Le procès s’ouvre 5 ans après l’homicide fasciste de Clément Méric

Il a fallu cinq ans pour que l’État lance le procès des trois skinheads nationalistes impliqués dans le meurtre, le 5 juin 2013, de l’étudiant antifasciste Clément Méric. Deux sont mis en examen pour violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner, une accusation moins grave que l’homicide involontaire initialement retenu par le parquet de Paris, l’autre pour avoir participé à la rixe. Le procès a commencé mardi dernier et devait durer 10 jours.

Aux abords du Palais de Justice, une manifestation antifasciste a exigé la reconnaissance du caractère politique du crime. Un ami de Méric a déclaré à Libération: «Clément a été tué parce qu’il était antifasciste. Ce n’était pas une rixe entre bandes rivales comme veut le faire croire la défense depuis le début.»

L’État et les médias offrent pour leur part une protection politique aux tueurs de Méric et aux milieu néofasciste. Alors que la classe politique tente de dédiaboliser Marine Le Pen, on veut obscurir le fait que, comme aux années 1970, la classe dirigeante prépare au sein du milieu néofasciste des gros bras pour réprimer et au besoin tuer les jeunes de gauche.

Ils ont attaqué Méric, un étudiant à Sciences-Po militant à Solidaires-étudiant et Action Antifasciste Paris-Banlieue, et ses camarades près d’une station de métro. Ses amis avaient rencontré auparavant dans un magasin de vêtements des skinheads exhibant des tatouages de croix gammées et des sweat-shirts portant des slogans nazis, «white power» (pouvoir blanc) et «blood and honour » (sang et honneur). Arrivé plus tard, Clément Méric est mort après avoir été violemment frappé au visage.

Le délai de cinq ans, exceptionnellement long, entre un homicide enregistré sur vidéo et le début du procès ne s’explique que par des considérations politiques. Plusieurs organisations d’extrême-droite proches du Front national et du renseignement sont impliquées dans la mort de Méric, intervenue alors que le Parti socialiste (PS) et puis Macron tentaient de dédiaboliser Marine Le Pen. A présent, on tente de laver le meurtre de Méric.

Le renseignement intérieur et les forces de police n’ont ressenti aucune pression réelle pour faire progresser l’enquête et le procès. En effet, les skinheads mis en cause étaient membres du groupe Troisième Voie et de son service d’ordre, les Jeunesses nationalistes révolutionnaires, ondés par Serge Ayoub et dissous par le PS après la mort de Méric. Or, de nombreuses sources font état de liens étroits entre Ayoub et le renseignement.

A l’ouverture du procès, la présidente a dû suspendre la séance en raison de l’absence de l’un des deux principaux accusés, Samuel Dufour. On a su après que la police avait retenu Dufour, au prétexte d’un contrôle d’identité réalisé près du Palais de Justice, et ainsi empêché le procès de commencer à l’heure prévue.

Au procès, on a tenté de minimiser l’engagement néo-fasciste des prévenus. Bien qu’ils aient eu des photos de Hitler sur leurs portables, leur défense tente de les faire passer pour des jeunes perdus et ignorants en politique. Morillo a dit ignorer que la devise «Travail-famille-patrie» du régime de Vichy qu’il avait tatouée au corps est liée à la collaboration nazie.

Le procès s’est focalisé depuis sur la question de savoir si le militant d’extrême-droite Esteban Morillo portait un poing américain quand il a asséné le coup fatal à Méric. On tente d’argumenter que si les néofascistes n’avaient pas de poing américain en tuant Méric, le combat aurait été une simple rixe.

Selon Me Patrick Maisonneuve, avocat de Morillo, «Pour nous, toute la discussion va porter sur l’utilisation d’un poing américain. Mon client, Esteban Morillo, a immédiatement reconnu avoir assené deux coups à Clément Méric dont celui qui l’a fait chuter, mais il a toujours contesté avoir porté une arme. Or s’il est à mains nues, il s’agit d’une bagarre et non pas d’une expédition punitive. Ça change la nature des choses, chacun des deux groupes se retrouve dans une situation de défense.»

