Les «insoumis» des flics

L’affaire Benalla dévoile les liens entre Mélenchon et l’Etat policier

Après la révélation qu’un proche de Macron, Alexandra Benalla, avait violenté deux manifestants à Paris le 1er mai, Jean-Luc Mélenchon de La France insoumise (LFI) s’est fait le porte-parole des forces de l’ordre. Mélenchon s’est bien gardé de faire appel à la colère des travailleurs et des jeunes contre les violences policières qu’ils ont subies aux mains des CRS. Il joue sur les luttes de fractions à l’intérieur de l’État policier en devenir en France, au sein duquel LFI est bien implanté.

Mélenchon s’est indigné non des violences de Benalla et des CRS contre les manifestants, mais du fait que Benalla avait osé revêtir illégalement l’uniforme d’un CRS : «Plus aucun policier ne peut croire en» la parole du ministre de l’Intérieur, a-t-il pesté, pour continuer: «Nous marchons dans les clous de l’institution parlementaire, des institutions que nous désapprouvons mais que nous respectons. Mais si eux les détruisent, ils auront fait le travail à notre place.»

Ce comportement constitue un avertissement sérieux. Un gouffre sépare les aspirations des jeunes et des travailleurs radicalisés qui ont voté massivement pour Mélenchon à la présidentielle de 2017, de l’orientation de LFI. Mélenchon et l’appareil directeur de ce parti anti-marxiste s’orientent vers l’appareil policier et s’avéreront dans l’analyse finale être violemment hostile à un mouvement de la classe ouvrière.

Si la presse fait en général le silence sur ces liens pour éviter de discréditer LFI pour qu’il puisse continuer à contrôler et démoraliser l’opposition sociale des travailleurs, le rapport entre LFI et la police et le renseignement est bien documenté dans une série d’articles de presse.

D’après l’article de Médiapart, «La France insoumise entretient son vivier pour gouverner un jour», LFI compte sur ces «hauts fonctionnaires qui connaissent les rouages de l’administration et qui pourraient devenir les chevilles ouvrières nécessaires si LFI arrivait au pouvoir. Des personnes qui ont participé à l’élaboration du programme et qui, dans l’ombre, continuent de rédiger des notes ou de souffler des conseils à l’oreille des élus.»

Charlotte Girard, coresponsable du programme de Mélenchon à la présidentielle, a applaudi la participation de hauts fonctionnaires à l’élaboration du programme de LFI, car «ce sont des gens qui ont le sens du service».

François Pirenne (pseudonyme) qui se présente en haut fonctionnaire spécialiste de sécurité et de renseignement, décrit ainsi sa collaboration avec LFI: «J’ai intégré le groupe animé par Bernard Pignerol, pas forcément pour travailler sur le programme… j’ai rédigé régulièrement des notes. Par exemple, quand le policier a été assassiné sur les Champs-Élysées en avril 2017, j’ai vu avec Jean-Luc Mélenchon les bons mots à utiliser en réaction.»

Malgré son statut de spécialiste de sécurité et d’espionnage, Pirenne a pu s’intégrer sans difficulté dans un LFI prétendument «de gauche radicale». Comme LFI, Pirenne suppose que la montée politique de Mélenchon rencontrera le soutien enthousiaste des généraux, des chefs de l’espionage et des commissaires de police: «Il faut compter sur un effet d’entraînement de la technostructure et du souffle républicain dans les institutions.»

Mélenchon compte aussi sur une couche considérable de bureaucrates syndicaux qui occupent également de hautes positions dans la police et le renseignement intérieur, qui selon son site web ont participé à l’élaboration du programme sécuritaire de Mélenchon:

Ce sont entre autres : Georges Knecht, secrétaire général du SNIAPT-FO (syndicat national indépendant des personnels administratifs et techniques) et membre de la FSMI-FO (Fédération des syndicats du Ministère de l’intérieur); *Laurence Blisson, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature; *Vincent Drezet, ancien secrétaire national de Solidaires Finances publiques; *Alexandre Langlois, le chef du syndicat CGT-Police et membre du renseignement intérieur, applaudi dans un article intitulé «Notre camarade policier» paru dans L’Humanité, le journal du Parti communiste français.

