Washington aurait déporté 463 parents immigrés sans leurs enfants

Jusqu'à 463 parents immigrés auraient été déportés sans qu’on les réunisse avec leurs enfants, selon des documents fournis à une cour fédérale lundi par l’administration Trump. Auparavant, l’État n’avait fait état de la déportation de seulement 12 parents sans leurs enfants.

Le statut de ces 463 parents est incertain. Des procureurs fédéraux ont déclaré mardi devant les tribunaux qu’ils examinaient ces dossiers au cas par cas, pour voir si ces parents avaient été déportés ou s’ils avaient «volontairement» choisi de partir sans leurs enfants. Selon l’État, 130 d’entre eux auraient choisi d’être déportés en laissant leurs enfants aux États-Unis, pour que ces derniers demeurent avec d’autres membres de leur famille ou tentent d’obtenir l’asile.

Le nombre de parents que l’État avoue avoir séparés de leurs enfants sous Trump et son infâme politique de «tolérance zéro» lancée en mai change de jour en jour. Le nombre d’enfants séparés de leurs parents serait entre 2.000 et 3.000. La valse des statistiques incertaines démontre non seulement l’incompétence bureaucratique de l’État, mais une cruelle indifférence envers le sort de familles déchirées par la politique anti-immigrée de Trump.

Les 463 font partie d’un groupe de 917 parents que l’État américain a déclaré soit «inéligibles», soit «pas encore clairement éligibles» pour être réunis avec leurs enfants. D’autres parents se sont vus interdits de retrouver leurs enfants sous prétexte d’antécédents judiciaires, de maladies contagieuses ou d’autre problèmes, selon USA Today.

L’administration Trump n’a réuni que 1.012 enfants avec leurs parents depuis qu’un juge fédéral a interdit la politique cruelle et vindicative de séparer les familles de sans-papiers. L’État américain a déclaré que seuls 1.637 de 2.551 enfants réfugiés séparés de leurs parents sont «éligibles» pour être réunis avec eux, et le gouvernement sera vraisemblablement incapable de les réunir avec leurs parents avant la date limite d'aujourd’hui fixée par le juge.

Le fait que l’État a déporté des centaines de parents sans leurs enfants soulève la possibilité horrible qu’ils ne reverront jamais leurs enfants, ou au mieux après de longs délais bureaucratiques.

Des avocats pour les réfugiés, interrogés par le New York Times, ont dit que de nombreux parents avaient probablement signé des formulaires sans savoir qu’ils approuvaient leur propre déportation et l’abandon de leurs enfants. «Nos avocats bénévoles qui travaillent avec des parents détenus séparés de leurs enfants voient beaucoup de gens qui ont signé de formulaires qu’ils ne comprenaient pas», a déclaré un avocat d’El Paso, Texas, au Times. «Ils pensaient que le seul moyen de revoir leurs enfants était d’approuver leur propre déportation.»

Mardi, l’Union américaine des libertés civiques (ACLU) a argué devant le juge Jana Sabraw qu’il faudrait faire passer de 48 heures à une semaine le délai accordé aux familles entre leur réunification et leur déportation, pour leur donner plus de temps pour prendre la décision atroce soit d’être déportés ensemble, soit de laisser leurs enfants aux États-Unis.

CNN a diffusé des enregistrements de témoignages fournis par deux mères réfugiées qui donnent un aperçu de la torture mentale et affective subie par des travailleurs réfugiés. Ces enregistrements proviennent d’un «examen de crainte crédible», pendant lequel un juge tente de déterminer si la demande d’asile d’un réfugié est justifiée.

«Je vous supplie de ne pas me renvoyer de ce pays,» a dit en espagnol une mère en sanglots, qui craint la violence de gangs dans son pays d’origine. «Faites-le pour moi ou pour mon fils. Je n’ai rien d’autre. Je n’ai personne d’autre. Je suis mère célibataire.» Elle a dit au juge qu’elle était bouleversée pendant sa première entrevue et qu’elle n’avait pas compris beaucoup de questions qu’on lui avait posées. «À l’époque, j’étais désespérée car j’étais séparée de mon fils. Il restait là en prison, par terre, et je ne savais rien sur lui à ce moment-là.»