Ceci reprend les questions soulevées par la police depuis plusieurs années dans les procédures pour protéger Murillo et Dufour. La police technique et judiciaire a analysé une vidéo de la rixe qui montre Murillo frapper Clément Méric, mais la police considère depuis 2013 que la vidéo est «trop floue» pour permettre de savoir si Esteban avait un poing américain.

La police a laissé de côté les récits des témoins du meurtre qui affirmaient que Murillo était armé d’un poing américain, ainsi que les SMS découverts en 2014 sur les portables des néofascistes qui se targuaient d’avoir utilisé un poing américain pour frapper Méric.

Ils avaient également été directement en contact avec Ayoub juste avant de tuer Méric. Toutefois, la justice a accordé une dispensation médicale à Ayoub qui lui a évité d’avoir à paraître lors du procès. Cette décision extraordinaire souligne le manque de sérieux de la procédure et la couverture de l’extrême-droite qu’organise la justice.

Contacté par vice.com, Ayoub aurait répondu en «vociférant insultes et injures à grand renfort de décibels», criant: «Va te faire enculer. T’es un salopard. Sur ton épitaphe, il y aura marqué "Salopard".» Le magazine en ligne a ajouté, «La rumeur raconte qu’il jouerait les indics pour les services de renseignement. Elle est largement relayée par le milieu antifa – sans jamais avoir été prouvée. Un ancien policier nous l’a confirmé, sous couvert d’anonymat. Mais là encore, sans en apporter la preuve.»

Ce procès souligne le caractère réactionnaire des forces politiques promues par l’état d’urgence imposé par le PS en 2015 et les gouvernements successifs du PS et de Macron. En suspendant les droits démocratiques pour donner libre cours à la police, en invitant Marine Le Pen à l’Elysée, et en proposant d’inscrire la politique vichyste de déchéance de nationalité, liée à la Shoah, dans la constitution, le PS et Hollande faisaient signe à l’extême-droite. La classe dirigeante considérait à présent que leurs positions sont légitimes et nécessaires.

Cette politique a permis à Paris d’imposer la loi travail du PS et les ordonnances austéritaires de Macron qui y sont liées, en réprimant brutalement les manifestations contre la loi travail en 2016. A présent, elle sert de fondement pseudo-légal à l’imposition en France du programme austéritaire et militariste qui sévit à travers l’Europe.

La bourgeoisie a pu dépendre du rôle poltron des directions politiques qui encadraient l’activité de Méric. A Sciences-po et ailleurs, de nombreux jeunes se souviennent de son meurtre; pendant les occupations d’universités par les étudiants au printemps, on a brièvement appelé Sciences-po occupé l’Institut Clément Méric. Mais le Nouveau parti anticapitaliste (NPA), parti lié à Solidaires-étudiant où militait Méric, a traité le meurtre autrement.

Malgré la large médiatisation de la campagne présidentielle du candidat NPA Philippe Poutou en 2017, le NPA n’a pas tenté d’attirer l’attention des électeurs sur le danger fasciste révélé par le meurtre de Méric. Ainsi le NPA et ses alliés, tels La France insoumise, s’adaptent à la montée du néofascisme favorisée par la bourgeoisie française.

La mort de Méric est un avertissement pour les travailleurs. Macron et la justice ne stopperont pas la montée des violences d’extême-droite, dont ils sont complices et dont ils tirent profit. La seule réaction viable est de mobiliser contre la réaction fasciste un mouvement de masses de travailleurs contre l’austérité, le militarisme et la réaction fasciste, indépendamment des appareils politico-syndicaux d’une pseudo gauche en faillite. C’est ainsi qu’on peut commémorer la vie et l’engagement antifasciste de Méric.

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