Comment les services secrets et l’AfD d’extrême droite contrôlent le politique allemande

Le 17 août, le Parti de l’égalité socialiste (SGP) a publié une déclaration pour protester contre sa mise sous surveillance par les services secrets allemands (l’Office fédéral de protection de la Constitution – BfV).

Le « Rapport de la protection de la constitution 2017 » publié fin juillet classe toute critique socialiste du capitalisme et de ses conséquences sociales comme de l’« extrémisme de gauche » et « anticonstitutionnel ». Le SGP est répertorié comme « un parti d’extrême gauche », soumis à une surveillance par l’État, bien que la BfV n’accuse aucunement le SGP de violer la loi ou d’être engagé dans une activité violente. En fait, le rapport confirme explicitement que le SGP poursuit ses objectifs par des moyens légaux – par « la participation aux élections » et « les conférences ».

Dans le même temps, le rapport des services secrets ne dit rien sur l’Alternative pour l’Allemagne (AfD) d’extrême droite et ses liens avec les fascistes. L’apologiste nazi Björn Höcke, le nouvel idéologue de droite, Götz Kubitschek, le mouvement raciste Pegida, et les publications d’extrême droite Junge Freiheit et Compact ne figurent pas dans ce rapport, qui indique que l’AfD serait « victime » des « extrémistes de gauche ».

Entre-temps, de nombreux nouveaux détails sont apparus confirmant que la BfV et son président, Hans-Georg Maaßen, collaborent étroitement avec l’AfD. Selon le ministère allemand de l’intérieur, Maaßen a eu environ 200 entretiens avec des politiciens de tous les partis représentés au parlement allemand, y compris l’AfD, depuis son entrée en fonction il y a six ans. Presque tous les entretiens étaient confidentiels et ont eu lieu à l’initiative de Maaßen.

En juillet, Franziska Schreiber, ancienne membre de l’AfD, a rapporté dans son livre « À l’intérieur de l’AfD » que Maaßen avait eu des entretiens avec Frauke Petry, alors que celle-ci dirigeait l’AfD. Maaßen a rencontré Petry deux fois en 2015, avant que l’AfD entre au Bundestag. Selon Schreiber, Maaßen lui a donné des conseils sur la manière d’éviter que l’AfD soit surveillée par le BfV, une affirmation que nie Maaßen.

Schreiber a depuis confirmé sous serment que Petry lui avait répété à plusieurs reprises « que l’AfD a de la chance d’avoir quelqu’un comme Hans-Georg Maaßen à la tête de l’Office fédéral de la protection de la Constitution, quelqu’un qui ne souhaite pas qu’il soit surveillé ».

Le successeur de Petry à la tête de l’AfD, Alexander Gauland, a également confirmé qu’il avait rencontré Maaßen. La réunion devait porter sur un « soupçon » selon lequel il y avait un « agent russe » dans le groupe parlementaire de l’AfD. Gauland a rapporté plus tard que Maaßen l’avait assuré, « il n’y avait rien ».

Même le Süddeutsche Zeitung admet maintenant qu’il y a « des soupçons que Maaßen pourrait être proche de l’AfD d’extrême droite ». Au printemps 2018, il était « révélé que plusieurs bureaux de la protection de la constitution souhaitaient observer l’AfD à cause de ses contacts avec des éléments ouvertement anticonstitutionnels ». Mais, comme il l’avait déjà fait, Maaßen s’est prononcé contre la surveillance de l’AfD.

L’actuel chef de l’AfD, Gauland, fait l’éloge de Maaßen. Le Süddeutsche Zeitung cite Gauland en disant : « Je considère M. Maaßen comme un haut fonctionnaire objectif ».

La semaine dernière, le journal taz a fait le point sur une autre rencontre avec un haut responsable de l’AfD. Maaßen a rendu visite au député de l’AfD, Stephan Brandner, en juin de cette année pour une conversation d’une heure dans le bureau parlementaire de ce dernier. Brandner est président de la Commission des affaires juridiques du Bundestag. Il doit son poste au vice-président du Bundestag, Thomas Oppermann (SPD), qui l’avait proposé pour le poste lors d’une élection secrète.

