambassade de Londres. Il est très probable que, dans les coulisses, Pence a fait des demandes dans ce sens.
Après la visite, l'ambassadeur des États-Unis en Équateur, Todd Chapman, a déclaré: «L'Équateur est notre allié dans les Amériques; c'est un ami de longue date, nous pouvons maintenant l'exprimer avec plus de franchise et plus concrètement ... Nous récupérons le temps perdu, c'est important».
Depuis la visite de Pence, Moreno a consciencieusement intensifié les tensions entre l'Équateur et le Venezuela, dénonçant le président vénézuélien Nicolás Maduro pour avoir exprimé son soutien à Correa et stoppé le retour de l'ambassadeur équatorien à Caracas.
La forte pression des États-Unis sur l'Équateur a trouvé une expression grotesque ce printemps à Genève à l'Assemblée mondiale de la Santé, affiliée à l'ONU.
L'Équateur y parrainait une résolution apparemment anodine faisant la promotion des avantages de l'allaitement maternel pour les enfants – une étude estimant que son adoption universelle pourrait prévenir 800.000 décès d'enfants par an – et appelant à des restrictions sur la publicité mensongère faisant la promotion de lait maternisé.
Les délégués américains sont intervenus de manière agressive contre la résolution, motivée par les intérêts bénéficiaires de l'industrie alimentaire et des fabricants de lait maternisé pour nourrissons cherchant à conquérir des marchés, notamment dans les pays les plus opprimés, où le manque d'eau potable rend ces produits mortels.
Alors que les intérêts de profit ont motivé l'intervention américaine, son agressivité en réponse à l'Équateur était extraordinaire. Selon le New York Times, qui a signalé l'incident en début de semaine, des responsables américains ont menacé d'imposer des sanctions commerciales contre l'Équateur, tandis que l'ambassadeur américain à Quito a déclaré que Washington couperait toute aide militaire à ce pays à moins qu’il ne cesse de soutenir cette résolution.
Le gouvernement Moreno s'est rapidement incliné devant les menaces américaines, abandonnant son parrainage de la mesure, qui a finalement été adoptée seulement après que le gouvernement russe ait accepté de la présenter.
L'épisode a servi de moyen pour conditionner le gouvernement Moreno à suivre la ligne de Washington. Le danger évident est qu'il répondra de la même manière aux demandes de renoncer à l'octroi de l'asile à Julian Assange.
Ces développements soulignent la nécessité d'intensifier la lutte à travers la classe ouvrière, en Amérique latine, au Royaume-Uni, aux États-Unis et internationalement, pour la liberté d'Assange et contre toute tentative de le livrer aux lyncheurs à Washington.
(Article paru en anglais le 12 juillet 2018)