Mélenchon est issu du milieu étudiant post-soixantehuitard, et des forces autour de l’Organisation communiste internationaliste, qui avaient rompu avec le Comite international de la Quatrième Internationale et avec le trotskysme, et se sont alliées avec le PS. Arrivés au pouvoir en 1981 avec l’élection du gouvernement PS de Mitterrand, ils ont instauré le tournant de la rigueur. Presque 30 ans après la dissolution de l’URSS en 1991, les forces mobilisées dans LFI, sont discréditées parmi les travailleurs. Elles sont tournées vers la guerre impérialiste et l’austérité.

Les milieux policiers autour de LFI veulent à tout prix préserver les budgets de l’armée de l’austérité budgétaire, en faisant payer la note aux travailleurs et aux services publics et sociaux. Pour cela, ils veulent désorienter et réprimer les luttes ouvrières contre l’austérité et le militarisme.

Le cercle de réflexion Harpocrate rassemble des hauts fonctionnaires et des professionnels de la sécurité et du renseignement qui ont soutenu la candidature de Mélenchon en 2017. En novembre 2016, ils ont publié dans Marianne une tribune intitulée «Pour une politique antiterroriste de la raison» qui déclare:

« Les outils de renseignement ne doivent ainsi pas être abandonnés aux supposées exigences austéritaires mais doivent, au contraire, être renforcés... L’absurde politique du chiffre, couplée à une baisse des effectifs de police, doivent également être battus en brèche en recrutant des agents administratifs et de terrain au sein de la police et de la gendarmerie. … »

La tribune conclut en félicitant Mélenchon de son étroite collaboration avec les flics et les espions: «C’est grâce à ces solutions émanant d’un long travail d’élaboration guidé par l’expertise de spécialistes du renseignement et de la lutte antiterroriste que le programme de Jean-Luc Mélenchon en matière de sécurité fait l’unanimité, y compris auprès de spécialistes!»

Le porte-parole de Mélenchon, que ce dernier présente comme son ami, Djordje Kuzmanovic a aussi fait partie de ce groupe de réflexion. Il est spécialisé en géostratégie et en défense, hostile à l’alliance de l’OTAN et anti-américain. Aujourd’hui officier de réserve, il a passé douze années dans l’armée de terre française de 2000 à 2012. Entré chez les paras, il mène des missions au sein du Groupement d’Information Opérationnelle (GIO) dans les Balkans puis dans l’occupation de l’Afghanistan, où il dit «être amené à faire du renseignement sans le vouloir».

Interrogé par le JDD sur ce qu’il avait fait dans les Balkans, Kuzmanovic, qui est d’origine serbe, a refusé de s’expliquer: «J'ai participé à des choses liées à des interventions, du travail d'analyse et de traduction… C'est un truc qu'on peut laisser de côté.»

En 1994, lors d’une mission au Rwanda alors que la France sous le PS de Mitterrand finançait et armait des forces extrémistes Hutus responsables du génocide anti-Tutsis, Kuzmanovic était chargé d’identifier les orphelins ou perdus d’un camp de réfugiés. C’est à cette occasion qu’il rencontre Charlotte Girard, alors étudiante en droit, qui présenta Mélenchon au parachutiste en 2008.

Entre 2007 et 2010, Kuzmanovic a passé trois ans en Russie. Il adhère alors au Parti de gauche (PG) français, où il tisse des réseaux notamment avec le Front de Gauche russe. On doit à Djordje Kuzmanovic, la visite de Mélenchon en Russie où le dirigeant de LFI a pu rencontrer des militaires et des législateurs russes ainsi que des investisseurs français. De cette visite est sorti un appel à une alliance franco-russe nationaliste, sur des sentiments anti-allemands.

L’affaire Benalla démasque le contenu de classe de l’appel de Besancenot à une alliance avec LFI, LO, et tous les syndicats prétendument pour lutter contre Macron. En fait, c’est une couche petite-bourgeoise, anti-marxiste et contre-révolutionnaire directement liée à la police et à l’appareil d’Etat. 

Loading