Brandner a déclaré à la presse qu’il avait parlé avec Maaßen du travail de la commission des affaires juridiques et du rapport actuel du BfV. Il ne donnerait pas de détails sur la réunion, car les deux hommes étaient d’accord sur la confidentialité. Le BfV s’est également abstenu de tout commentaire sur la réunion. « Le BfV ne commente jamais les discussions confidentielles dans la sphère parlementaire », a déclaré une porte-parole.

Les réunions entre Maaßen et les membres de haut rang de l’AfD montrent clairement que la décision de cibler le SGP fait partie d’un complot au sein de l’appareil étatique basé directement sur les forces d’extrême droite. Le BfV est sous la tutelle du ministre de l’intérieur, Horst Seehofer (CSU), qui a également rédigé l’avant-propos de son rapport de 2017.

Dans son avant-propos, Seehofer plaide pour la construction d’un état policier qui délègue « des pouvoirs effectifs aux autorités de protection constitutionnelles nationales et régionales ». L’Allemagne ne peut « permettre que différentes zones de sécurité [créent] des angles morts. »

La grande coalition au pouvoir en Allemagne (Union chrétienne-démocrate, Union chrétienne-sociale et Parti social-démocrate) a adopté pleinement la politique de l’AfD, notamment en ce qui concerne les réfugiés. L’AfD n’a obtenue que 12,6 pour cent des voix lors des dernières élections législatives et est méprisée par de larges couches de la population. Néanmoins, elle domine largement la vie politique allemande, qui prend de plus en plus le caractère d’une conspiration de la part de tous les partis du Bundestag.

Maaßen a non seulement eu des entretiens confidentiels avec l’AfD, mais il s’est également entretenu avec tous les prétendus partis d’opposition. Comme indiqué dans le dernier numéro de Die Zeit, Maaßen « rencontre régulièrement des membres éminents du Parti de la gauche et des Verts tels que Gregor Gysi, Sahra Wagenknecht et Katrin Göring-Eckardt. Parfois, ces conversations ont lieu en privé dans des restaurants, souvent payés par la BfV, ou parfois, Maaßen invite des parlementaires à son siège à Cologne. »

En tant qu’institution, le BfV représente la continuité de l’extrême droite des élites allemandes. Au moment de sa fondation dans les années 1950, l’agence employait de nombreux anciens membres de la Gestapo. Ces dernières années, ses racines dans la tradition du socialisme national ont émergé de plus en plus ouvertement.

Maaßen a repris la direction du BfV à l’été 2012, lorsque l’agence était en pleine crise. Neuf mois plus tôt, la cellule terroriste néo-fasciste NSU (Groupe clandestin national-socialiste) avait été exposée et il est apparu que le BfV comptait de nombreux agents infiltrés actifs dans le groupe. Le BfV a ensuite procédé à une destruction en masse de ses fichiers, et le prédécesseur de Maaßen, Heinz Fromm, a dû démissionner.

Maintenant, Maaßen a transformé le BfV en un outil politique qui s’aligne étroitement avec l’AfD d’extrême droite, tout en espionnant le SGP.

Les conséquences sont connues. Die Zeit écrit : « La décision de surveiller un parti » est « nécessairement une décision politique – avec des conséquences politiques ». Il poursuit : « Pas seulement parce que la BfV peut surveiller les membres, ses élus, et les associations, et, dans des cas spéciaux : établissant des écoutes téléphoniques, enregistrant des dialogues en ligne, et observant des suspects. Mais surtout parce que l’observation stigmatise un parti. »

Dans son communiqué, le SGP a prévenu que l’action de la BfV est dirigée contre « quiconque qui lutte contre les inégalités sociales, le militarisme et l’oppression et prône une perspective socialiste ». La classe dirigeante répond à la radicalisation croissante de la jeunesse « en revenant aux politiques autoritaires des années 1930, en réprimant les socialistes et en adoptant les politiques d’extrême droite. Cette crise enlève la façade “démocratique” du capitalisme allemand pour révéler la peinture brune originale. »

Il est grand temps de faire face à cette conspiration d’extrême droite dans l’appareil d’État et de contrer l’offensive du BfV et de la grande coalition. Le SGP lance un appel à tous ceux qui cherchent à s’opposer au militarisme et à la guerre, aux inégalités sociales et aux évolutions vers un État policier. Distribuez notre déclaration contre la BfV, contactez-nous et participez activement à la lutte pour une orientation socialiste.

(Article paru d’abord en anglais le 24 août 2018)

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