La juge a décidé que cette mère était inéligible pour l’asile et a approuvé sa déportation.

Ce juge, au Centre de détention de Port Isabel au Texas où de nombreux enfants immigrés sont réunis avec leurs parents, a refusé l’asile dans environ 80 % des cas qu’il a entendus. Le mois passé, le procureur général Jeff Sessions a déclaré que les violences au foyer ou des gangs ne justifient pas des demandes d’asile.

Les procédures de réunification chaotiques et désorganisées mises en œuvre par l’administration Trump ont créé des conditions kafkaesques pour des immigrés dans le système judiciaire. Un journal de Denver au Colorado, Westword, a rapporté qu’une grande proportion des dizaines de parents transférés du Colorado à Port Isabel pour être réunifiés avec leurs enfants n’ont ensuite pas pu apparaître pour leur propre procès au Colorado. Selon le Southern Poverty Law Center, ce piège judiciaire affecte des réfugiés dans d’autres parties du pays.

Malgré le décret signé par Trump le 20 juin pour mettre fin à la séparation des enfants de leurs parents réfugiés détenus, depuis la fin juin, le nombre d’enfants détenus au Texas est passé de 4.919 à 5.024 (un chiffre qui inclut des mineurs non-accompagnés), selon Houston Public Media. Une association a déjà obtenu la permission de construire un autre centre de détention à Houston. Trois autres demandes pour construire des prisons privées attendent toujours d’être approuvées.

Le traitement des détenus mineurs dans de telles prisons, avec leurs personnels fanatiquement anti-immigré et fascisants, est tout simplement déplorable. Des documents judiciaires de Virginie et au Texas rapportés par l’Associated Press en juin montrent que les réfugiés détenus sont battus, gardés nus et drogués. Des plaintes portées sous l’administration Obama révèle les violences physiques très répandues et même le viol d’enfants réfugiés détenus par les autorités américaines.

Bloomberg News a rapporté mardi que des avocats de réfugiés ont demandé à un juge fédéral de nommer un rapporteur spécial après avoir réuni 225 témoignages d'enfants immigrants sur les violences qu'ils avaient subies, et accusé l’État d’avoir mené un «assaut total» contre les traditions judiciaires qui limitent la détention et les mauvais traitements d'immigrés mineurs.

La situation n’est pas meilleure pour les adultes. Un rapport sur un centre de détention au Massachusetts dévoile des détails qui rappellent la prison américaine d’Abu Ghraïb en Irak. Les gardes s’amusent à forcer les détenus à se battre et les traitent littéralement comme des chiens. Les détenus dans un autre centre au Massachusetts ont lancé une grève de la faim contre des conditions inhumaines.

Un autre juge fédéral a aussi ordonné la relaxe de Pablo Villavicencio, l’immigré équatorien arrêté et détenu par la police militaire en livrant des pizzas à un bâtiment de l’armée à Brooklyn. Les autorités ont lancé une procédure de déportation contre lui quand ils ont découvert qu’il faisait face à un ordre de déportation depuis 2010.

Le juge Paul Crotty a vertement critiqué le procureur associé Joseph Cordaro pendant la procès. «Les puissants font ce qu’ils veulent, les pauvres subissent ce qu’ils doivent subir», a-t-il déclaré. «Enfin, y a-t-il une conception de justice ici ou est-ce qu’on fait ça simplement parce qu’on veut le faire? Pourquoi voulons-nous faire respecter cet ordre de déportation?»

Villavicencio n’est plus menacé d’une déportation immédiate, mais il doit toujours lutter devant la cour pour sa régularisation. Villavicencio est marié à une ressortissante américaine et a deux filles.

(Article paru en anglais le 25 juillet 2018)

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